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Musicien, balafoniste, guitariste et arrangeur, né en 1972 à Mana Farabana, dans la sous-préfecture de Mana Mamouroudou, préfecture de Kankan, Djékoria Mory Kanté est fils de feu Babou et de feue Djékoria Diabaté. Marié à deux femmes, il est père de quatre enfants, dont un garçon. Fils aîné de sa famille et contraint d’aider dans les travaux champêtres pour la survie de celle-ci, il n’aura passé que trois années de scolarité à l’école primaire.
Issu d’une famille de griots, du côté de son père comme de sa mère, il a connu la musique depuis le berceau, son père étant un célèbre guitariste et chanteur reconnu dans sa contrée. Devenu plus tard célèbre guitariste soliste, accompagnateur et arrangeur attitré, Guineenews a rencontré Djékoria Mory Kanté à son domicile, au quartier Gbessia (Camp carrefour).
Fidèle compagnon de studio, de spectacles et de concerts du « Béléléba » de la musique traditionnelle mandingue de Guinée, feu Mory Djély Deen Kouyaté, Djékoria Mory se livre au micro de la rubrique « Que sont-ils devenus ? ». Dans un entretien à bâtons rompus, Djékoria Mory Kanté, de son champ de Mana Farabana à Tokounou, nous raconte son apprentissage du balafon et de la guitare, bien sûr au détriment des bancs d’école. Il nous explique comment à son arrivée à Conakry, il a noué amitié avec Mory Djély Deen Kouyaté, son intégration dans la musique moderne en tant que nouveau musicien. En outre, il nous éclaire sur les touches particulières qu’il a apportées dans les albums de Mory Djély Deen Kouyaté. Dans cette première partie de cet entretien, découvrez un pan du parcours de Djékoria Mory Kanté, ami personnel, guitariste attitré, « l’autre paire musicale » du « Béléléba » de la chanson traditionnelle mandingue de Guinée. Lisez !
Guineenews : pouvez-vous nous retracer le chemin qui vous a personnellement conduit à la musique ?
Dyékoria Mory Kanté : je suis vraiment heureux de vous recevoir. Pour votre information, je porte le nom de mon grand-père maternel, Famoro Konkoba qui vivait à Tokounou et était un grand joueur de balafon. Du champ de mon père, j’ai quitté pour aller apprendre le balafon auprès de lui pendant deux ans, de 1980 à 1982. Après ces deux années en compagnie de mon grand-père, je suis retourné au village pour continuer les travaux champêtres. Plus tard, j’ai été récupéré par mon oncle feu Djénèbô Kanté, qui tenait à ma scolarisation. Il m’a donc ramené à Tokounou, chez mon autre oncle, Malon Mady Kanté qui était enseignant et ancien Directeur de la radio rurale de Kérouané. Comme on dit : « On ne peut pas fuir son destin, il vous rattrape toujours en chemin. » Arrivé chez mon oncle Malon Mady, le destin a commencé à se jouer. Chez lui vivait également l’autre jeune frère de mon père, Djènè Djomba, communément appelé « Jo Ballard », un non-voyant. Celui-ci était un excellent guitariste de renommée à Tokounou et environs. Il avait même réalisé quelques enregistrements diffusés souvent à la Radio Guinée. Il s’est engagé directement pour m’apprendre la guitare et c’est lui qui m’a donné les premières notes à la guitare. Les portes de l’école se sont alors définitivement fermées pour moi. C’est en août 1989 que je suis arrivé à Conakry, chez l’oncle Djénèbô Kanté, au quartier Coleah où j’ai continué mon apprentissage de la guitare.
Guinéenews : du balafon à la guitare, aviez-vous eu une idole, que ce soit au village où tout a commencé ou à Conakry ?
