Projet Simandou : du chemin de fer à la route du fer (Tribune de Justin Morel Junior)

il y a 6 mois 104
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Je suis de la génération de ceux qui, à coups de cours de géographie reçus et de leçons apprises assidûment, ont toujours rêvé d’une grande locomotive franchissant les contreforts des massifs forestiers du Simandou-Nimba, traversant avec rapidité et majesté les savanes arborées de Haute Guinée, s’enfonçant furtivement dans les montagnes boisées du Foutah Djallon, pour croiser gaiement l’harmattan de Guinée maritime, avec un salut respectueux au mont Kakoulima et un fier regard sur l’Océan Atlantique. On l’appelait déjà fièrement: “Le TransGuinéen”, avec dans ses wagons imaginaires, du fer d’une teneur exceptionnelle entre 65 et 70 %.
Oui, je suis de cette génération pour laquelle ce fut un rêve, à la cadence des turbulences sociopolitiques que la Guinée a connues. Mais aujourd’hui, par les réalités que je viens de vivre entre Beyla et Kérouané, où se déploie avec force et intelligence le projet Simandou; le rêve devient réalité.

Route du fer ou Route de fer

Route du fer ou Route de fer, tout lui sied bien, car cette commutativité correspond à une immense réalité. Le fer du Simandou est incontestablement le plus grand gisement à haute teneur connu et non exploité au monde. C’est le “ Caviar du fer”, affirment les connaisseurs, qui se réjouissent de cet avantage comparatif en matière de décarbonation dans l’industrie sidérurgique.
De 1974 à nos jours, cette solution n’a pu malheureusement prospérer. Vers la moitié des années 1990, le Gouvernement guinéen cible le géant anglo-australien Rio Tinto, en vue de l’appuyer dans les prospections des richesses minières du Simandou, jamais véritablement évaluées depuis la colonisation. Rio Tinto obtient une licence d’exploration et lance les travaux en octobre 1997. Le grand défi pour la joint-venture Rio Tinto Simfer, c’est comment protéger l’environnement humain et naturel en assurant une exploitation correcte des ressources.
En février 2007, le cabinet d’Etudes DE Consult recommande que le TransGuinéen et le port soient financés par les sociétés minières les exploitant. Une logique qui a finalement prévalu, malgré tous les feuilletons économico-politiques que le projet a traversés. Mais, les autorités guinéennes de la Transition intervenue en septembre 2021, avec l’ambition de définitivement faire avancer le projet, ont ordonné d’arrêter les travaux du Simandou en juillet 2022, afin que les différentes parties renégocient et s’accordent sur l’impérieuse participation de l’État guinéen dans le consortium qui sera créé. Pour le Gouvernement guinéen : « le projet Simandou doit engendrer une transformation économique sans précédent en Guinée et servir de plateforme pour le développement économique du pays ». En un temps record, un accord solide est trouvé entre les trois différents partenaires : l’État guinéen, le groupe anglo-australien Rio Tinto Simfer et le Chinois Winning Consortium Simandou (WCS). Ensemble, ils vont fonder la co-entreprise Compagnie du TransGuinéen (CTG).

Un effet démultiplicateur

Souvenons-nous que depuis 2023, la Guinée est passée du statut de pays à faible revenu à celui de pays à revenu intermédiaire dans le classement de la Banque Mondiale et que le FMI a révisé à la hausse la croissance du PIB à 5,9 % en 2023. Mieux, selon les données de l’analyste industriel WoodMac, le projet Simandou pourrait avoir un impact estimé à une perspective de 9,4 milliards de dollars par an sur l’économie guinéenne d’ici 2030. L’investissement dans les infrastructures du projet aura un effet démultiplicateur qui génèrera une plus-value économique dans toute la Guinée, au-delà du secteur minier, accroissant ainsi la demande d’un large éventail de biens et de services.
Il est intéressant pour Madame Aicha Bah (ancienne ministre de l’Éducation et fonctionnaire des Nations unies) et moi, visiteurs du 12 au 14 avril 2024 des sites de Beyla et Kérouané, d’observer que les sociétés bénéficiaires de cet immense projet, évoluent dans un esprit proactif de co-entreprise pour booster effectivement les plans de co-développement des infrastructures ferroviaires et portuaires, en favorisant également le contenu local. Des opportunités sont offertes actuellement à plus de 300 entreprises enregistrées en Guinée. Elles ont pu décrocher des contrats avec Rio Tinto, leur assurant un financement durable pour investir dans leurs activités et former de nouveaux talents nationaux. Il existedes espaces de croissance pour les entreprises guinéennes qui devront planifier le développement de connaissances et de compétences locales répondant aux besoins essentiels du Simandou, ce projet structurant qui révolutionnera véritablement l’économie guinéenne. Ces entreprises partenaires assureront ainsi la durabilité de leurs activités, pour affronter valablement la compétitivité du marché du travail guinéen.
L’initiative du centre de formation professionnelle de Beyla, entre Rio Tinto Simfer, le ministère de l’Enseignement Technique, de la Formation Professionnelle et de l’Emploi et Trust Africa, est exemplaire dans ce cadre. Il formera par an plus de 400 étudiants qui deviendront des professionnels diplômés. Le Représentant de Rio Tinto Simfer, Gerard Rheinberger à la signature des derniers documents, a dit que le Simandou a déjà : « créé 6 500 emplois pour les Guinéens».

