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Dans ce nouveau numéro de votre rubrique « Que sont-ils devenus ? », consacrée à la vie, aux œuvres – et parfois à la santé – des figures marquantes du monde des arts, de la culture et du sport, Guinéenews vous propose une immersion dans l’univers du cinéma guinéen à travers le parcours de Mohamed Camara, acteur, cinéaste et ancien administrateur du 7ème art.
Né en 1959 à Conakry, Mohamed Camara est le fils de feu Sidy Oulén et de feue Hadja Mariama Siré Souaré. Marié et père de trois enfants, il a grandi dans le quartier Madina où il a effectué ses études primaires, avant de poursuivre son secondaire et son lycée au CER du 2 Août. Après avoir décroché son baccalauréat, il est orienté à la faculté des sciences administratives de Donka. Il n’y passe qu’une seule année, avant de s’envoler pour la France afin de poursuivre des études en informatique de gestion et en banque à l’Université Paris 10, où il obtiendra une maîtrise.
C’est à Paris que l’aventure artistique prend forme. Inscrit au Centre culturel américain, il suit des cours de comédie avec Blanche Salan. Il se perfectionne ensuite au théâtre avec Peter Brook au Bouffes du Nord, et intègre le Théâtre international de langue française dirigé par Gabriel Garant.
Sur le plan administratif, Mohamed Camara a dirigé pendant huit ans l’Office national du cinéma, de la vidéo et de la photo de Guinée (ONACIG), avant de prendre la tête de la Bibliothèque nationale pour une durée de deux ans. En 2025, il fait valoir ses droits à la retraite.
C’est dans sa résidence du quartier Petit-Simbaya, dans la commune de Lambanyi, que Guinéenews est allé à sa rencontre. Dans cet entretien riche en souvenirs et en réflexions, il revient sur son parcours, son amour du cinéma, les étapes de la réalisation d’un film, les différences entre acteur et comédien, théâtre et cinéma, et partage son regard sur les genres cinématographiques, tout en dévoilant son idole du métier. Une plongée passionnante dans l’univers du 7e art.
Guinéenews : vous êtes cinéaste, ancien Directeur général de l’ONACIG, puis de la Bibliothèque nationale. Pouvez-vous nous raconter comment le 7ème art est entré dans votre vie ?
Mohamed Camara : c’est arrivé un peu par hasard. Je suis allé en France pour y poursuivre mes études, et je logeais chez mon grand-frère. Quelques jours après mon arrivée à Paris, je me suis baladé sur les Champs-Élysées. Là, j’ai croisé un visage familier : celui de Michel Piccoli, un acteur que j’avais vu dans un film projeté à Conakry. Je l’ai abordé et nous avons entamé la conversation. Il était très surpris et heureux d’apprendre que ses films étaient diffusés jusqu’en Guinée. Il m’a proposé de prendre un café. Nous avons longuement discuté.
Je lui ai expliqué que j’étais à Paris depuis une semaine, que j’attendais l’ouverture de l’université pour m’y inscrire, et que je me sentais mal à l’aise de dépendre entièrement de mon frère. Je lui ai demandé s’il pouvait m’aider à trouver un petit boulot. Il m’a répondu que la seule chose qu’il connaissait bien, c’était le métier d’acteur. Il m’a promis de me prévenir s’il entendait parler d’un casting pour un rôle d’Africain, que ce soit au théâtre ou au cinéma.
Une semaine plus tard, il m’a appelé : Patrice Chéreau, l’un des plus grands metteurs en scène français, cherchait des comédiens africains pour sa pièce intitulée « Combat de chiens et de nègres ». J’ai passé le test, et j’ai été retenu pour six mois. Cette pièce a attiré de nombreux réalisateurs et metteurs en scène. À force de me voir jouer, certains ont commencé à me proposer de petits rôles, au théâtre comme au cinéma.
Après cette expérience, j’ai finalement pu m’inscrire à l’université pour mes études d’informatique et de banque. Mais entre-temps, je réalisais que le cinéma me passionnait bien plus que les études académiques. J’ai donc décidé de m’inscrire au Centre culturel américain, situé à l’époque sur le boulevard Raspail, dans le 5ème arrondissement de Paris, pour suivre des cours de comédie. C’est là que tout a réellement commencé.
Guinéenews : vous dites avoir été plus attiré par le cinéma que par les études académiques. Que sont devenues ces études par la suite ?
Mohamed Camara : en réalité, je menais les deux en parallèle. Je suivais des cours de comédie au Centre culturel américain, tout en poursuivant des études en informatique, gestion et banque à l’université. Mais il faut dire que j’avais véritablement pris goût au cinéma. J’ai tout de même continué mes études jusqu’à l’obtention de mon diplôme universitaire. Ensuite, j’ai poursuivi les cours de comédie, et plus tard, je me suis lancé pleinement dans la carrière d’acteur.
