La jeunesse guinéenne réinvente la démocratie par les technologies civiques

il y a 3 heures 13
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D’ici 2030, la jeunesse africaine représentera 42 % des jeunes du monde entier. Cette explosion démographique porte en elle de nombreux défis mais aussi d’immenses espoirs. Les jeunes Africains aspirent à davantage de participation aux instances décisionnelles, exigent une gestion transparente et une redistribution équitable des ressources publiques. Connectés entre eux, ils militent pour consolider la démocratie, mettre fin aux régimes autoritaires et limiter les mandats présidentiels. En 2024, deux tiers des Africains (66 %) affirment préférer la démocratie à tout autre système de gouvernance.

Face à l’absence de cadres de dialogue formels véritablement indépendants, les jeunes investissent massivement les plateformes numériques pour faire entendre leurs voix et proposer des alternatives reflétant leurs aspirations. Ils s’y mobilisent, adoptent de nouvelles formes d’action collective et de proposition. Dans cette quête d’un avenir porteur d’espoir, ils partagent les bonnes pratiques pour provoquer des ruptures et parfois contester les ordres établis à la suite du sommet de La Baule, dans les années 1990.

Le numérique, levier d’une nouvelle citoyenneté

En janvier 2025, la Guinée comptait environ 3,05 millions d’utilisateurs de Facebook et près de 4 millions d’internautes, soit environ 20 % de la population. Ces chiffres témoignent d’une adoption des technologies dans un pays où l’âge médian est de 18,3 ans. Les jeunes Guinéens utilisent ces outils pour surveiller la transparence électorale, promouvoir une gestion vertueuse des biens publics et veiller au respect des droits fondamentaux. Le smartphone et Internet façonnent désormais l’engagement des générations Z et Alpha.

Dans ce pays d’environ 15 millions d’habitants, les technologies civiques transforment la participation démocratique. Elles permettent aux citoyens de contrôler l’action publique, de questionner la gouvernance et d’exiger la redevabilité tout en pesant sur les décisions qui les concernent.

Toutefois, ces mêmes plateformes véhiculent également de la désinformation, des discours haineux et des contenus manipulés, d’où l’importance des initiatives de vérification des faits et d’éducation aux médias. Malgré les progrès, environ 11 millions de Guinéens demeurent hors ligne, soit 73,5 % de la population. Les inégalités de connectivité restent notamment criantes entre zones urbaines et rurales.

Les pionniers guinéens de la CivicTech

Au cours de la dernière décennie, plusieurs initiatives de CivicTech ont émergé en Guinée. De l’observation citoyenne des élections à la lutte contre la désinformation, les acteurs du changement allient technologies et mobilisations communautaires pour répondre aux enjeux démocratiques et de participation citoyenne.

ABLOGUI : observer et suivre les engagements politiques

L’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) figure parmi les pionnières des technologies civiques dans le pays. Lors de la présidentielle de 2015, ABLOGUI a déployé Guinevote, une plateforme d’observation citoyenne couplée à une carte interactive Ushahidi permettant de suivre en temps réel le processus électoral. Cette mobilisation via des e-observateurs a marqué un tournant majeur dans l’utilisation des réseaux sociaux pour la transparence électorale.

Après la présidentielle, ABLOGUI a lancé Lahidi (qui signifie “promesse” en soussou) pour suivre les engagements du président Alpha Condé (2010-2021). Cette plateforme recensait les différentes promesses gouvernementales et les évaluait à travers des rapports réguliers. En septembre 2021, après le renversement d’Alpha Condé par un groupement de forces spéciales, ABLOGUI a déployé Lahidi Transition pour suivre les engagements de la junte militaire dirigée par le général Mamadi Doumbouya.

Plus récemment, ABLOGUI a lancé Idimijam.com, un média citoyen destiné “à être une tribune pour toutes les voix de la Guinée”, offrant ainsi un espace d’expression sur des sujets touchant “la société, l’environnement, la culture, la politique et les questions liées aux mines et au changement climatique.”

