La transition : une opportunité de réformes de l’État à ne pas rater ! (Par Dr Mamadou Barry)

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« Figer l’État, c’est supprimer l’espérance, c’est supprimer l’action. (…) » Jean Jaurès, L’organisation socialiste de la France. L’armée nouvelle, Paris, Jules Rouff, 1911, p. 536-537

La Guinée, un pays fragile avec une pluralité de problèmes

Les problèmes auxquels les Etats du monde sont confrontés sont de trois types : les problèmes liés à la consolidation de la nation, les problèmes liés à la démocratisation et les problèmes liés à l’efficacité de la politique publique. Un pays qui cumule tous ces défis est rangé dans la catégorie des pays fragiles. C’est le cas de notre pays.

L’histoire moderne de la Guinée montre que la construction de la nation n’est pas achevée. Les opinions nationales sont très fragmentées et souvent marquées par des clivages ethniques. C’est pourquoi, des tensions politiques se transforment régulièrement en des tensions ethniques, qui conduisent souvent à quelques violences ouvertes bien que relativement contrôlées.

Le processus de démocratisation, rendu difficile par l’absence de compromis socio-politiques solides, n’a pas permis d’enrayer ces violences. Bien au contraire, le sentiment rependu est que le processus de démocratisation tel qu’il a été mené a abouti à des fractures plus grandes.

L’inefficacité des politiques publiques est largement partagée par les différentes couches sociales. Les citoyens guinéens en tant qu’usagers en vivent l’expérience tous les jours. Il suffit d’examiner les performances de nos systèmes éducatif et de santé.

L’avènement du CNRD : l’espoir de réformes majeures

Avec cette pluralité des défis, l’avènement du CNRD suscite des espoirs de réformes. En effet, une bonne partie de l’opinion nationale s’est enthousiasmée avec la promesse de refondation. Les guinéens se sont dit que, enfin des réformes fortes vont être initiées pour sortir « la vielle administration guinéenne » de sa léthargie. Le rajeunissement constituant l’input de départ et non la finalité de la refondation. Nous devons faire de telle sorte que cette énergie populaire se transforme en des réelles actions de réformes.

Chaque cadre devrait commencer là où il est, avec ce qu’il a et faire ce qu’il peut. Le changement pour des meilleures conditions de vie n’est pas, et ne doit pas être, uniquement une affaire des hautes autorités. C’est une affaire de tous et de toutes.

Les réformes à prioriser : celles de l’administration publique

Avec la multiplicité et l’intensité des défis, la question qui se pose aux décideurs est celle de savoir par quel bout commencer pour adresser progressivement ces différents défis. Il existe aujourd’hui un large consensus chez les intellectuels, les praticiens du développement et les hauts cadres des administrations publiques, qu’il faut une bonne articulation de trois inputs majeurs : Leadership, Capital Humain et Institutions.

L’acteur essentiel à cette articulation est l’Etat, plus exactement l’administration publique. Cette dernière est l’institution la plus importante d’un pays. L’administration publique est le bras opérationnel de l’Etat. Elle porte la conception et la mise en œuvre des politiques publiques. Sans elle, il n’est pas possible de répondre aux besoins des populations à travers des politiques publiques de qualité, de bâtir de manière efficace et efficiente des infrastructures de qualité, de répondre aux besoins de formation de jeunes ou de soins des ainés.

C’est l’administration qui permet ou pas une action collective efficace. C’est elle qui porte l’intérêt général plus que les organisations partisanes qui sont en compétition pour la diriger.

L’administration guinéenne : aller vers une gouvernance qui libère les énergies des Guinéens

Historiquement, l’action publique est construite pour assurer l’équilibre et la cohésion économique, sociale, culturelle et politique de chaque collectivité humaine. Elle est par nature évolutive dans le temps et l’espace, en fonction des aspirations et des choix des différentes sociétés.

C’est pourquoi l’idée qu’il faille réformer l’Etat n’est pas une demande nouvelle en République de Guinée. C’est une demande sociale forte et ancienne qui a été portée, souvent de manière peu efficace, par tous les régimes qui se sont succédés en Guinée.  Les résultats n’ont jamais été à la hauteur des aspirations originelles du peuple ou des ambitions affichées au départ par les dirigeants. Cette situation s’explique essentiellement par :

  • Le centralisme

La Guinée est un pays centralisé par excellence. Le centralisme du pouvoir de décision et des ressources restreint la liberté d’initiative des cadres. D’où un grand immobilisme dans l’administration publique. Avec le temps, il est possible de dire que la première république faisait mieux fonctionner l’Etat à l’intérieur du pays car la gestion des ressources était moins centralisée. Le décalage entre des principes constitutionnels et les discours politiques qui font la promotion de la déconcentration et la décentralisation, d’une part et une réalité toujours centralisée, d’autre part, est un constat qui se vit tous les jours. Cette réalité est entretenue par un corps législatif et règlementaire et un type de management. Nous pensons que pour consolider la nation et améliorer l’efficacité des politiques publiques, il faudrait renforcer la déconcentration et la décentralisation.

