Safayiou Diallo, économiste: «La dette intérieure ne devrait pas poser énormément de problèmes…»

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A travers le ministère de l’Economie et de Finances et la Banque centrale, l’État guinéen a signé, avec les 19 banques primaires implantées dans le pays, un protocole d’accord portant levée de fonds exceptionnel pour 5000 milliards francs guinéens (GNF). Les Obligations De Trésor (ODT) sont des titres de créance remboursables sur une durée de 3 ans ou plus. Divisés en deux tranches, le premier titre, émis pour une période de 4 ans pour un montant de 2 mille milliards. L’économiste Safayiou Diallo précise d’emblée que c’est une opération tout à fait «rentable et sûre » pour les deux parties. La dette intérieure de l’État ne devrait pas poser énormément de problèmes par rapport à la dette extérieure, pour son remboursement, explique le spécialiste. Lire Interview.

Guinee360.com: La BCRG est les banques primaires ont signé un protocole d’accord portant mobilisation d’un financement exceptionnel de 5 mille milliards GNF. Cela a suscité d’interprétations diverses au sein de l’opinion publique. Expliquez-nous de quoi est-ce qu’il s’agit ?

Safayiou Diallo: A mon humble avis c’est le média qui a eu la primeur de l’information qui s’est trompé dans son traitement. Cette décision de la Banque centrale via le ministère de l’Economie et des Finances, qui consiste à une levée de fonds exceptionnel d’une valeur de 5 mille milliards GNF est tout à fait normale. Cela a suscité la polémique en ce sens que le média a parlé de « réquisition ». Tout le monde n’étant pas économiste, les gens ont estimé que c’est une façon de forcer les banques à lever les fonds. Or, lorsque vous regardez dans les faits, vous vous rendrez compte que l’État via la Banque centrale est habitué d’émettre des Obligations De Trésor (ODT), qui sont des titres de créance remboursables sur une durée de 3 ans ou plus. Cette fois-ci, ils ont émis le premier titre sur une période de 4 ans pour un montant de 2 mille milliards puisque les 5 mille milliards sont répartis en deux tranches. Et les 3 mille autres milliards pour une durée de 5 ans. A noter que les ODT sont des valeurs très sûres et peuvent être émises par adjudication ou syndication (donc accessible via un pool de banques). Je pense que ceux-ci sont émis par adjudication, donc accessible librement comme indiqué sur le second titre afin de permettre aux banques de les souscrire.

Il est dit que les banques sont sollicitées pour ce financement à travers les réserves constituées auprès de la BCRG sous formes d’Obligations de Trésor (ODT). Qu’est-ce que cela veut dire en terme simple ?

Les banques constituent ce qu’on appelle des réserves obligatoires en monnaie centrale auprès de la Banque centrale. On parle de monnaie centrale parce que ces réserves sont constituées essentiellement en monnaie nationale dans la plupart de cas. Comme l’indique leur appellation « réserves obligatoires », cela voudrait que toutes les banques commerciales (19) implantées en Guinée ont d’ailleurs des comptes bancaires à la Banque centrale dans toutes les devises dans lesquelles elles font des transactions que ça soit en euro, dollars etc. Elles sont obligées, selon la loi, de constituer une proportion de leurs dépôts c’est-à-dire des dépôts que les clients effectuent auprès d’elles ou des crédits qu’elles distribuent, mais dans la plupart de cas c’est une proportion des dépôts. Ces montants sont conservés à la Banque centrale, non seulement, ils ne sont pas rémunérés, mais les banques ne seront jamais remboursées de cet argent. Lorsque je faisais mon stage de perfectionnement à la Banque centrale en 2014 à la Direction des Etudes et de la Recherche, j’étais allé voir plusieurs responsables pour leur demander ce qu’on fait des réserves obligatoires en Guinée. A l’époque, je m’étais demandé pourquoi on n’avait pas sauvé la BADAM qui était déjà en faillite. Un responsable m’avait répondu que ce n’était pas à la Banque centrale de sauver la BADAM. Par la suite, la même personne m’avait dit que c’est l’État à travers la Banque centrale. Ce qui est une contradiction.

Qu’est ce qu’il en est réellement ?

Dans les conditions normales, les réserves obligatoires sont destinées à sauver toutes les entreprises qui sont en difficulté pour sauver les emplois à travers de plan de relance comme vous pouvez le constater aux États-Unis ou en Europe. Malheureusement, je ne vois pas à quoi servent les réserves obligatoires en Guinée. C’est pour cela, quand j’ai vu qu’ils ont demandé aux banques, à travers un assouplissement mis en place, de procéder à ces placements en utilisant leurs réserves obligatoires, j’étais très rassuré parce que, cette fois-ci, elles allaient servir à quelque chose. A la lecture du document, vous vous rendez compte que pour les banques qui n’auront pas suffisamment des réserves obligatoires, elles peuvent emprunter de l’argent auprès de la Banque centrale à hauteur de 7% et obtenir une marge a 2% pour le premier titre qui est émis avec un rendement de 9%. La même logique est suivie dans le second titre. Elles peuvent emprunter à hauteur de 11,5% et obtenir une marge de 1.5%.