L’environnement respecté

Concernant la biodiversité et toutes les questions environnementales qui m’interpellent personnellement, j’ai été heureux d’apprendre avec le spécialiste Sékou Kanté Soumaoro de Rio Tinto que : « Sur les 42 espèces végétales prioritaires pour la conservation, il a été collecté et stocké de 2008 à 2023, 10.200.000 graines dans la banque de semences de Canga Est; 3.000.000 de graines expédiées au Millenium Seed Bank de Kew pour la conservation ex-situ à long terme; 214 000 graines sont préparées pour être expédiées à l’herbier national de Guinée à Conakry; 1.700.000 graines ont été transplantées hors Simandou sur les Monts Nimba, Mont Ziama et Mont Tibé pour la conservation et la propagation de ces espèces menacées. Tous ces efforts concourent à minimiser nos impacts et éviter tous les risques d’extinction de ces espèces dont certaines sont endémiques à la zone de Simandou ou à la république de Guinée. »
Trina Gill, la responsable de l’Environnement, nous explique que la pépinière réalisée produit chaque année en moyenne 7000 jeunes plants forestiers destinés d’une part à la réhabilitation progressive des sites dégradés, pour la construction des infrastructures ; et d’autre part, à l’enrichissement des poches de forêts servant de corridor de migration des chimpanzés vers la zone de protection intégrale de la forêt classée du Pic de Fon. Également au reboisement communautaire lors des campagnes lancées par l’Etat guinéen. La collaboration avec le Centre forestier de Nzérékoré est régulière. Le projet Simandou apporte aussi un appui financier et technique pour la mise en œuvre du plan d’aménagement de la forêt classée du Pic de Fon.

Des sites archéologiques exhumés

Par ailleurs, le projet Simandou génère des découvertes inattendues qui enrichissent le patrimoine culturel, comme le montre les recherches d’INSUCO Guinée, un bureau d’études international indépendant spécialisé en sciences et durabilité sociales, qui a confirmé en mai 2022, l’existence de nombreux artefacts dont les découvertes sont particulièrement importantes, notamment :

. En juin 2022, un site stratigraphique dans la zone de la mine a été découvert. La découverte d’un site aussi unique avec une importante couche de sédiments et d’objets en place, a rendu nécessaire la réalisation de sondage complémentaire. Les résultats de la datation au carbone 14 du site révèlent que celui-ci date de 8 mille ans !
. Dans la zone du rail, un tumulus (monticule de terre et de pierres surélevé au-dessus d’une ou plusieurs tombes) a été découvert.
Or, nous avons très peu de preuve de tumulus en Afrique de l’Ouest et encore moins en Guinée. Les archéologues et historiens ont véritablement ici du pain sur la planche.

Simandou n’est plus un rêve

Après trois jours intenses passés parmi les ouvriers et les directeurs, après avoir visité les camps 1,2 et 3, nous avons constaté avec intérêt l’approche holistique dans la résolution des problèmes “Travail, Santé et Sécurité”, pour réduire les cas d’accidents et d’incidents, pour créer une atmosphère de collaboration décente, impulsée par la stratégie de communication “Wontanara”, qui vise l’harmonie sociale et la compréhension des objectifs du Projet. Une perception positive des responsabilités des uns et des autres, car la phase de conclusion transactionnelle permet d’affirmer que les engagements sont désormais quasi irréversibles.
Le 2 avril 2024, une trentaine de documents de financement ont été signés dans la salle de Réunion du Petit Palais, par Rio Tinto Simfer Winning Consortium. Ce sont les derniers documents de financement inconditionnels du projet Simandou qui le rendent désormais irréversible. La maturité du Simandou est telle aujourd’hui qu’il a atteint un point de non-retour.

Enfin, comme notre génération en rêvait depuis une éternité, l’évacuation et l’exportation du minerai de fer se feront par le… TransGuinéen ! Cette voie ferrée, construite spécialement pour le transport du fret et des personnes, se dirigera vers l’ouest pour aboutir au nouveau port de Morebaya, à Forécariah, après un trajet de 670 km, traversant ainsi toutes les régions naturelles de la Guinée..

Le projet Simandou achevé, va créer indubitablement un corridor de prospérité pour la Guinée et les Guinéens. Ce qui fait dire au Directeur de Cabinet de la Présidence et président du comité stratégique de Simandou, Dr Djiba Diakité, que : « Simandou n’est plus un rêve, c’est clairement devenu une réalité…»

Justin MOREL Junior

Journaliste

Membre de l’Academie des Sciences de Guinée

Ancien Ministre

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