  • L’immixtion de l’Etat dans les affaires

L’administration guinéenne se mêle de tout et fixe souvent des normes qui sont couteuses à réaliser pour une économie fragile comme celle de notre pays. Cela freine le développement du secteur privé. Au lieu d’être des secteurs libres et compétitifs, des pans entiers du commerce et de l’industrie en Guinée semblent être une chasse gardée de certaines entreprises grâce à des pratiques peu morales et non concurrentielles.

Pour adresser la morosité économique actuelle, il faudrait promouvoir une règlementation des activités plus libérales. Il faudrait donc moins de réglementation (moins de licences et approbations à demander) et une simplification de l’accès aux exonérations fiscales[1].  L’idée est de fixer des normes à respecter dans le commerce et l’industrie, et de miser sur une liberté à priori et un contrôle à posteriori du respect de ces normes par les entrepreneurs et industriels.

  • L’absence de promotion d’emplois décents :

L’économie est dominée par le secteur informel (à plus de 75%). Cela a deux effets majeurs : l’étroitesse de l’assiette fiscale et l’importance des emplois précaires.

La Guinée a institué depuis 2018 des Centres de Gestion Agréés pour formaliser le secteur informel. Mais cette réforme a été dominée par les enjeux fiscaux. L’idée fut d’encourager la tenue de comptabilité et la déclaration fiscale en contrepartie d’avantages fiscaux. Les enjeux liés à la précarité des emplois sont ignorés.

La nouvelle approche que nous suggérons est de prioriser la lutte contre la précarité de l’emploi qui touche énormément les jeunes. Pour être clair, l’objectif serait dorénavant de promouvoir le développement de l’activité et l’emploi décent, quel que soit les pertes fiscales. L’Etat pourrait ainsi faciliter la création d’entreprise et exonérer les entreprises informelles en échange d’emplois décents pour les travailleurs des secteurs ciblés. Il s’agit des entreprises informelles évoluant dans les domaines de l’agriculture, de l’artisanat et du commerce.

En effet, le secteur privé est mieux outillé pour l’allocation efficace (productive) de petits revenus. L’atout de l’Etat réside souvent dans l’effet taille, c’est-à-dire les économies d’échelle[2].

  • Le grand « penchant » pour la dépense publique

L’une des caractéristiques de la Guinée est l’importance de la pauvreté qui se manifeste par le faible accès aux services sociaux et infrastructures de base (santé, éducation, eau, électricité, route, …) pour la majorité de la population. Cette situation crée un appétit légitime de la majorité de la population pour la dépense publique, peu importe la qualité. Or la théorie économique ainsi que les expériences historiques documentent assez bien la propension à dépenser des agents de l’Etat et montrent que cette propension n’est pas toujours guidée par la satisfaction de la population.

Ainsi, en Guinée, tout concours à plus de dépenses publiques. La conséquence est que l’efficacité de la dépense publique n’est pas considérée comme prioritaire par toutes les couches sociales.

La question de l’efficacité de la dépense publique intègre des aspects moraux (honnêteté, patriotisme), mais elle ne se réduit pas qu’à cela. La question est d’ailleurs essentiellement une problématique d’outils, de procédures et de contrôle.

C’est pourquoi, le double contexte, rareté des ressources et importance des besoins, devrait inviter à réfléchir sur comment mieux dépenser ? comment améliorer l’efficacité allocative et productive de la dépense publique ?

Les réponses à ces questions sont à rechercher du côté d’une réforme accrue de l’administration publique et de la production d’outils modernes de gestion plus adaptés.

Le chemin que nous proposons est donc celui de réformer l’administration publique pour aller vers une gouvernance qui libère les énergies des Guinéens avec moins de centralisme et d’immixtion de l’Etat dans les affaires.

Dr Mamadou BARRY, Economiste.

[1] Il faudrait envisager des zones libres de toute fiscalité.

[2] L’allocation des ressources par l’Etat n’est pas toujours meilleure à celle du secteur privé.

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