Crise de circulation monétaire en Guinée : contraste entre lectures politiques et données techniques (Par Dr Adama Guilavogui)

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Résumé

La Guinée fait actuellement face à une crise de liquidité marquée par une pénurie prolongée de numéraire, qui se manifeste par des difficultés dans la réalisation des opérations courantes auprès des banques primaires ainsi qu’au sein de l’ensemble du circuit économique. L’examen des données institutionnelles révèle cependant que la masse monétaire et la liquidité bancaire étaient en expansion en 2024. Le déficit provient d’un cycle fiduciaire dominé par une thésaurisation massive, une structure déséquilibrée des coupures et des contraintes logistiques. Les vulnérabilités macroéconomiquesfaible mobilisation fiscale, fuite des recettes minières, poids de la masse salariale et dépendance extérieureaccentuent la perception de fragilité, mais leur effet sur la rareté immédiate d’espèces demeure indirect. Les solutions existent et sont déployables : rééquilibrage des coupures, création de centres régionaux de tri, modernisation de la trésorerie publique, incitations à la bancarisation et mise en place d’une monnaie électronique interopérable. Leur adoption dans les prochains mois permettra de rétablir la fluidité fiduciaire et de renforcer la confiance dans le système monétaire guinéen.

Contexte Général

À fin juin 2024, la masse monétaire au sens large (M2) atteignait 64 080,7 milliards GNF, en hausse de 26 % par rapport à 2023 [1]. La monnaie fiduciaire en circulation représentait 15 155,2 milliards GNF (+15,8 %), et la liquidité bancaire excédentaire s’élevait à 11 557,4 milliards GNF (+73,5 %) [1]. Ces chiffres montrent que la liquidité existe, mais qu’elle circule mal. La BCRG estime que 94 % des billets émis en 2024 n’ont pas réintégré les banques [2]. Ce phénomène de thésaurisation est alimenté par la faible confiance dans les institutions financières, par l’importance de l’économie informelle et par des contraintes logistiques qui limitent le recyclage du numéraire. La perception sociale de rareté résulte ainsi d’un déficit de recirculation, et non d’un assèchement monétaire.

Comprendre cette crise suppose de distinguer entre abondance monétaire globale et rareté fiduciaire locale. C’est cette distinction qui oriente vers des solutions techniques et pragmatiques, plutôt que vers des interprétations globales qui ne traduisent pas la réalité des flux monétaires. Les indicateurs de 2024 révèlent une dynamique monétaire en expansion. La masse monétaire M2 a progressé de 26 % en glissement annuel, la monnaie fiduciaire de 15,8 %, et la liquidité bancaire excédentaire de 73,5 % [1]. Ces données témoignent d’une disponibilité accrue de ressources, contrastant avec l’expérience quotidienne des usagers confrontés à une rareté d’espèces.

Le paradoxe s’explique par le déficit de recirculation. La BCRG a constaté que 94% des billets émis ne retournaient pas dans les banques [2]. Ce blocage reflète une thésaurisation généralisée : les billets circulent dans l’économie informelle ou sont stockés à domicile, échappant aux circuits formels. La monnaie existe, mais elle n’est pas accessible sous forme liquide. Ce constat permet de distinguer la crise guinéenne des cas de contraction monétaire observés ailleurs. Le pays connaît une rareté d’accès et non une raréfaction absolue. La priorité doit donc être donnée à la fluidification des circuits fiduciaires, par des réformes de logistique et de comportement, plutôt qu’à une expansion monétaire risquant d’alimenter l’inflation.

Les déterminants structurels de la rareté du cash

La thésaurisation constitue la première cause de la rareté. Les ménages et entreprises, méfiants vis-à-vis des banques et confrontés à une faible inclusion financière, conservent leurs liquidités en dehors des circuits officiels. Ce comportement alimente une rareté perçue qui ne correspond pas au volume réel de monnaie émise.

La structure des coupures accentue cette tension. En 2024, près de 98 % de la valeur fiduciaire provenait des grosses coupures (20 000, 10 000 et 5 000 GNF), tandis que les petites dénominations, essentielles aux transactions de détail, représentaient moins de 3 % de la valeur totale [1]. Ce déséquilibre complique les échanges quotidiens et renforce l’impression de pénurie.