Dans son article 1er intitulé « Conditions monétaires de la BCRG », le protocole indique que les banques sollicitent la BCRG pour un assouplissement de la RO en lien avec la baisse du taux d’inflation, afin de permettre aux banques de dégager de la liquidité pour accompagner le processus de financement d’urgence demandé par l’Etat Guinéen. De quoi s’agit-il ?

Comme vous le savez, le vendredi 22 septembre 2023, le Comité de Politique Monétaire (CPM) s’est réuni en session ordinaire pour examiner un certain nombre de situations. Durant cette session, ils ont réduit deux (2) taux d’intérêt : le taux d’intérêt directeur fixé par la Banque centrale à travers lequel les banques doivent s’aligner et le taux des réserves obligatoires. Personnellement, je m’y attendais depuis longtemps à cette baisse. Mais compte tenu du fait que le taux d’inflation a baissé ces derniers temps puisqu’ils ont mis en place un Indice National Harmonisé des Prix à la Consommation qui tient compte de toutes les Régions Administratives du pays. Avant, l’inflation qu’on calculait en Guinée ne reflétait pas la réalité parce qu’on partait dans 5 marchés de Conakry (5 points de vente) puis on procédait à un relevé des prix avant de se retourner dans les bureaux pour calculer l’IHPC (Indice Harmonisé des Prix à la Consommation) ainsi que le taux d’inflation. Mais puisqu’ils ne prenaient pas en compte les autres Régions Administratives du pays, cette inflation ne pouvait pas être qualifiée de nationale. Mais lorsqu’ils ont mis ce dispositif au niveau national, le taux d’inflation a baissé pour le premier calcul de près de 12% à 8%. Ce qui est surtout étonnant. Aujourd’hui, la tendance reste la même. Par ailleurs, vu que le taux des réserves obligatoires tournait autour de 15% et que le taux d’inflation est de 8%, les banques ont demandé à ce qu’on aligne le taux des réserves obligatoires au taux d’inflation afin de leur permettre de disposer de plus de liquidités supplémentaires. La théorie économique voudrait que lorsqu’on diminue le taux des réserves obligatoires, les banques disposent de plus de liquidités pour leur permettre de distribuer plus de crédits.

Il se dit aussi que c’est une décision imposée aux banques. Est-ce que c’est le cas ?

Les placements que les banques font au niveau de l’État sont très sûrs et très rentables. C’est plus que lorsque la banque prête de l’argent à un client professionnel ou à un particulier parce que ceux-ci peuvent tomber en faillite et ne pas honorer leurs engagements. Par contre, l’État a toujours honoré ses engagements en remboursant non seulement le capital mais aussi les intérêts. Donc, ce n’est pas une décision qui est imposée, mais plutôt une bonne affaire pour les banques à mon humble avis. Le seul souci derrière c’est qu’en continuant à financer des tels projets de nature urgente, l’on risque d’évincer les autres secteurs de l’économie de façon à ne pas disposer de plus de fonds pour le besoin de financement des PME par exemple qui sont vecteur de croissance et porteur de projets de développement.

Le protocole ne précise pas la nature des chantiers à entreprendre ou les entreprises adjudicataires des marchés. Est-ce que c’est normal ?

A mon avis, c’est normal. Le premier document qui est paru est celui dans lequel le Ministère de l’Économie et de finances à travers la Banque centrale exprime son besoin. Ils ne sont pas obligés de rentrer dans tous les détails d’autant qu’ils ont déjà indiqués que c’est fonds destinés à des projets de grandes envergures. On peut en déduire les routes, les ponts, les barrages, les centres santé, les écoles etc.

Certains s’interrogent sur comment l’État va rembourser. Qu’en savez dans ce genre de procédure ?

Je pense qu’à ce niveau le problème ne se pose pas. L’Etat dispose plusieurs marges de manœuvre pour rembourser un emprunt. La dette intérieure ne devrait pas poser énormément de problèmes par rapport à la dette extérieure. La dette extérieure est libellée en devise (dollar, euro). Pour rembourser, une dette extérieure, l’État est obligé de disposer des devises issues naturellement des exportations de nos produits mais aussi des transferts reçus du reste du monde. Par contre, pour la dette intérieure, l’État peut procéder à tout moment à de la planche à billet pour son remboursement. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il peut également utiliser une partie de ces recettes fiscales et non fiscales.

L’État guinéen fait il recours à la planche à billet de nos jours ?

On ne peut pas dire aujourd’hui que l’État procède à la planche à billet parce que lorsque nous regardons les billets que nous avons dans la circulation, l’on se rend compte qu’ils ne sont pas neufs.