Djékoria Mory Kanté : au village, je n’avais pas connu le monde de la musique moderne. C’est effectivement à Conakry que j’ai commencé à tendre l’oreille et à écouter plusieurs guitaristes. Mon oncle Djessou Mory Kanté fut tout au début mon idole. C’est l’actuel guitariste soliste du grand Salif Kéita. À Conakry, il a été mon premier maître. Ensuite est venu le grand maître, celui qui m’a initié, qui m’a montré les accords et la rapidité de jeu à la guitare : je parle du célèbre et légendaire guitariste Papa Diabaté, l’un des fils de feu El Hadj Sidikiba Diabaté. Je fus son dernier élève avant son rappel à Dieu (paix à son âme). J’ai profité au maximum de ses enseignements sur tous les aspects techniques de la guitare. Il fut pour moi un modèle. C’est ce qui explique ma folle admiration pour le doyen Sékou Diabaté Bembeya, fruit de cette fructueuse et grande école du grand Papa.
Guinéenews : le jeune élève guitariste de Mana Farabana (Kankan) arrive dans la capitale. Quelle fut la suite de votre parcours dans le domaine de la musique, et avez-vous évolué avec quelques orchestres de Conakry ?
Djékoria Mory Kanté : au départ, je n’ai pas joué au sein d’un orchestre moderne dans la capitale. C’est suite au départ de Djessou Mory Kanté pour la France que j’ai occupé sa place de guitariste dans l’ensemble de mon oncle Djénèbô Kanté qui animait des cérémonies de baptêmes, mariages et d’autres réjouissances cultuelles et folkloriques. En 1990, feu Mory Djély Deen Kouyaté est arrivé à Conakry en provenance de Paris. Auparavant, il avait noué de solides relations avec mon père lorsqu’il était venu s’installer à Kankan, chez feu N’Diati Balakala, ex-musicien du 22 Band et du Horoya Band de Kankan. Je fus présenté à Mory Djély chez mon oncle, et depuis, nous sommes devenus inséparables. Le lendemain, il est venu me chercher et m’a trouvé en train de jouer à la guitare. Il a apprécié ma façon de jouer. Avant de partir avec lui, il m’a dit : « Ton père m’a beaucoup aimé, et à mon tour, je vais te rendre la monnaie de sa pièce. Je te rendrai la même amitié » Nous nous fréquentions entre Coléah et Siguiri, où il faisait ses répétitions avec son groupe récemment formé. Ce groupe a été créé après la sortie de son album dont un des titres a été dédié à feu Lamine Magassouba intitulé « I lô yôrô ». Bien que j’aie tout pardonné, je dois avouer que je n’ai jamais été accepté par certains membres de ce groupe. Ils m’ont toujours empêché de suivre les séances de répétition. Mory, fidèle à son engagement envers l’amitié, a toujours ouvert sa porte pour me recevoir, malgré les comportements incompréhensibles de certains musiciens de son groupe.
Guinéenews : concrètement, comment avez-vous franchi le pas vers la musique moderne ?
Djékoria Mory Kanté : à un moment, Mory Djély Deen est reparti en tournée de quelques mois en France. À son retour, il fut désagréablement surpris de trouver son groupe de musique disloqué. Chaque membre ayant pris une autre direction, sauf le balafoniste Mabou Camara, qui lui est resté fidèle. Très déçu, Mory Dyély me parlait ainsi : « N’Toma (mon homonyme), finalement, je vais partir d’ici et quitter définitivement la Guinée. J’ai été trahi par mes éléments.» C’est ainsi que je lui ai proposé mes services en tant que guitariste, bien que peu expérimenté. Il était inquiet à cause de mon oncle Djénèbô pour qui je prêtais mes services de guitariste. Il craignait déjà des possibles conséquences que ce départ du groupe de mon oncle aurait pu causer. Courageusement, je lui ai dit : « Mory, je te soutiendrai jusqu’à la fin de ma vie. Donc, tu n’iras nulle part, nous allons continuer ensemble et je trouverai les excuses possibles pour l’oncle et la famille. » Nous avons pris des risques, et à trois avec le balafoniste, nous avons continué le chemin malgré les critiques perpétuelles des uns et des autres. Le trio animait un peu partout dans la capitale. Après plusieurs années de répétitions, de spectacles, de concerts et d’autres animations, nous avons finalement enregistré un album à Abidjan, au studio ‘’JBZ’’ où vous retrouverez les titres « Gnarigbassa », « Djelikè dondon » et plusieurs autres titres alléchants. Voilà comment, au début, je suis venu dans la musique moderne.
