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Résumé
Cet écrit examine la crise persistante de monnaie en Guinée et propose une stratégie de transformation structurelle basée sur la migration de la monnaie physique vers la monnaie électronique. L’approche intégrée présentée combine réforme technologique, renforcement sécuritaire et gouvernance monétaire orthodoxe pour résoudre le paradoxe d’insuffisance de liquidité immédiate malgré une masse monétaire théoriquement suffisante.
Contexte
La République de Guinée fait face à une crise structurelle de liquidité fiduciaire caractérisée par trois manifestations principales: la rareté chronique des billets en circulation, l’augmentation des coûts d’accès à la monnaie physique, et la fragmentation des circuits monétaires officiels. Cette problématique s’inscrit dans ce que la littérature économique internationale qualifie de conundrum monétaire, soit un paradoxe où la masse monétaire globale – mesurée en agrégats tels que M2 ou M3 – demeure théoriquement suffisante, voire excédentaire, tandis que la liquidité immédiatement disponible pour les transactions courantes est insuffisante pour satisfaire les besoins de l’économie réelle (1). Ce dysfonctionnement transcende les simples déficits d’impression ou d’approvisionnement en billets, révélant plutôt une inefficacité structurelle dans la transformation et la circulation des formes monétaires (2). Les travaux récents de Krugman (2023) sur les paradoxes de liquidité dans les économies émergentes confirment cette analyse systémique (3).
Le contexte guinéen présente des spécificités aggravantes: dépendance disproportionnée aux paiements en espèces (4), infrastructures de paiement électronique interopérables insuffisantes (5), et faible sécurisation des points d’émission monétaire électronique (6). Ces facteurs convergent vers un affaiblissement de la capacité étatique à exercer pleinement ses prérogatives monétaires, la monnaie perdant partiellement sa fonction d’instrument fluide de règlement des échanges. Cette analyse s’appuie sur les contributions concernant la crise de liquidité guinéenne, les exigences de gouvernance monétaire orthodoxe fondée sur les meilleures pratiques internationales, et les expériences africaines et nord-américaines réussies. L’objectif est de démontrer que la résolution du conundrum nécessite une réponse intégrée associant réforme technologique, renforcement sécuritaire et planification opérationnelle progressive pour restaurer l’efficacité monétaire comme bien public et pilier de l’autorité étatique.
Cadre conceptuel et normatif
La résolution durable du conundrum monétaire guinéen exige l’alignement des réformes sur un cadre rigoureux intégrant les principes de gouvernance monétaire orthodoxe et les standards internationaux en matière de systèmes de paiement. Dans les économies où la monnaie conserve sa crédibilité et sa fluidité, la Banque centrale agit comme garant ultime de la stabilité fiduciaire, indépendamment du support –physique ou électronique. La doctrine orthodoxe, énoncée par la Banque des Règlements Internationaux (BRI), impose que toute forme de monnaie légale soit adossée à la capacité souveraine de l’État de garantir sa convertibilité et sa valeur (7). Cette approche est corroborée par les travaux de Borio et Disyatat (2020) sur l’évolution des paradigmes monétaires (8).
La transition de la monnaie fiduciaire guinéenne du support physique vers l’électronique ne constitue pas une innovation expérimentale mais l’actualisation d’un principe fondamental: la monnaie demeure unpassif de la Banque centrale envers le public, dont le support technique peut évoluer sans altérer sa nature juridique (9). Cette transformation doit s’accompagner d’une infrastructure nationale de paiement interopérable, inspirée des succès comme le Rwanda qui a transformé son paysage financier à travers le développement d’une infrastructure nationale de paiement interopérable, le Rwanda National PaymentSystem, piloté par la Banque nationale. Cette transition de la monnaie papier vers l’électronique a permis d’intégrer banques, opérateurs mobiles et institutions de microfinance sur une plateforme centralisée, offrant à la monnaie électronique un statut légal et une supervision rigoureuse. Elle a aussi favorisé la fluidité des transactions, l’inclusion financière et la sécurité des flux monétaires. La même stratégie trouve écho dans d’autres réussites régionales telles que le Ghana Interbank Payment and Settlement System (GhIPSS) ou le réseau M-Pesa au Kenya. Dans ces pays, la monnaie électronique conserve son statut légal complet et bénéficie d’une supervision intégrale de la Banque centrale, garantissant une fluidité optimale et une couverture universelle.