Quel pourrait être l’impact de la planche à billet ?

La planche à billet consiste à fournir des liquidités supplémentaires sur le marché sans que cela ne corresponde à l’évolution des fondamentaux de l’économie. Je veux dire tout simplement que c’est lorsque la Banque centrale se met à émettre plus de billets sans que cela ne suit la production nationale. Normalement, chaque billet émis devrait servir à l’achat d’un bien si jamais un bien coûte un billet. Il est logique d’émettre moins de billets. Dans ce cas, chaque billet peut être utiliser plusieurs fois pour acheter un bien. Sauf que dans notre cas, on a souvent émis des billets plus qu’il n’en faut. Cela conduit à l’inflation de par le passé.

Vous avez dit que l’État ne recourt plus à la planche à billet. Alors qu’elle est la cause de l’inflation actuelle ?

Quand on observe bien le mode de fonctionnement de l’économie guinéenne, on se rend compte que l’inflation n’est pas forcément d’origine monétaire. C’est une inflation importée dans la plupart des cas.

A travers un communiqué, le 25 septembre 2023, la BCRG via le Comité de Politique Monétaire a pris une décision portant baisse des taux d’intérêt directeur et celui des réserves obligatoires. Qu’est-ce qui peut motiver une telle décision, à votre avis ?

Ce sont les standards internationaux qui ont prévalu à la baisse du taux d’intérêt directeur. Concernant le taux des réserves obligatoires, je crois comprendre que c’est parce qu’il y avait ce besoin de lever les 5000 mille milliards GNF que le CPM a procédé à sa baisse suite à la demande de l’APB cf. Document rendu public. Mais, s’agissant du taux d’intérêt directeur, lorsque je faisais mon stage à la Banque centrale, j’avais voulu travailler sur un thème qui porte sur l’impact du taux d’intérêt directeur sur la croissance économique en Guinée. Je voulais m’inspirer du travail effectué par l’économiste togolais, Kako Nububko qui a construit toute sa réputation scientifique sur les questions monétaires notamment le FCFA. Ainsi, j’allais spécifier son modèle macroéconomique conformément à la réalité guinéenne quoique nous évoluons dans des régimes de change différents. Eux, ils sont dans un régime de change fixe et nous dans un régime d’échange mixte (avec constitution des réserves de change). Du coup, comme indiqué ci-dessus, j’allais modéliser le cas guinéen pour voir s’il y a un effet non linéaire entre le taux d’intérêt directeur et la croissance économique. Plusieurs responsables de la Banque centrale m’avaient fait comprendre qu’il n’y avait en réalité pas d’effet sous prétexte que les banques commerciales étant d’origine étrangères, elles peuvent se refinancer auprès de leur maison mère. C’est ainsi que j’ai abandonné ce travail pour me concentrer sur un autre. Par ailleurs, il convient de rappeler que les banques primaires présentent en Guinée, quoiqu’on dise, fournissent énormément d’efforts pour satisfaire leurs clientèles variées. Mais ce sont les conditions sur le terrain qui ne s’y prêtent pas. Comme l’exige leur fonction principale, les banques distribuent leurs crédits à travers les dépôts des clients. Lorsqu’elles se retrouvent dans une situation où elles ne disposent pas de toute la liquidité, par exemple, les banques ont une enveloppe de 9 mille et les clients expriment un besoin de 10 mille, elles sont obligées de recourir à la Banque centrale à travers le taux de pension ou taux directeur (11% actuellement). La Banque centrale va leur prêter les 1000 pour pouvoir à leur tour compléter leur enveloppe à 10 000 avant de les prêter aux clients. Dans ce cas, elles sont obligées de fixer un taux d’intérêt supérieur à celui de la Banque centrale. Mais, il peut arriver que les banques fixent un taux d’intérêt inférieur au taux directeur de la Banque centrale. Mais, cela relève des cas exceptionnels en raison de la forte concurrence. Donc, le taux d’intérêt directeur a moins d’effet en Guinée parce que les banques souscrivent rarement à des crédits auprès de la Banque centrale. Mais la logique voudrait que lorsqu’elles prêtent à leurs clients qu’elles fixent un taux d’intérêt supérieur aux taux directeur de la Banque centrale en fonction de l’évolution du taux de base bancaire.

Quel est l’impact de cette décision sur la monnaie ?

Elle n’a pas forcément d’impact sur la monnaie, mais sur la distribution du crédit. C’est plutôt la baisse du taux des réserves obligatoires qui a un impact direct sur la monnaie. Mais, la baisse du taux directeur devrait entraîner tout simplement la baisse du taux de base bancaire qui, à son tour, entraîne la baisse de tous les autres taux d’intérêt. Cela allait permettre aux banques de distribuer plus de crédits pour accroître la consommation, l’investissement et de surcroit la croissance économique.

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