Guinéenews : finalement, vous avez choisi de quitter votre oncle, feu Djénèbô Kanté, au profit de Mory Djély Deen Kouyaté. Par cet acte, quelles ont été, à l’immédiat, les réactions de votre famille ou de votre oncle, qui était également musicien ?
Djékoria Mory Kanté : je vous assure que les relations entre moi et ma famille ont été très tendues et menacées de rupture. Lorsque nous avons terminé de préparer la prémaquette de l’album, mes parents se sont opposés à mon voyage à Abidjan avec Mory. Or, Mory tenait absolument à ma présence au studio. Dans ces tiraillements, Mory a perdu des billets d’avion à trois reprises à cause de moi. Mes parents n’étaient toujours pas d’accord avec ma décision de continuer avec Mory. Après plusieurs doléances de la part de personnes proches et influentes, mon oncle a finalement accepté. L’idée qui le dérangeait était qu’il craignait que je ne revienne plus en Guinée après ce voyage. Ce ne fut vraiment pas facile.
Guinéenews : dans ce premier album, en compagnie de Mory Djély Deen Kouyaté au studio ‘’JBZ’’, pouvez-vous nous dire quelles ont été particulièrement vos propres contributions ?
Djékoria Mory Kanté : étant donné que je n’étais pas encore très expérimenté, j’étais là principalement pour les accompagnements. Vous savez, Dieu fait bien les choses. Une fois arrivé au studio, les notes du soliste (malien d’origine), choisi par Mory, n’ont pas convaincu feu Cheick Smith Chérif. Ce dernier était un excellent musicien, maîtrisant parfaitement ce domaine. Il m’a alors directement appelé et m’a demandé de proposer d’autres lignes de guitare solo. Lors de l’essai, j’ai proposé un premier solo pour le titre « Djélikè dondon ». Cela a été un véritable enthousiasme dans le studio. Mory a été surpris et par la suite, c’est moi qui ai joué les solos sur les titres « Rougui Baldé », « ATT » et « Télén bâ », un titre dernier qui constitue un hommage de Mory à ses musiciens. Donc, pour ce premier album, mes contributions ont été l’accompagnement solo dans ces trois titres que sont « Djélikè dondon », « Gnarigbassa », « ATT » (Amadou Toumany Touré), « Rougui Baldé » et « Dalo Kanté ».
Guinéenews : à part ce premier album, avez-vous participé à la réalisation d’autres albums avec Mory Djély ?
Djékoria Mory Kanté : oui, j’ai participé à la réalisation d’un second album en 1995. Dans cet album, Mory a chanté les louanges de Harouna Conté (jeune frère de feu général Lansana Conté). La dédicace de cet album a eu lieu le 6 janvier 1996. Je voudrais attirer votre attention sur un détail intéressant : Mory Djély a fait coïncider les dédicaces de ses albums avec la date du 6 janvier. Curieusement, lorsque je lui ai demandé pourquoi il choisissait cette date, il m’a simplement répondu : « Homo, c’est un choix, et j’aime bien cette date ». J’avoue que je suis toujours resté sur ma faim. La dédicace du premier album avec lui a eu lieu le 6 janvier 1993, et celle du second le 6 janvier 1996. Il y a eu un troisième album, auquel j’ai peu participé en raison de mes déplacements. J’ai joué dans un seul titre de son dernier album, réalisé entre 2013 et 2014, en collaboration avec Jean Philippe Rykiel, et cet album n’est pas encore sur le marché.
Guinéenews : à part Mory Djély Deen Kouyaté, y a-t-il d’autres vedettes guinéennes avec lesquelles vous avez collaboré ?
Djékoria Mory Kanté : j’ai joué avec plusieurs groupes musicaux et avec de nombreuses vedettes. Je suis souvent sollicité en renfort au sein des groupes. J’ai joué avec mon grand frère Kerfalla Kanté (paix à son âme). Je l’ai accompagné lors de la dédicace de son album « Yarabi Könkön », et nous avons effectué ensemble toutes les tournées à l’intérieur du pays. Outre Mory Djély et Kerfalla Kanté, j’ai joué avec d’autres vedettes internationales en Afrique. Sur le plan national, j’ai joué et arrangé de nombreux albums à succès de nos vedettes guinéennes. La liste est longue… (à suivre).
Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews