Développement et impatience collective : la Guinée à l’épreuve du temps, de la responsabilité et de la maturité citoyenne (Par Mamoudou Babila Keïta)

il y a 4 heures 32
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Dans de nombreux pays en développement, la tension entre attentes sociales immédiates et temporalité réelle des politiques publiques constitue l’un des défis majeurs de la gouvernance contemporaine.
La Guinée illustre aujourd’hui cette équation complexe, un pays riche en ressources naturelles et en potentiel humain, engagé dans des réformes structurelles importantes, mais confronté à une impatience collective croissante qui fragilise la crédibilité des politiques de développement et alimente une défiance généralisée. Cette impatience, souvent nourrie par des décennies de promesses non tenues, s’exprime désormais comme une exigence de résultats rapides, parfois déconnectée des contraintes institutionnelles, budgétaires et techniques propres aux processus de transformation économique profonde.

Les enseignements comparés de l’économie politique du développement sont pourtant sans équivoque. Les trajectoires réussies en Asie de l’Est, en Europe du Sud après guerre ou plus récemment dans certaines économies africaines émergentes reposent sur des cycles longs de réformes cohérentes, combinant investissements publics ciblés, discipline macroéconomique, renforcement institutionnel et transformation progressive des comportements sociaux. Comme l’ont montré Dani Rodrik et Douglass North, la croissance durable ne résulte pas uniquement de « bonnes politiques », mais de la capacité des sociétés à internaliser des règles du jeu stables, acceptées et respectées. Dans ce cadre, la population n’est pas un acteur périphérique, mais un agent central de co-production du développement, à travers le civisme fiscal, la participation productive, la confiance dans les institutions et le respect des normes collectives.

Sur le plan guinéen, la question centrale n’est donc pas seulement celle de la vitesse des réformes, mais celle de leur appropriation sociale. Une large partie des politiques publiques engagées qu’il s’agisse de modernisation agricole, de valorisation minière, d’infrastructures stratégiques, d’énergie ou de réformes de gouvernance ne peut produire des effets durables sans une évolution parallèle des comportements économiques et citoyens. L’informalité persistante, la tolérance sociale à la corruption de proximité, la faible contribution fiscale, le rejet sélectif de l’autorité publique et la politisation excessive de la frustration sociale constituent des facteurs endogènes de blocage, largement documentés par les institutions internationales. Dans ces conditions, l’impatience populaire, lorsqu’elle se transforme en rejet systématique de l’effort institutionnel, devient un frein structurel au développement qu’elle prétend accélérer.

Politiquement, il devient impératif de réhabiliter un discours de vérité, à contre-courant des narratifs simplificateurs. Croire au processus de développement engagé ne signifie ni absoudre les gouvernants de leurs responsabilités ni renoncer à l’exigence de résultats mesurables. Cela implique, en revanche, de reconnaître que le développement est un processus cumulatif, fondé sur la continuité des politiques, la stabilité des orientations stratégiques et la responsabilité partagée entre l’État, le secteur privé et les citoyens. Les expériences internationales montrent que les pays qui ont cédé à la pression de l’urgence sociale au détriment de la cohérence stratégique ont souvent compromis leurs trajectoires de long terme, tandis que ceux qui ont su construire un consensus national autour d’objectifs réalistes ont progressivement consolidé leur prospérité.

L’enjeu pour la Guinée est donc moins de produire des effets spectaculaires à court terme que de réussir une transformation structurelle inclusive, capable de convertir ses ressources naturelles en capital humain, productif et institutionnel. Cela suppose une patience stratégique collective, une responsabilisation accrue des citoyens et un rejet clair du populisme économique. Le développement n’est ni un événement ponctuel ni une promesse politique ; il est un contrat social intergénérationnel, exigeant rigueur, discipline et confiance réciproque. À ce prix seulement, la Guinée pourra transformer l’espoir en trajectoire durable et faire du temps non plus un ennemi, mais un allié de son développement.

Mamoudou Babila KEITA
Consultant Chercheur en Gestion des projets et des politiques de développement.

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