GuinéeCheck : combattre la désinformation

L’élection de Donald Trump aux États-Unis en 2016 a mis en lumière les enjeux d’intégrité de l’information au niveau mondial. La désinformation, jusqu’alors cantonnée à des plateformes complotistes, est revenue au-devant de la scène. La pandémie de Covid-19 a amplifié ce phénomène jusqu’à ce que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) parle d’infodémie.

C’est dans ce contexte que l’Association Villageois 2.0 a créé en septembre 2020 la première plateforme indépendante de vérification des faits en Guinée : GuinéeCheck. Depuis lors, elle s’est imposée comme un acteur majeur de l’écosystème informationnel du pays. GuinéeCheck décline ses contenus en trois formats : un site web de vérification des faits, des podcasts dans quatre langues locales (poular, soussou, kpélé et malinké), et des tutoriels d’éducation aux médias. Les citoyens peuvent soumettre des images ou vidéos suspectes pour vérification, créant une dynamique participative conforme aux normes de l’IFCN.

Mairies Ouvertes : la gouvernance locale sous contrôle citoyen

Avec un fort ancrage local, l’Association Villageois 2.0 a mis en place en 2024 la plateforme Mairies Ouvertes, inspirée du projet Local Open GovLab d’AfricTivistes. Cette initiative assure le suivi citoyen des politiques locales par le biais du numérique et de l’engagement communautaire (à travers les méthodes d’éducation populaires et citoyennes) dans les communes rurales de Daralabé, Kaalan, Sannou, Popodara et la commune urbaine de Labé.

Dans ces différentes localités de la moyenne Guinée, située au centre-nord du pays, des Cellules de Veille sur la Gouvernance Locale (CVGL) sont installées dans chaque district afin d’animer la vie publique locale, d’informer et de sensibiliser les citoyens sur les enjeux de gouvernance. Les documents stratégiques de gouvernance – Plans de développement locaux (PDL), Plans annuels d’investissement (PAI), budgets, passations de marché – sont publiés sur www.mairiesouvertes.org et également mis à la disposition des citoyens pour renforcer la transparence et la redevabilité.

Sur le volet électoral, l’Association Villageois 2.0 avait lancé #VlogCommunal lors des élections communales de 2018. Son objectif était de sensibiliser, partager et documenter le processus électoral au niveau local en produisant des contenus et en menant une observation citoyenne du scrutin. Pour cela, l’organisation avait organisé plusieurs sessions de discussions portant sur la citoyenneté, les spécificités des élections de proximité et la place du citoyen dans l’observation électorale. Pendant le scrutin, les membres de l’organisation avaient rapporté le déroulement du scrutin via le hashtag #VlogCommunal, repris par plusieurs médias nationaux et internationaux.

AfricTivistes CitizenLab Guinée : une fabrique citoyenne

En septembre 2024, AfricTivistes a lancé le CitizenLab Guinée, une fabrique citoyenne du changement. Le laboratoire citoyen basé à Labé accompagne et outille les acteurs de la société civile par la formation et le développement d’outils innovants. Le CitizenLab Guinée vise à impulser une nouvelle prise de conscience citoyenne et à promouvoir l’accès à l’information. Avec une équipe jeune aux profils variés, les actions doivent se matérialiser à travers la production de contenus à forte valeur ajoutée, l’organisation de formations sur la participation civique et l’innovation technologique.

Ouvrir Les Horizons : promouvoir la participation démocratique

Basée à Kindia, l’ONG Ouvrir Les Horizons (OLH) mène un projet d’appui à l’engagement et à la participation démocratique des jeunes. L’organisation a organisé plusieurs ateliers de formation au profit de 120 jeunes (web-activistes, administrateurs de l’État, membres de partis politiques, leaders d’ONG et journalistes).

OLH a lancé la plateforme lepeuplegn.com, qui suit les travaux parlementaires et permet aux jeunes de connaître les institutions de la République et les groupes parlementaires. Ce site offre une mine d’informations aux citoyens pour comprendre et questionner la représentation nationale sous la transition et les futurs députés. L’organisation a également mis en place un MOOC (cours en ligne) couplé à un forum d’échanges sur les thématiques de la Civic Tech, la participation civique et politique des jeunes, les droits de l’Homme et les engagements démocratiques.

