Mémoire bradée à La Paillote : un homme d’affaires défie l’histoire, l’État invité à briser le silence

il y a 2 heures 17
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Lieu symbolique de l’âge d’or musical guinéen, La Paillote de Dixinn est aujourd’hui au cœur d’une vaste incompréhension. Menacée de destruction, malgré les promesses de rénovation formulées par les autorités culturelles, elle fait désormais l’objet d’une vive contestation des artistes historiques. Entre silence prolongé des pouvoirs publics, confusion sur les responsabilités et présence discrète d’intérêts privés incarnés par un homme d’affaires, les gardiens de la mémoire musicale montent au créneau.

Une “restauration” qui vire à la démolition

Le mardi 13 août 2025, les bulldozers ont surpris les derniers gardiens de la mémoire vivante de la musique guinéenne. À La Paillote de Dixinn, ce lieu emblématique où ont résonné les notes de Kèlètigui et ses Tambouriny, du Bembeya Jazz ou encore de Balla et ses Baladins, les travaux ont commencé… sans qu’aucun acteur culturel ne soit officiellement informé.

Ousmane Hervé Camara, chef d’orchestre de Kèlètigui et administrateur général de La Paillote, dit n’avoir reçu aucune notification claire :

« On n’a pas été informés. On croyait que c’était la suite du projet du ministère. Mais un jour, sans prévenir, les machines sont venues casser la barre climatisée. Le ministre a dû ordonner l’arrêt en urgence », a-t-il rappelé.

Malgré cette intervention de dernière minute, les travaux n’ont pas cessé. Une clôture en tôle a été érigée, du ciment déposé, et une surveillance permanente assurée par des gendarmes et des vigiles. Une équipe d’ingénieurs, dont certains inconnus des artistes, continue à opérer sur place. Le flou est total.

Une entreprise de KPC dans le viseur

Le nom qui revient dans toutes les bouches, même avec prudence, est celui de KPC, puissant et richissime entrepreneur guinéen. Bien que son implication directe ne soit pas confirmée, des témoignages évoquent la présence de vigiles liés à ses entreprises, ainsi que des rumeurs persistantes sur son intérêt pour le site.

C’est ce que confirme le doyen Sékou Bembeya Diabaté, figure du mythique Bembeya Jazz :

« On entend le nom de KPC partout. Moi je lui conseille de faire attention. Dieu lui a tout donné, mais s’il touche au bien de la culture guinéenne, un jour il le regrettera. Ce n’est pas une menace, c’est un avertissement d’aîné. »

Un patrimoine national, pas un terrain à céder

La Paillote de Dixinn n’est pas un bien ordinaire. Elle fait partie des lieux attribués par le président Sékou Touré aux grands orchestres nationaux : Kèlètigui à La Paillote, Bembeya au Club, Balla au Jardin de Guinée. Ces lieux relèvent exclusivement du ministère de la Culture.

« Nous dépendons du ministère de la Culture. Si c’est la Culture qui agit, on comprend. Mais ici, on voit des gens agir sans que personne ne nous dise qui ils sont. Ce n’est pas normal », s’insurge encore Ousmane Hervé Camara.

Le silence gênant du ministère

Le comportement du ministère de la Culture reste une énigme. Bien qu’il ait promis, il y a près d’un an, la rénovation du site — notamment par la voix du ministre Moussa Moïse Sylla — aucune communication claire n’a été faite aux artistes sur cette nouvelle opération. Pire : certains responsables du ministère semblent eux-mêmes découvrir les faits en même temps que les artistes.

« Le ministre lui-même a été surpris. Il m’a dit que si quelqu’un venait de sa part, je serais informé. Et pourtant les travaux ont commencé, des clôtures ont été posées, et nos répétitions déplacées ailleurs… », a expliqué M. Camara, dénonçant une absence de coordination qui laisse planer le doute : complicité passive ou perte de contrôle du département ?

Un lieu chargé d’histoire, menacé

Au-delà des bâtiments, c’est la mémoire d’un pan entier de l’histoire guinéenne qui est menacée. C’est dans cette Paillote que sont nés des chefs-d’œuvre ayant porté haut la voix de la Guinée sur le continent et au-delà.

« La Paillote, c’est notre maison, notre histoire. Nous ne sommes pas des riches. Notre richesse, c’est notre guitare, notre micro, notre art. On ne peut pas nous l’arracher », a lancé Camara, la gorge serrée.

En attente de réponses…

Sollicitée à plusieurs reprises, l’équipe de communication de KPC n’a pas donné suite. Un mutisme qui renforce les suspicions et laisse les artistes dans une incertitude pesante.

Qui a autorisé les travaux ? Que compte faire le ministère ? KPC est-il réellement derrière cette opération ? Autant de questions qui restent, pour l’instant, sans réponse.

Aux dernières nouvelles, les travaux sont suspendus, grâce à l’intervention du secrétaire général du ministère de la Culture, accompagné de plusieurs cadres, dont Malick Kébé. Les machines ont quitté les lieux et les vigiles se sont retirés.

« Pour l’instant, tout va bien. Mais nous attendons le retour de nos responsables du département », a rassuré M. Camara.

En Guinée, où la culture constitue un pilier de la fierté nationale et un axe de l’action du ministre actuel, l’affaire de la Paillote de Dixinn met en lumière une tension croissante entre mémoire et modernité, patrimoine public et ambitions privées. À suivre…

Sâa Robert Koundouno

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