Enfin, les contraintes logistiques pèsent lourdement. Le manque de centres régionaux de tri, l’insuffisance des infrastructures de transport sécurisé et la dépendance des banques aux titres publics (près de 30 % de leurs actifs en 2023 [3]) limitent la capacité à répondre à la demande de liquidité. Ces trois facteurs combinés expliquent la persistance de la crise malgré une masse monétaire croissante.

Gouvernance économique et fiscalité

La mobilisation fiscale reste insuffisante pour garantir une stabilité budgétaire durable. En 2024, le ratio recettes fiscales/PIB atteignait environ 13,1 %, contre 10,8 % en 2022 [4][5]. Malgré cette progression, la Guinée demeure en deçà du seuil de 15 % généralement considéré comme minimal.

Les pertes de recettes liées à la fraude et à la corruption réduisent la capacité budgétaire de l’État. Leur effet sur la liquidité fiduciaire est indirect, mais significatif : elles fragilisent la crédibilité institutionnelle, renforcent la méfiance et alimentent la thésaurisation. La perception d’un système budgétaire vulnérable incite les acteurs à conserver leurs liquidités en dehors des banques.

La modernisation des régies financières est donc un impératif. L’interconnexion entre douanes, impôts et trésor, la digitalisation des paiements fiscaux et l’automatisation des contrôles peuvent être déployées en quelques mois pour améliorer la traçabilité des recettes. Une telle réforme réduira les fuites, restaurera la confiance et contribuera indirectement à fluidifier la circulation monétaire.

Secteur minier et fuite de capitaux

Le secteur minier guinéen constitue à la fois la principale source de recettes et une zone de vulnérabilité. L’or artisanal alimente des circuits parallèles vers l’étranger [8], tandis que la bauxite, le fer et le diamant sont marqués par des flux insuffisamment contrôlés. En 2024, des litiges concernant la gestion des réserves aurifères et certains contrats miniers ont illustré les limites du dispositif de régulation [7].

La fuite des ressources minières prive l’État de recettes fiscales et de devises, réduisant sa capacité à soutenir la stabilité monétaire. Bien que ces pertes n’expliquent pas directement la rareté immédiate d’espèces, elles affaiblissent la confiance et accentuent la thésaurisation. Le secteur minier, dans son ensemble, constitue donc un facteur indirect mais déterminant de la crise de liquidité.

Des solutions existent et sont applicables rapidement. La mise en place d’un registre numérique des titres miniers, l’obligation de rapatriement des recettes en devises et la généralisation des mécanismes de traçabilité recommandés par l’OCDE [9] sont des réformes pouvant être amorcées. Elles permettront de capter davantage de ressources, de stabiliser le cadre macroéconomique et d’améliorer indirectement la disponibilité du cash.

Gestion de trésorerie publique et Balance extérieure

La masse salariale absorbe une part importante des dépenses courantes, mais son effet sur la rareté d’espèces doit être relativisé. En 2024, le déficit budgétaire global représentait environ 3 % du PIB, un niveau jugé soutenable [11]. Le problème réside dans la gestion des flux et non dans leur volume absolu.

L’absence de compte unique du Trésor fragmente les ressources et complique la planification des décaissements. Les paiements groupés de la fonction publique créent des pics de demande d’espèces qui saturent temporairement le marché fiduciaire. Ces tensions, bien que limitées dans le temps, accentuent la perception d’une crise permanente. Une solution immédiatement déployable consiste à échelonner les paiements sur plusieurs phases mensuelles. À moyen terme, la numérisation progressive des salaires via des comptes bancaires ou portefeuilles électroniques réduira la pression sur le cash. Ces mesures, applicables en quelques mois, permettront de stabiliser la demande fiduciaire sans bouleverser l’équilibre budgétaire.

La balance commerciale de la Guinée reste excédentaire grâce aux exportations minières. Au deuxième trimestre 2024, l’excédent des biens s’élevait à 1,46 milliard USD [14]. Le déficit extérieur provient principalement des services, notamment le fret et la logistique, ce qui pèse sur les devises mais n’affecte pas directement le cash domestique. Le marché interbancaire demeure actif malgré une contraction. En 2024, le volume des transactions atteignait 2 363 milliards GNF au deuxième trimestre [1]. Il continue de remplir sa fonction d’ajustement entre banques, mais son influence sur la rareté d’espèces est marginale.Ainsi, la crise de liquidité ne découle pas des déséquilibres extérieurs ou interbancaires. Elle trouve son origine dans des facteurs internes : thésaurisation, déséquilibre des coupures et insuffisances logistiques.