WEBZALY : culture et patrimoine au service du numérique

Basée au sud du pays, à N’zérékoré, WEBZALY s’active dans la promotion de la culture et la documentation du patrimoine ancestral de la Guinée forestière. L’initiative, qui a remporté le grand prix ANSUTEN de la tech en Guinée en 2024, vise à changer la réputation de la Guinée forestière, souvent perçue uniquement comme une zone de conflits, en mettant en avant ses richesses culturelles et touristiques.

WEBZALY propose des visites virtuelles de musées, des circuits touristiques permettant de découvrir les richesses de la Guinée forestière, ainsi qu’un accès à des informations détaillées sur les œuvres d’art du pays. Il s’implique également dans l’alphabétisation numérique et la lutte contre la désinformation, tout en encourageant le tourisme durable et l’impact économique local.

Des obstacles malgré les avancées

Malgré ces initiatives prometteuses, plusieurs obstacles subsistent. Beaucoup de projets civiques dépendent de financements externes (ONG internationales, institutions internationales, entre autres). Le défi est de trouver localement des modèles durables permettant à ces initiatives de survivre au-delà des cycles de financement externes.

Parallèlement, le phénomène des coupures d’Internet constitue un autre obstacle. Entre le 24 novembre 2023 et le 23 février 2024, les principaux réseaux sociaux ont été censurés en Guinée sans explication officielle. Ces interruptions ne sont pas seulement techniques mais souvent politiques, utilisées pour contrôler la circulation de l’information. En 2023, des blocages similaires avaient déjà eu lieu en mai pendant des manifestations. Selon les données de Top10VPN, ces restrictions ont fait perdre 47,4 millions de dollars à l’économie guinéenne en 2023. La Cour de justice de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a d’ailleurs condamné la Guinée pour violation des droits de l’homme à la suite des coupures d’Internet d’octobre 2020.

Le défi de l’inclusion numérique

Même connectés, beaucoup de jeunes manquent de compétences pour distinguer information fiable et fausse, produire du contenu de qualité ou utiliser efficacement les outils numériques. Dans un pays où le taux d’analphabétisme avoisine les 70 %, la maîtrise des outils numériques reste un défi particulièrement dans les zones rurales où les inégalités sociales sont criantes. Comme dans le reste de l’Afrique subsaharienne, les femmes guinéennes ont un accès plus limité aux outils numériques créant une fracture numérique genrée.

La fermeture de certains médias privés depuis mai 2024 et les restrictions sur l’espace civique fragilisent l’écosystème informationnel. S’agissant de la modération des réseaux sociaux, Facebook, TikTok et autres plateformes ne reconnaissent pas entièrement les langues locales guinéennes. Cela facilite la profusion de discours de haine et la désinformation.

En décembre 2024, le gouvernement a quadruplé la capacité du backbone national de fibre optique, passant de 50 à 200 gigaoctets. En partenariat avec l’UNICEF et l’Union internationale des télécommunications (UIT), le gouvernement prévoit de connecter 2 200 écoles publiques (principalement rurales) à Internet dans le cadre du projet Giga. Ce programme vise à renforcer l’inclusion numérique à la base.

Construire des futurs possibles

Ainsi, les technologies civiques offrent à la jeunesse guinéenne de nouveaux moyens d’action. Des leviers pour s’engager dans la vie publique, surveiller les institutions, faire valoir ses droits et imaginer des solutions locales aux défis du quotidien. Elles permettent aux jeunes de réinventer la participation démocratique et le contrôle de l’action publique pour construire “leurs futurs possibles”. Mais pour que ces outils ne restent pas réservés à quelques-uns, les barrières d’accès doivent être levées, les espaces numériques sécurisés et les compétences des jeunes renforcées afin de bâtir une nation où chaque voix compte, où chaque citoyen peut s’informer, vérifier et agir.

Par Sally Bilaly SOW

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