Le combat de Diariatou Bah contre les violences conjugales : de la Guinée en Europe, un récit de résilience et d’espoir

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C’est une histoire qui s’est passée en l’an 2000. Diariatou Bah, âgée de 13 ans, est donnée en mariage à un compatriote vivant en Europe. Un an plus tard, elle rejoint son époux aux Pays-Bas. Sa vie bascule alors dans les violences conjugales, devenant son lot quotidien. Pour aggraver son malheur, elle perd sa grossesse. Aujourd’hui, à l’âge de 38 ans et auteure du livre ”On m’a volé mon enfance”, elle dirige l’association “Espoirs et Combats de Femmes” dont la vocation est de lutter contre les mariages précoces et les violences faites aux femmes. Notre correspondant en France l’a rencontrée à Romainville, à Paris. Dans cette interview, Diariatou évoque sa douloureuse histoire entre 2000 et 2006.

Guinee360.com: Vous avez été mariée à 13 ans et envoyée loin de vos parents en Europe. Pouvez-vous revenir sur votre histoire ?

Diariatou Bah : Je suis née dans la préfecture de télémélé plus précisément à Bowé, région de Boké. A l’âge de 2 ans, j’ai été envoyée chez ma grand-mère et j’y suis restée jusqu’à mes 10 ans. Ensuite, à l’âge de 13 ans, je suis mariée de force parce qu’à l’époque, je ne savais pas c’est quoi aimer un homme. Cette décision a été prise par ma famille. Ma mère me disait qu’il faut dire “oui”. Au bout de huit mois, la famille de mon ex mari a falsifié mon identité pour que je puisse avoir un visa touriste. Ensuite, à l’âge de 14 ans, j’ai quitté la Guinée en passant par le Mali avec l’oncle de mon ex mari et j’ai obtenu le visa pour venir en Hollande à Rotterdam.

Lorsque vous êtes arrivée en Europe, quelles ont été votre condition de vie ?

Quand je suis venue en Europe, la condition de vie était très difficile. Mes parents m’avaient marié à un monsieur qui attendait avoir une femme qui était prête à s’occuper d’une maison, de lui, lui faire à manger. Sauf que moi je ne savais rien de tout ça. Parce que le Monsieur que j’avais vu en Guinée était différent de celui que j’ai trouvé en Hollande. Une fois arrivée à Rotterdam, La réalité était autre chose. La première nuit de noce, il n’arrivait pas. Je m’habillais toujours avec beaucoup d’habits. Dans un premier temps, il a forcé et il a déchiré tous mes habits. Il a pu avoir ce rapport intime avec moi. Il a dit : “c’est bien que tu sois vierge”. Il m’a félicité et il m’a donné un colis en or et m’a dit : “A partir d’aujourd’hui, il faut que tu fasses tout ce que je te dis sinon, je te renvoie au pays et je vais dire à tes parents que tu n’étais pas vierge. Et ton père va répudier ta mère”.

Dès le début, je me suis confrontée aux violences. Il me battait à toutes les occasions. Si je préparais à manger, il me battait. Je n’avais pas de papier et je ne connaissais rien. Quand il me touchait, je partais aux toilettes pendant une heure. Je pleurais et je ne voulais pas qu’il me touche. Et il partait de fois une semaine pour voir une de ces femmes. Je ne savais même pas qu’il était marié à d’autres femmes. Je savais qu’il avait trois femmes en Guinée. Par la suite, j’ai appris aussi que c’est un marabout. (…) Il partait des jours sans revenir me laissant seule. Je suis tombée vite enceinte. Après neuf mois de grossesse, j’ai perdu l’enfant. Un soir, il s’est aperçu que je saignais que j’ai commencé à saigner. Il m’a envoyé à l’hôpital parce qu’il ne pouvait pas appeler les pompiers. Et Arrivée à l’hôpital, l’échographie a indiqué que le bébé était mort d’il y a 20 minutes. Après une semaine, on m’a montré le bébé, qui était froid. Je ne pouvais pas pleurer. Au bout d’un an, on quitte Hollande pour venir en France. Ici, il nous a trouvé un studio de 15 mètres carrés. J’ai continué de subir de viol, de violence puisque moi je ne voulais pas de lui. Il me battait souvent.