Guinéenews : pourquoi qualifie-t-on le cinéma de 7ème art ?
Mohamed Camara : vous savez, le cinéma est l’unique art capable de rassembler tous les autres en un instant. C’est pour cela qu’on le considère comme le plus complet. Par exemple, dans une seule scène, je peux intégrer la musique, la peinture, la sculpture, la cuisine, la danse, tout ! Je place ma caméra, et en une fraction de seconde, tout est là, vivant. Le cinéma a cette capacité de tout condenser, de tout sublimer. C’est pour cela qu’on parle du 7ème art, un art suprême.
Guinéenews : racontez-nous votre parcours d’acteur, les rôles que vous avez incarnés et les films dans lesquels vous avez joué ?
Mohamed Camara : j’ai eu la chance de jouer dans plusieurs productions. Parmi elles, il y a ‘’Black micmac’’, ‘’On a volé Charlie Spencer’’ de Francis Huster, ‘’Sale destin’’ de Sylvain Madigan. J’ai aussi tourné de nombreuses publicités avec Claude Sautet, paix à son âme. J’ai participé au film ‘’La Maison du sourire’’ de Marco Ferreri, un réalisateur très connu en Italie.
En Afrique, j’ai travaillé avec Idrissa Ouédraogo dans la série ‘’Karim et Sala’’. J’ai aussi joué dans ‘’Camp de Thiaroye’’ du regretté Sembène Ousmane, au Sénégal. Il était également prévu que je joue le rôle de Samory jeune dans un projet que Sembène préparait depuis plus de vingt ans. Malheureusement, il n’a pas pu le réaliser, car il nous a quittés avant.
Guinéenews : qu’est-ce que le cinéma représente pour vous ? Et quelle a été votre réelle motivation pour vous y engager et en faire votre métier ?
Mohamed Camara : quand j’étais à Conakry, j’ai toujours ressenti, au fond de moi, l’envie d’imiter les acteurs de cinéma. Tout petit, à Madina où j’habitais, on récupérait des cahiers pour y coller des petites affiches découpées dans les journaux comme Le Monde, Libération, etc., qu’on trouvait dans les magasins de SIFRA — à l’emplacement de l’actuel marché Avaria.
Ces journaux étaient utilisés comme emballage pour protéger la paille entre les régimes de bananes importés par bateau. Et dans ces papiers, il y avait des publicités de films et d’acteurs qu’on appelait, nous les enfants, des « Acteurs ». Le soir, après le départ des ouvriers, on se faufilait discrètement par les fenêtres pour fouiller les journaux et y chercher ces images, qu’on découpait et collait dans des cahiers ou des livres spécialement dédiés.
Moi, je cachais soigneusement mes collections sous mon lit, sous le paillasson. Un jour, mon grand frère, en cherchant ses chaussures pour aller jouer au foot, est tombé sur mes cahiers. Il les a tous récupérés et les a brûlés au milieu de la cour. Ma famille pensait que je faisais l’école buissonnière pour aller saboter le travail des ouvriers. Ce jour-là, j’ai reçu une correction mémorable… une punition exemplaire ! Après ça, j’ai refoulé cette passion, par peur des représailles familiales, car tout le monde tenait à ce que je réussisse mes études.
Mais tout a changé le jour où j’ai rencontré Michel Piccoli sur les Champs-Élysées, en France. Ce fut un déclic. Lors des castings, on me disait souvent que je jouais très bien. J’ai alors été repéré par Max Morel — un directeur de casting très connu en France, qui a révélé de nombreuses stars — et il m’a pris sous son aile. Il m’envoyait partout où il y avait des castings… et je les remportais.
Plus tard, il m’a inscrit dans une agence d’acteurs, celle de Monita Derrieux. Elle aussi m’a permis de décrocher de nombreux rôles au cinéma et au théâtre. Ma carrière a alors pris un tournant décisif, surtout après mon rôle dans ‘’Camp de Thiaroye’’ de Sembène Ousmane. Ce film a réveillé en moi la fibre africaine. Je suis Guinéen, et chez nous, le panafricanisme est dans l’ADN. Il faut se rappeler que notre premier président, feu Ahmed Sékou Touré, était un panafricaniste convaincu.
Depuis cette expérience, je me suis dit qu’un acteur devait pouvoir se métamorphoser dans tous les rôles. Mais j’ai vite constaté que les rôles qu’on proposait aux Noirs en France étaient souvent subalternes, sans profondeur, sans fierté. J’ai donc pris la décision de refuser ce type de rôles, et de voir si je pouvais, moi-même, écrire mes propres scénarios, créer mes propres personnages, les incarner et les réaliser.
