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La création d’une monnaie unique en Afrique de l’Ouest est un rêve de longue date, mais entre les divergences politiques et les défis économiques, ce projet semble plus éloigné que jamais. L’économiste Kako Nubukpo propose des pistes pour avancer dans ce dossier complexe.
La “géographie monétaire” de l’Afrique de l’Ouest est constituée de plusieurs types de régimes de change. Il y a, d’une part, les 8 pays de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) qui ont en commun le FCFA accrochée à l’Euro et de l’autre, un ensemble de monnaies nationales inconvertibles dont le taux de change par rapport au dollar ou à l’euro est plus ou moins administré.
La coexistence de différents régimes de change sur un espace réduit ne favorisant pas les échanges commerciaux entre les pays, les dirigeants de la sous-région ont émis l’idée de la monnaie unique pour la CEDEAO. Il était prévu que dans un premier temps, les pays non membres de la zone Franc vont d’abord constituer leur propre zone monétaire appelée Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO) en 2014 avec l’adoption d’une monnaie commune. Ce sont le Ghana, la Gambie, la Guinée, la Sierra-Leone et le Nigeria. Et qu’ensuite, à partir de 2020, la ZMAO et l’UEMOA devraient fusionner leurs deux zones monétaires en vue de former une zone monétaire unique à l’échelle de la Cedeao avec l’adoption d’une nouvelle monnaie.
Concernant l’évolution du FCFA, les réserves de change ont été transférées du Trésor français à la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). À présent, les discussions portent sur deux points principaux : d’abord, le nom de la monnaie, car pour une grande partie de la jeunesse africaine, l’acronyme CFA reste associé aux “Colonies françaises d’Afrique”. Ensuite, la question de la garantie de la France sur la parité entre le FCFA et l’Euro est également sur la table.
L’erreur fondamentale du duo Macron-Ouattara
Selon Kako Nubukpo, les chefs d’Etat français, Emmanuel Macron, et Ivoiriens, Alassane Ouattara, avaient commis une erreur à Abidjan, en 2019, en affirmant que la monnaie qui va succéder au FCFA portera le nom de l’Eco. “Sachant que la monnaie Eco est l’agenda de la CEDEAO depuis pratiquement 40 ans. A partir de là, il y a eu une sorte de confrontation de deux instruments qui posaient d’autant plus problème et qui n’avaient pas la même philosophie. La question que beaucoup se pose est la suivante : l’Eco, dont parlent les présidents Macron et Ouattara pour remplacer le FCFA, est-il le même que celui envisagé par la CEDEAO pour ses 15 États membres. Le régime de change ainsi que les statuts de la future banque centrale de la CEDEAO avaient été définis dans ce cadre. Cependant, ces statuts étaient totalement différents de ceux de la BCEAO, l’institution qui émet actuellement le FCFA”, explique l’ancien ministre béninois.
Le cheval de troie
Selon ses Statuts, la banque centrale de la Cedeao qui est en gestation devrait être fédérale, où les parts de chaque Etat vont être relatives au PIB et à la démographie. “Dans la banque centrale européenne, l’Allemagne a plus de poids que la France qui a plus de poids que l’Italie ainsi de suite. Alors qu’à l’heure actuelle, la BCEAO qui émet le FCFA c’est une société anonyme avec des parts égales pour chaque Etat. C’est beaucoup plus intégré qu’une banque centrale fédérale. C’est à dire que la Côte d’Ivoire à un huitième (⅛) de la BCEAO exactement comme la Guinée Bissau. Pourtant, la Côte d’Ivoire c’est presque 40% du PIB de l’UEMOA et la Guinée Bissau 1%. Mais on n’a pas réglé ces questions quand il y a eu l’annonce. Du coup, l’agenda est bloqué parce que certains pays qui utilisent le FCFA, disent qu’on ne va pas s’embarquer avec des gens aussi brouillons que les Nigérians, on ne sait pas comment ils gèrent leur pays. Et les Nigérians disent que les francophones sont en fait à la botte de Paris et de l’Elysée et qu’ils veulent confisquer le projet de création de la monnaie Eco, en fera cheval de troie pour le FCFA qui va juste changer de nom et qui va être gouverné par Paris”.
Pour une sortie du blocage
Pour surmonter le blocage qui dure depuis 2019, la Déclaration de Lomé avait proposé 4 points fondamentaux. “La proposition a été celle d’aller vers une monnaie commune puisque c’est très difficile d’avoir d’emblée une monnaie unique. Les questions de convergence, on ne pourra pas les gérer à court terme, mais on peut créer symboliquement l’Eco comme monnaie commune. C’est à dire définir déjà pour chaque monnaie qui existe dans l’espace Cedeao, un taux de change fixe, mais ajustable avec cette monnaie Eco qui, elle, sera connectée à un panier de devise tel que l’Euro, le Dollar, la Livre sterling, le Yuan chinois. On réglerait en partie une des critiques émises contre le Fcfa c’est-à-dire l’extrême rigidité de sa relation avec l’Euro”, assure Kako.
La dictature des urgences
Le problème que nous avons avec nos chefs d’Etats est que comme ils sont tous dans la dictature des urgences, ils n’ont jamais le temps de s’asseoir pour régler les problèmes dits de moyen long terme. Pour eux, le long terme c’est une succession de courts termes. Quand vous discutez avec un chef d’Etat, vous lui exposez les choses, il trouve rationnellement que ça tient la route, il dit oui mais dans le pays voisin il y a des élections présidentielles dans 3 mois et donc le président voisin dit d’attendre d’abord que je règle la question de mon élection et on reprendra le dossier monétaire. Sauf que quand ça finit chez lui, il y a une autre élection qui démarre ailleurs. J’ai fait le compte, entre 2019 et aujourd’hui, il y a eu à peu près 10 élections présidentielles. Sur le cas du FCFA, Mme Angela Merkel est allée au Mali et elle a dit au président IBK que cette monnaie ne vous avantage pas, si vous voulez je peux en parler au président Hollande. IBK lui a dit ‘attendez Madame puisqu’il y a des élections au Mali, il faut que je règle cette affaire d’abord.
La garantie française
Sur la question de la garantie française du FCFA, l’auteur du livre “L’Afrique est le reste du monde” souligne que historiquement contrepartie c’était le dépôt d’au moins 50% des réserves d’échange auprès du trésor français. Même si la France a rétrocédé toutes les réserves à la BCEAO, elle dit maintenir la garantie. “Et donc, il y a un souci : pourquoi l’assureur qui n’a aucune contrepartie maintient la garantie? Cela conduit, à l’heure actuelle, certains chefs d’Etat à demander qu’on lève la garantie française et que le FCFA soit garanti par ses émetteurs c’est-à-dire la BCEAO. C’est une discussion compliquée. Quand vous étudiez la structure des réserves d’échange, vous voyez que la Côte d’ivoire, toute seule, c’est à peu près 40 à 50% de la totalité des réserves d’échange. Cela veut dire que si la garantie passe de la France aux pays de l’UEMOA, dans les faits cela veut dire que la garantie passe de la France à la Côte d’Ivoire. Et il y a certains chefs d’Etat de notre espace qui ne veulent pas dépendre de la Côte d’Ivoire et qui préfèrent dépendre de la France. L’idéal c’est de dépendre de personne, mais c’est ça la réalité de choses”.
Le Nigéria tient à son Naira
De l’analyse de l’expert, le Nigéria ne veut pas abandonner son Naira qui lui permet de gérer les problèmes politiques internes au profit d’une monnaie unique pour l’Afrique de l’Ouest. “Quand on me parle de monnaie pour l’ensemble de l’Afrique c’est mes petits enfants qui verront ça. Cela n’a aucune possibilité à l’heure où je vous parle, avec ce qui se passe entre les chefs d’Etat, le degré de défiance qu’il y a aujourd’hui à leur niveau, je ne vois pas comment un enjeu aussi souverain que la monnaie puisse être délégué à une instance supranationale fut elle l’Union africaine”, soutient Kako Nubukpo.
L’article Monnaie unique ou monnaie commune : Kako Nubukpo décrypte les défis de l’Eco est apparu en premier sur Guinee360 - Actualité en Guinée, Politique, Économie, Sport.