Comment êtes-vous parvenue à vous libérer ?

Je me suis libérée quand il est parti en Afrique en me laissant avec 100 euros pour acheter du pain et du lait. J’avais 40 kilogrammes sur mon corps. Je regardais la télé toute la nuit et je dormais la journée. Un soir, j’ai vu dans une émission télé ou des femmes parlaient de leur histoire. Le lendemain très tôt, je suis allée réveiller ma voisine pour lui en parler. Elle m’a dit d’aller à la mairie pour chercher une assistante sociale et raconter mon histoire. Là-bas, elles m’ont dit, la seule chose qu’il me faudra, c’est l’acte de naissance qui prouve que j’avais 17 ans. Je suis rentrée à la maison avec plein d’espoirs. Ma voisine m’a aidée. J’ai appelé mon père. Mon père a donné l’acte de naissance à mon ex-mari et il est venu avec. A son arrivée, il m’a remis l’enveloppe. Et c’est comme ça que je suis sortie de chez lui.

Comment votre famille avait réagi en apprenant les difficultés dans lesquelles vous étiez ?

Je pense que ma famille n’a pas mesuré les difficultés dans lesquelles je vivais. Moi, je ne disais rien. Quand j’appelais au pays mon ex-mari était toujours à côté de moi. À l’époque, en 2000, c’était avec des cartes téléphoniques, il n’y avait pas d’internet. Donc, ce n’était pas facile. Du coup, mes oncles qui vivaient en Hollande et en France ont alerté mon père et ma mère. C’est surtout celui qui vit en France qui a beaucoup alerté mon père. Parce que c’est quelqu’un de très instruit. Il a dit à mon père soit elle sort là-bas, soit elle continue une vie impossible voire mourir dans ce mariage. Et c’est comme ça que mon père a pris connaissance. Mais quand ils sont loin, c’est difficile de te venir en aide. (…) C’est qui m’a aidé, mon père m’a toujours écouté. C’est ma mère qui était difficile à convaincre. Parce qu’elle est toujours dans les traditions. Pour elle, il ne fallait pas divorcer. Il fallait accepter et en même temps c’est ce qu’elle a vécu durant toute sa vie vie. Donc, elle n’avait pas un autre modèle de vie que ça.

Êtes-vous retournée en Guinée depuis l’an 2000 ?

Je suis retournée deux fois en Guinée. En 2006 pour soutenir ma mère qui était très malade et en 2008 pour la campagne de sensibilisation contre les violences faites aux femmes à la télé et à la radio. Mais, j’ai toujours gardé ce lien avec ma famille. Pour moi, sortir de tout ça ne veut pas dire qu’ il fallait que je coupe le lien familial. Pour moi, la famille est très importante. Et surtout ce qui m’est arrivée c’est ce qui arrive à beaucoup de femmes dans nos familles. Donc, je me suis dit qu’il fallait s’attaquer à certaines coutumes et traditions qui ne sont pas bonnes. Parce que nous avons aussi de bonnes coutumes qu’il faut garder. Donc mon engagement ne veut pas dire qu’il faut tout mettre de côté.

Beaucoup de femmes subissent en silence la violence dans leur foyer. Quels conseils à toutes celles qui en sont victimes ?

Je ne dis jamais que les femmes doivent divorcer. Je leur demande de ne pas accepter l’inacceptable. Parler avec la famille, faire de la médiation c’est bon. Mais chez nous à chaque fois c’est de dire à la femme de supporter les violences. Mais si la mediation familiale ne résout pas le problème, prends ton destin en mains. Là où le mariage est valable, vous avez aussi le droit de demander le divorce. Ce n’est pas un crime quand tu penses que ta vie est en danger. Parce que personne n’a le droit d’ôter la vie à une autre.

Aujourd’hui, vous menez votre lutte contre les violences faites aux femmes en Europe alors que cette situation est plus récurrente en Afrique. Pensez-vous un jour mettre cela au service des femmes africaines en Afrique et celles guinéennes en particulier ?

En tout cas, je rêve que la politique africaine et celle de la Guinée s’apaisent. Qu’on puisse avoir des dirigeants dignes de ce nom avec le respect des droits de l’homme. Quand il y aura le respect des droits de l’homme, il y aura également le respect des droits des femmes. Et je vais y retourner, mais sans le mépris, ni en donneuse de leçons, car je n’ai pas changé. J’ai juste compris qu’avec ce que nous avons hérité, il y a des bonnes choses à garder, mais aussi des pratiques comme l’excision qu’il faut combattre avec pédagogie pour que cela cesse. Donc, à partir de là, je pourrais aller à la rencontre des femmes qui sont victimes de violences, violées, brutalisées dans leur vie quotidienne en lien avec les violences faites aux femmes, que personne ne prend en charge.

Les mariages précoces sont récurrents en Guinée. Comment comptez-vous vous impliquer pour lutter contre ce phénomène ?

La sensibilisation, le soutien aux associations qui sont sur le terrain là-bas, leur donner une voix ici et là-bas. Faire un travail en collaboration et d’autre part, c’est aussi travailler avec l’État. Parce que tout ce que nous constatons, c’est qu’il y a des associations engagées dans la lutte. Mais si la société n’est pas en mouvement, rien ne changera. Il faut que l’État mette en place des mesures contre la violence de manière générale et particulièrement contre les violences faites aux femmes. On sait que ce sont les mères qui accouchent, mais c’est toute la société qui doit être éduquée.

Quels conseils pouvez-vous donner aux femmes et aux filles qui désirent suivre vos pas ?

Il faut être en paix avec soi-même. Il ne faut pas dire : “Je vais dans cette lutte pour me venger ou rendre coup pour coup”. Il faut d’abord se reconstruire et pardonner. Moi, l’homme qui m’a fait tout ça m’a contactée en 2020 lorsque j’ai perdu mon père (paix à son âme) pour me demander pardon et j’ai accepté. Parce que le pardon ce n’est pas pour faire plaisir à la personne qui vous a fait du tort. Le pardon, c’est pour apaiser votre cœur et essayer d’avancer avec. Donc, pour ceux qui ont envie de suivre mes pas, dites-vous que la famille est très importante.

Il faut avoir du courage et accepter d’avoir parfois des gens qui vous applaudissent, vous admirent, mais aussi des personnes qui ne sont pas d’accord avec vous. Parce que vous n’avez pas emprunté le même chemin. Moi, jusqu’à l’âge de 20 ans, je pensais que tout était normal. Je pensais que toutes les femmes étaient excisées. Le seul modèle de société pour moi était d’avoir et de faire des enfants. Il a fallu que j’apprenne une autre culture, que j’intègre une autre société pour comprendre que tout n’est pas normal. Pour autant, je n’ai pas changé. Parce que je me suis remariée avec un Guinéen. J’ai choisi d’avoir des enfants qui parleront ma langue, etc. tout en luttant contre le reste autour. Cela signifie que je n’ai pas perdu mon identité. J’ai juste compris que ce n’était pas normal. Je suis aussi fière de ce dont j’ai hérité et je le garde avec fierté, comme le respect, la générosité, le partage. Et il y a aussi des choses que j’ai mises de côté comme la violence ou l’excision des femmes.

Est-ce que votre mari vous accompagne dans cette lutte ?

Pour le moment, il n’est pas complètement d’accord. Il n’est pas impliqué dans ce que je fais, mais le plus important, c’est qu’il respecte. Et les difficultés, c’est moi qui les ai affrontées. Ce n’est pas lui qui est engagé. Vous ne pouvez pas engager des personnes qui ne sont pas engagées dans ce que vous faites. Mais du moment où la personne respecte ce que vous faites, c’est ce qui compte.

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