Les normes définies par le Committee on Payments and Market Infrastructures (CPMI) et l’Organisation Internationale de Normalisation (ISO) exigent que tout système national de paiement électronique garantisse la sécurité transactionnelle, la résilience opérationnelle et la capacité de règlement en temps réel (12). Pour la Guinée, ces standards impliquent l’établissement d’une plateforme centralisée sous contrôle direct de la BCRG, intégrant opérateurs de téléphonie mobile, banques et établissements de microfinance (13). L’objectif consiste à rendre chaque transaction électronique équivalente, en termes de garantie et valeur, à une transaction en billets, éliminant les arbitrages alimentant la demande excessive de cash physique.
Les États-Unis et la Chine offrent un exemple pertinent de gouvernance monétaire intégrée à la sécurité nationale (14). Aux USA, chaque point de circulation de dollars américains relève de la supervision fédérale et peut impliquer l’intervention coordonnée de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), de l’Office of the Comptroller of the Currency (OCC), du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), du United States Secret Service et du Federal Bureau of Investigation (FBI) en cas d’infraction (15). Cette architecture démontre l’indissociabilité entre sécurisation monétaire et exercice de la souveraineté (16). Pour la Guinée, l’intégration de ces normes suppose de considérer les points d’émission et de réception de monnaie électronique comme des zones stratégiques relevant directement de la souveraineté étatique, nécessitant sécurisation par une combinaison de moyens civils et militaires.
Dimensions sécuritaires et souveraineté monétaire
La monnaie, quel que soit son support, constitue un attribut central de la souveraineté nationale. En Guinée, la crise de liquidité fiduciaire actuelle ne peut être résolue durablement sans intégrer une dimension sécuritaire forte, proportionnelle aux risques économiques et politiques générés. La théorie monétaire contemporaine établit que la confiance monétaire est indissociable de la capacité étatique à garantir l’intégrité, la disponibilité et la libre circulation (17). Cette perspective est renforcée par les analyses de Mehrling (2022) sur l’architecture des systèmes de paiement modernes (18). Lorsque les points d’émission et de réception de fonds – guichets bancaires, agences de mobile money, distributeurs automatiques – ne bénéficient pas d’une protection uniforme et effective (19), les perturbations d’approvisionnement, attaques récurrentes à main armées des guichets mobile money, et détournements de liquidité peuvent rapidement déclencher des crises systémiques (20).
Dans les économies dotées d’une gouvernance monétaire consolidée, la sécurisation physique et numérique des infrastructures monétaires relève directement de l’appareil d’État (21). Le système américain illustre cette intégration: tout lieu de manipulation de monnaie légale peut être placé sous contrôle ou supervision de l’administration fédérale (22). En cas d’infraction ou de menace, les agences spécialisées peuvent être mobilisées de manière coordonnée (23). Cette reconnaissance institutionnelle confirme que la monnaie, instrument stratégique, doit bénéficier d’un régime de sécurité renforcé et coordonné (24). Les travaux de Yellen et Bernanke (2023) sur l’intégration sécuritaire des systèmes financiers confirment cette approche (25).
La Guinée gagnera à inscrire explicitement, dans son architecture de politique monétaire et financière, une obligation de sécurisation totale des points de distribution et de collecte de monnaie électronique. Cela impliquera la reconnaissance juridique que les agents et distributeurs agréés de mobile money exercent une fonction quasi-souveraine, matérialisant l’accès public à la monnaie légale. Une stratégie de type flood-the-zone – consistant à saturer le territoire par une densité élevée de points d’accès sécurisés à la monnaie électronique – agira comme levier dual: résorption du conundrum monétaire par réduction de la dépendance au cash physique, et renforcement du maillage sécuritaire étatique consolidant l’autorité territoriale effective. Ce couplage entre réforme monétaire et stratégie sécuritaire créera un signal fort, démontrant que la stabilité fiduciaire constitue une priorité nationale soutenue par l’appareil régalien.
Actions et enjeux pour une optimisation durable
La première phase du plan d’actions de sortie de crise consiste à établir un cadre légal conférant à la monnaie électronique adossée à la Banque centrale le même statut juridique que la monnaie fiduciaire papier, ce qui est déjà un acquis en Guinée. Aller au-delà de cet acquis textuel pour un renforcement du système permettra à tout détenteur d’un numéro de téléphone – y compris sur des terminaux non connectés à Internet – de disposer d’un compte de monnaie électronique garanti par la BCRG, analogue à la couverture FDIC américaine pour les dépôts bancaires. L’interopérabilité entre opérateurs de télécommunications et établissements financiers sera assurée par une plateforme nationale centralisée de compensation et de règlement, opérée sous l’autorité directe de la Banque centrale.
La deuxième phase implique la migration progressive des flux financiers vers ce système, en priorisant les transactions de masse à forte intensité de cash. Les paiements de salaires publics, transferts sociaux, règlements fiscaux et douaniers ainsi que les paiements interentreprises devront être numérisés prioritairement, créant un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’économie. Ce basculement sera accompagné d’incitations économiques: réduction des frais de transaction électronique et augmentation temporaire des frais de retrait en espèces, rééquilibrant la demande vers l’électronique. La troisième phase met en œuvre une stratégie de sécurisation territoriale des points d’émission et de réception de monnaie électronique. Inspirée du modèle américain où tout point de manipulation de dollars relève du périmètre des autorités fédérales, cette approche impliquera que chaque guichet mobile money, distributeur automatique, ou point de retrait agréé bénéficie d’une protection physique et numérique renforcée, fournie ou supervisée par l’État. Ce dispositif pourra, dans un premier temps, être déployé par un maillage duterritoire afin de projeter un effet affirmatif, puis ajusté selon les besoins opérationnels identifiés.
La quatrième phase déploie un programme d’éducation financière et numérique pour asseoir l’acceptation sociale de la monnaie électronique. La recherche économique établit que la confiance dans un instrument monétaire repose autant sur sa stabilité technique et juridique que sur la compréhension de ses utilisateurs (26). Les études de Dupas et Robinson (2021) sur l’adoption des technologies financières en Afrique soulignent l’importance critique de l’éducation financière (27). Des campagnes ciblées, en langues nationales et adaptées aux réalités locales, accompagneront la transition pour réduire la résistance au changement (28). Un système de suivi et d’évaluation intégré dès la conception du programme mesurera la part des transactions migrées vers l’électronique, la densité des points sécurisés, la vitesse moyenne des règlements interopérables, et la perception publique de la sécurité monétaire. Ce mécanisme permettra d’ajuster continuellement les paramètres de politique monétaire et les choix technologiques, tout en maintenant la cohérence avec les objectifs de stabilité macroéconomique et de souveraineté monétaire.
La résolution de cette crise monétaire ne saurait se limiter à un accroissement mécanique de l’offre de billets, au risque de nourrir des déséquilibres inflationnistes et de saper la crédibilité de la politique monétaire. Elle appelle une stratégie de transformation structurelle: la migration prioritaire de la monnaie fiduciaire du support physique vers le support électronique, conservant son caractère légal et sa garantieintégrale par la Banque centrale. Cette transition ne constitue pas une substitution par une monnaie privée ou une cryptomonnaie, mais un changement de support de la monnaie légale. Chaque détenteur d’un numéro de téléphone, y compris sur des appareils non-smartphones, se verra attribuer un compte de monnaie électronique adossé directement à une institution agréée et couvert par la garantie publique. La Banque centrale, à travers un système de compensation et d’interopérabilité nationale, pourra jouer un rôle analogue à celui exercé par la Federal Reserve via FedNow ou Fedwire, assurant fluidité, sécurité et traçabilité des transactions.
Ainsi conçu, le plan d’action ne se limite pas à un ajustement conjoncturel, mais constitue une réforme structurelle visant à aligner la Guinée sur les meilleures pratiques internationales tout en consolidant son autorité monétaire. En plaçant la migration fiduciaire vers l’électronique au cœur de sa gouvernancemonétaire, l’État guinéen se dotera d’un outil robuste pour restaurer la liquidité, renforcer la sécurité économique et consolider sa souveraineté.
Adama Guilavogui, Ph.D., JD
Références
L’article Résoudre la crise de circulation monétaire en Guinée: approche intégrée pour une gouvernance monétaire adaptée aux réalités nationales (Par Dr Adama Guilavogui) est apparu en premier sur Mediaguinee.com.