Le serpent et le scorpion : pourquoi les financements concessionnels ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt [Tribune]

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 pourquoi les financements concessionnels ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt [Tribune]

« Parce que nous nous sommes concentrés sur le serpent, nous n’avons pas vu le scorpion ! » Ce proverbe égyptien évoque non seulement la nécessité de considérer les problèmes dans leur globalité, mais aussi l’importance de bien les définir pour une solution adéquate.

A l’heure des discussions sur la reconstitution des fonds concessionnels de l’Association internationale de développement (IDA en anglais), ce dicton vient à point nommé. En effet, notre continent a besoin de ces prêts, dont les taux d’intérêt sont inférieurs à ceux du marché, pour développer ses infrastructures, stimuler la croissance et améliorer le bien-être de ses populations. A cet égard, la Banque africaine de développement estime ces besoins annuels de financement compris entre 130 milliards de dollars et 170 milliards de dollars laissant apparaître un écart à combler de près de 100 milliards de dollars.

Mais le contexte actuel s’est durci pour l’Afrique alors que plusieurs pays continuent de faire face à des défis majeurs. Les gouvernements sont pris entre le marteau d’un besoin pressant de liquidités à court-terme et l’enclume du capital patient requis pour financer l’économie et la faire croître. Ce défi est rendu plus difficile en raison de la multiplicité de chocs, dont les effets s’auto-alimentent. Crise alimentaire et de carburant, impact de la guerre en Ukraine, effets du changement climatique ou tensions géo-politiques, ces éléments ont aggravé les écarts de financements et accru la vulnérabilité de plusieurs pays africains face à leur dette. Dans un tel contexte, les ressources concessionnelles allègent le fardeau de la dette comme ce fut le cas pour mon pays.

En 2016, au sortir d’Ebola, nous avons eu besoin de financer une route d’accès au grenier de notre pays qu’est la région de la Guinée forestière. Il fallait désenclaver cette zone afin d’assurer des débouchés et des revenus accrus pour nos agriculteurs. Une partie du financement sous forme de prêt était identifié avec une institution financière de développement. Mais celui-ci ne respectait pas certaines exigences de notre programme avec le FMI. Alors ministre de l’Économie et des finances, j’entrepris de rechercher d’autres sources de financements plus favorables tout en discutant âprement avec nos partenaires. Nous avons identifié un financement concessionnel et avons structuré le financement total, parvenant ainsi à satisfaire ce critère.

Ces ressources trouvent là toute leur pertinence pour lisser le profil de la dette. Ils peuvent alléger des paiements d’intérêt sur les Eurobonds ou la dette commerciale devenus écrasants pour de nombreux pays africains. Ces derniers s’acquittent d’intérêts compris entre 5% et 16% sur les eurobonds à 10 ans, comparés à des taux proches de 0% voire négatifs pour les gouvernements européens ou américains. Les pays africains consacrent aujourd’hui plus de ressources budgétaires au service de la dette qu’au financement de secteurs pourtant essentiels à nos économies et nos populations comme l’éducation ou la santé. Dans ces conditions l’augmentation significative des financements concessionnels est une nécessité. Pourtant, ils déclinent progressivement et sont passés de 78% en 2012 à 64% de la dette multilatérale totale en 2022. Nous connaissons certaines des raisons : un accès accru aux marchés financiers internationaux par plusieurs pays africains grâce à de meilleurs fondamentaux macroéconomiques.

Mais le débat sur les financements concessionnels ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt et occulter quatre points essentiels pour un accès aux ressources adaptées aux besoins de financements de l’Afrique.

D’abord, les institutions financières de développement doivent se réformer. En Guinée, nous avons parfois cherché en vain des financements concessionnels, notamment dans le cadre d’un projet de construction de barrage hydro-électrique. L’institution sollicitée a été trop lente, trop casanière dans son approche et peu réactive en dépit de l’importance du projet. Quand elle est revenue vers nous, le projet était réalisé. Certes, certaines institutions ont progressé, mais il reste encore à faire pour qu’elles soient plus réactives, soucieuses des besoins des pays dotées de procédures claires. Réduire les délais d’approbation de requêtes de financements et de décaissements, adaptés au cycle et aux besoins des projets reste un impératif. Peut-être que cela appellerait à avoir des institutions qui privilégient la diversité de pensée et le pragmatisme de l’expérience. Mais est-il possible de se réformer pour des organisations qui ne bénéficient pas de l’onction de la légitimité populaire ?

Ensuite, il faut des capitaux patients en monnaie locale. Les actions entreprises pour les identifier et les mobiliser doivent être accélérées. Les investisseurs institutionnels, comme les fonds de pension ou les acteurs du secteur informel, sont une partie de la réponse avec l’opportunité de réduire une exposition au risque de change accrue. Près de 60% de l’augmentation de la dette publique s’expliquent par des dépréciations du taux de change. Poursuivre l’intégration des marchés financiers régionaux et développer des marchés financiers nationaux plus liquides et profonds restent des priorités, notamment dans le contexte de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).

La perception du risque qui résulte en partie des notations par les agences de crédit internationales demeure exagérée et contestée sur le continent. Une méthodologie considérée opaque, un manque de transparence et d’objectivité continuent d’alimenter la perception d’un « deux poids, deux mesures » défavorable à l’Afrique et générant des coûts d’emprunts plus élevés. Cette situation milite pour le recours à des agences de notation panafricaines. A cet égard, la décision de l’Union africaine de mettre en place une telle agence est à saluer. Toutefois, gardons-nous de créer de nouvelles structures et privilégions les collaborations avec les agences indépendantes africaines qui œuvrent déjà sur le continent. Elles comprennent la complexité de nos économies et offrent un regard plus acéré et innovateur en fines connaisseuses du contexte de nos pays.

Finalement, le débat sur l’accroissement des financements concessionnels n’appelle-t-il pas à une meilleure coordination des politiques macroéconomiques au niveau mondial, incluant des diagnostics partagés et ce malgré la complexité de l’exercice ? N’est-ce pas le véritable enjeu? Il y a peu, des études révélaient que les niveaux d’inflation observés au sein des économies développées seraient expliqués à près de 40% par le maintien des marges des entreprises. Or, cet élément n’était pas initialement totalement appréhendé. Et l’une des réponses de politique économique classique a été d’augmenter les taux d’intérêts, avec des conséquences complexes pour d’autres régions du monde, dont l’Afrique. Non seulement nous serions-nous concentrés sur le serpent, pour rater le scorpion, mais peut-être aurions-nous pris un serpent pour un ver de terre !

Coordonner nos politiques macroéconomiques s’avère donc crucial et la place de l’Afrique au G-20 est un pas franchi important qui peut y aider. Mais cela requiert que nous consolidions notre coopération macroéconomique à l’échelle du continent pour une voix qui porte nos intérêts et une voie nouvelle pour une architecture financière globale au service de l’Afrique. Cela passe également par des institutions financières plus fortes. L’Alliance pour les institutions financières multilatérales lancée en février dernier par des Chefs d’États africains est un nouveau cap à saluer, à condition de ne pas oublier l’essentiel : nous devons mettre la main à la poche pour financer nos institutions.

Par : Malado Kaba, économiste et conférencière africaine, est la directrice générale de Falémé Conseil et ancienne ministre de l’Économie et des finances de Guinée.

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