Réponses techniques et solutions déployables

La première solution est le rééquilibrage fiduciaire. La BCRG peut, dans les prochains mois, installer des centres régionaux de tri et de recyclage – en partenariat avec les banques primaires et instituions de micro-crédits – pour accélérer la recirculation des billets. L’émission accrue de petites coupures (500, 1 000 et 2 000 GNF) permettra de répondre à la demande de détail et d’atténuer rapidement la perception de pénurie.

La deuxième solution réside dans la gestion de trésorerie publique. L’instauration progressive d’un compte unique du Trésor renforcera la transparence et la planification. L’étalement des paiements de salaires en plusieurs phases mensuelles peut être appliqué pour éviter les pics de retrait. La numérisation partielle et progressive des paiements publics comme les bourses étudiantes et certaines allocations sociales – via des portefeuilles électroniques allégera la pression sur le cash.

La troisième mesure vise la réduction de la thésaurisation. La BCRG peut instaurer des incitations financières pour les dépôts à vue et renforcer la communication sur la sécurité des fonds. Ces actions contribueront à restaurer la confiance et faciliter une réinjection de liquidités dans le circuit bancaire.

Enfin, l’une des pièces centrales de la résolution permanente de cette crise est la transition vers la monnaie électronique interopérable. En connectant les banques commerciales et les opérateurs de téléphonie, un système national d’interopérabilité permettra aux usagers d’effectuer des paiements et transferts sans recourir systématiquement au cash. L’intégration des salaires publics, des PME et des coopératives agricoles à ce système garantira une adoption rapide. La mise en œuvre de ces stratégies àfeux croisés permettra de réduire le stress sur la demande d’espèces et renforcera la résilience du système monétaire Guinéen.

Pour conclure, il faut noter que la crise de liquidité guinéenne est avant tout fiduciaire. Les données de 2024 montrent une expansion de la masse monétaire et de la liquidité bancaire, mais révèlent un déficit de recirculation massif, alimenté par la thésaurisation, la structure déséquilibrée des coupures et les contraintes logistiques.

Les vulnérabilités fiscales, minières, budgétaires et extérieures fragilisent le cadre macroéconomique, mais leur impact sur la rareté immédiate du cash est indirect. La solution réside dans des mesures techniques déployables rapidement : modernisation du recyclage fiduciaire, rééquilibrage des coupures, discipline de trésorerie, incitations à la bancarisation et adoption d’une monnaie électronique interopérable. En combinant ces leviers la Guinée pourra réduire les tensions actuelles, restaurer la fluidité monétaire et poser les bases d’une transition vers un système financier plus inclusif et plus résilient.

Adama Guilavogui, Ph.D., JD

Références

[1] Banque centrale de la République de Guinée (BCRG), Bulletin trimestriel des statistiques monétaires, juin 2024.
[2] BCRG, Rapport annuel 2024 sur la circulation fiduciaire.
[3] Fonds monétaire international, Guinea – Staff Report for the 2023 Article IV Consultation, Washington D.C., 2024.
[4] Banque mondiale, Guinea Economic Update, 2024.
[5] OCDE, Revenue Statistics in Africa, 2023.
[7] BCRG, Communiqué sur la gestion des réserves d’or, 2024.
[8] UNODC et OCDE, Illicit Gold Markets in West Africa, 2023.
[9] OCDE, Due Diligence Guidance for Responsible Supply Chains of Minerals, Paris, 2011.
[10] Banque mondiale, Côte d’Ivoire – Gold Traceability Pilot Project, Rapport technique, 2024.
[11] FMI, Guinea – Selected Issues, 2024.
[12] Ministère de l’Économie et des Finances, Maroc, Rapport sur la mise en œuvre du Treasury Single Account, 2023.
[13] Banque centrale d’Égypte, Annual Report on Public Financial Management Reforms, 2024.
[14] BCRG, Balance des paiements – Deuxième trimestre 2024.

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