Guinéenews : vous êtes enfin passé derrière la caméra. Pouvez-vous nous plonger dans l’univers de vos différentes réalisations ?
Mohamed Camara : en effet. J’ai décidé de devenir réalisateur le jour où j’en ai eu assez de jouer des rôles subalternes. Je me suis dit qu’il était temps d’écrire mes propres rôles, puis de trouver un réalisateur pour les mettre en scène. Mais pour mon film « Dénko », les choses se sont passées autrement. Ce projet était un hommage aux mères de famille, un récit intime et profond. Lorsque j’ai présenté le scénario à plusieurs réalisateurs, ils ont été unanimes : « Personne ne pourra réaliser ce film mieux que toi. Il est trop personnel, trop habité. » Ils m’ont encouragé à le réaliser moi-même, et m’ont même guidé sur les démarches à suivre pour obtenir des financements.
J’ai ainsi trouvé un jeune producteur et nous avons tourné « Dénko ». Je me souviens avoir voulu tourner en Guinée, mais je n’ai pas pu obtenir l’autorisation. C’est au Burkina Faso, à Banfora, dans la commune de Komoyé, que le projet a finalement vu le jour. Ce film est devenu l’un des courts-métrages les plus primés au monde. Au FESPACO, il demeure à ce jour le seul film guinéen à avoir remporté le grand prix du meilleur court-métrage. Sa toute première projection a eu lieu à Clermont-Ferrand, où il a décroché le Grand Prix international, ainsi que celui de la Presse internationale. Grâce à « Dénko », j’ai reçu de nombreuses distinctions à travers le monde.
Guinéenews : le film « Dénko » marque donc vos débuts en tant que réalisateur. Y en a-t-il eu d’autres depuis ?
Mohamed Camara : bien sûr. Après « Dénko », j’ai réalisé « Minka », un film également très bien accueilli à l’international. Il raconte l’histoire tragique d’un enfant de dix ans, poussé au suicide par les violences de son beau-père. Ensuite est venu « Danka », qui aborde l’univers des homosexuels en Afrique – un sujet très peu traité sur notre continent. Puis « Balafola », qui dénonce les pratiques douteuses de certains managers qui promettent monts et merveilles à de jeunes artistes guinéens pour mieux les exploiter en Europe.
En 2006, de retour en Guinée, j’ai constaté avec tristesse l’état d’abandon dans lequel se trouvaient les grandes figures de notre musique nationale : des artistes malades, vieillissants, ignorés. Pourtant, ce sont ces orchestres nationaux – le Bembeya Jazz, Balla et ses Baladins, Horoya Band, Kèlètigui et ses Tambourinis, les Amazones de Guinée – qui ont contribué à l’éclat culturel de notre pays et même permis, à une époque, de payer les premiers fonctionnaires. J’ai alors décidé de documenter leur parcours, pour préserver leur mémoire. Faute de financement local, j’ai dû me rendre en Europe pour récupérer mes droits d’auteur et revenir réaliser cinq films consacrés à ces légendes.
Une fois nommé Directeur général de l’ONACIG, j’ai profité de ma position pour mettre le cinéma au service de la paix. À chaque période électorale, où la tension était palpable, j’ai produit des films de sensibilisation diffusés à la télévision nationale, pour désamorcer les risques de violences. Pour moi, c’est aussi cela, la responsabilité du cinéaste.
Quand Ebola a frappé, j’ai réalisé 14 films de sensibilisation, offerts gracieusement à la RTG. Puis, lors de la crise du COVID-19, j’ai produit près d’une dizaine d’autres films pour contribuer, à mon niveau, à la lutte contre la pandémie.
Guinéenews : quelle différence faites-vous entre un comédien et un acteur de cinéma ? Chacun a-t-il ses spécificités dans la pratique ?
Mohamed Camara : un comédien, c’est quelqu’un qui a suivi une formation dans une école de théâtre ou de comédie. Il a appris les techniques du jeu. En revanche, un acteur est souvent un autodidacte, qui s’est imposé par sa personnalité, son charisme et son instinct. Pour illustrer cela, prenons deux figures emblématiques du cinéma français : Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Delon n’a jamais fréquenté une école de théâtre ; c’est donc un acteur. Belmondo, lui, a été formé au Conservatoire national supérieur d’art dramatique en France : c’est un comédien.
Guinéenews : et quelle est la différence entre le théâtre et le cinéma ?
Mohamed Camara : la grande différence, c’est que le théâtre est une performance en direct. L’acteur joue face au public, et chaque erreur est immédiatement perçue. Il faut donc une grande rigueur, car tout se joue en temps réel. Le cinéma, quant à lui, permet une reprise des scènes. Si quelque chose ne fonctionne pas, on peut couper et recommencer. C’est là qu’intervient le travail du monteur. Avec un bon montage, même un film imparfait peut être sublimé.
Guinéenews : en tant qu’acteur, dans quels genres cinématographiques aimez-vous jouer ? Quel type de personnage vous attire le plus et pouvez-vous nous parler brièvement des principaux genres ?
Mohamed Camara : aujourd’hui, je m’adapte aux rôles qui correspondent à mon âge. Mais dans le passé, j’ai toujours rêvé de jouer des personnages à la manière de Sidney Poitier. Des rôles qui valorisent l’image de l’homme noir, qui le tirent vers le haut. C’est ce qui m’a donné envie de faire du cinéma. À l’époque, on découpait les photos de ces grands acteurs qu’on collait dans nos cahiers. J’ai vu beaucoup de films de Sidney Poitier ici, comme Devine qui vient dîner ? ou Dans la chaleur de la nuit, parmi tant d’autres.
Guinéenews : en parlant de Sidney Poitier, peut-on dire qu’il est votre idole ?
Mohamed Camara : ah oui, absolument. Sidney Poitier est mon idole dans le monde du cinéma. J’ai eu la chance de le rencontrer une fois, lorsque j’ai présenté mon film Dénko au Lincoln Center Festival de New York. Un jour, en me promenant avec des amis burkinabè, nous sommes passés devant un hôtel et je l’ai aperçu en compagnie d’Harry Belafonte. J’ai couru vers lui, porté par l’émotion, et je me suis jeté dans ses bras. Au début, il était un peu surpris, mais quand il a compris que j’étais un admirateur, il s’est détendu. Il m’a demandé de quel pays je venais. Quand j’ai répondu « de Guinée », il a immédiatement enchaîné : « …de Sékou Touré ? » Et là, Harry Belafonte a ri et ajouté : « Je connais ton pays, j’ai travaillé avec les Ballets Djoliba. » On a discuté longuement. C’était un moment inoubliable, un véritable sommet dans ma vie.
En ce qui concerne les genres cinématographiques, j’ai toujours eu une préférence pour le drame, comme ceux dans lesquels jouait Sidney Poitier. Mais il existe une multitude de genres : policier, guerre, comédie, science-fiction, horreur, fantastique, western, documentaire… chacun avec ses propres codes et exigences.
Guinéenews : la production d’un film est réputée coûteuse. Pouvez-vous nous expliquer les différentes étapes de la réalisation, en précisant celles qui mobilisent le plus de ressources financières ?
Mohamed Camara : ce qui pèse le plus sur le budget, c’est d’abord le recrutement d’une star du cinéma. Faire appel à une célébrité coûte cher, mais cela en vaut souvent la peine : sa seule présence attire le public, ce qui permet à la production de rentabiliser l’investissement. En retour, cette star est rémunérée à la hauteur de son image. C’est donc un poste budgétaire particulièrement lourd.
Ensuite, il y a la post-production, une phase extrêmement coûteuse, qui intervient après le tournage, dans les laboratoires spécialisés.
En ce qui concerne les étapes de réalisation, généralement, c’est un producteur qui propose un scénario à un réalisateur, ou bien qui lui demande d’écrire un film sur un thème précis. Mais dans notre cas, nous procédons différemment : j’écris moi-même le scénario, puis je pars à la recherche de financements. Une fois le budget trouvé, je m’attache les services d’un producteur.
Ensuite vient l’étape du casting pour recruter les acteurs. En parallèle, j’organise un autre casting pour sélectionner les techniciens : directeur de la photographie, cadreur, ingénieur du son, machino, chef électro, accessoiristes, etc. Tous ces professionnels sont bien sûr rémunérés.
Il y a aussi l’équipe de régie, chargée de gérer les achats, la logistique, et tous les besoins quotidiens sur le plateau. La régie joue un rôle de coordination central et, elle aussi, est rémunérée.
Mais pour conclure, je dirais que c’est bien la post-production qui constitue la phase la plus onéreuse. Elle comprend le montage image, le mixage son, la correction des couleurs, l’harmonisation visuelle… Les laboratoires spécialisés dans ces domaines sont extrêmement coûteux. Le montage, à lui seul, est une véritable réécriture du film. Les monteurs sont des créateurs à part entière : si le film est mal monté, même avec un bon scénario, il ne convaincra pas. Le montage est donc une étape capitale.
À suivre…
Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews