La dernière danse des crédules : Chronique d’une candeur guinéenne

il y a 7 heures 20
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Nous étions quelques-uns, une poignée d’irréductibles rêveurs, à croire encore aux serments des militaires. Des âmes pures, des cœurs d’enfant, ou peut-être simplement des idiots magnifiques. Nous avions collé aux lèvres de Mamadi Doumbouya ses propres mots, prononcés ce jour de novembre 2021, comme on récite un verset : « Ni moi ni aucun membre de cette transition ne sera candidat à quoi que ce soit. » Et nous y croyions, oui, comme on croit à la pluie quand la saison tarde, parce qu’il faut bien espérer que le ciel se souvienne de nous.

Nous formions une étrange confrérie, nous les naïfs. Au Café du Civisme, nous interprétions les signes du retour aux civils. Quand le général parlait de refondation, nous entendions un poème. Quand il évoquait l’honneur du soldat, nous fondions comme neige au soleil. Ah, la belle armée ! La grande muette, enfin capable de se taire jusqu’au bout… pensions-nous.

Et c’est là que le rêve bascula. Pendant que nous rêvions, la République, elle, se refaisait une beauté. Une Constitution taillée sur mesure, costume trois pièces pour un pouvoir d’un seul homme. Chaque article ajusté, chaque virgule repassée, pour épouser la silhouette du futur candidat. Les maires furent remplacés par des préfets dociles, les fonctionnaires promus au rang d’élus sans urnes. Un code électoral, miracle d’ingénierie politique, autorisait les hommes en treillis à danser dans l’arène civile. Nous appelions cela des réformes audacieuses. Les vrais connaisseurs parlaient, eux, d’un coup de maître.

Il faut croire que chez nous, chaque coup d’État finit par devenir un coup de foudre. Au début, tout le monde applaudit, grisé par l’odeur du renouveau. Puis, lentement, la romance tourne à la possession. Le peuple se réveille avec la gueule de bois, prisonnier d’un amour qui n’en est plus un.

Que dire de cette opposition soudain frappée d’apoplexie démocratique ? Les vieux briscards, Cellou, Sidya, Alpha, évaporés, exilés ou paralysés par la magie d’une justice sélective. Comme c’est commode ! Comme le hasard fait bien les choses ! Nous y voyions la main du destin, quand il ne s’agissait que de celle, ferme et gantée, du pouvoir.

Dans les quartiers, on ne parle plus de démocratie mais de prix du riz. Le peuple a troqué la colère contre la survie. Il s’est fait critique de théâtre : il commente la mise en scène, mais n’ose plus monter sur scène. Les réseaux sociaux bruissent de bravoure numérique, pendant que la rue se tait, muselée par la peur et la fatigue. On like la révolte comme on allume une bougie virtuelle, sans jamais brûler ses doigts. La résistance s’écrit désormais en hashtags, pas en actes.

Nous avons troqué nos pancartes contre des posts, nos cris contre des emojis. Le courage se mesure en partages, la peur en silence. Le régime, lui, ne craint plus les foules, seulement les coupures d’internet.

Je me souviens encore de ce jour où j’ai cru percevoir un signe. Mamadi visitait une école ; un enfant lui tendit une fleur. J’avais écrit alors : « La symbolique est forte : le pouvoir aux nouvelles générations. » Ce que je n’avais pas compris, c’est que la fleur, c’était nous, cueillis, fanés, jetés.

Les promesses du pouvoir sont comme nos billets de banque froissés : elles changent souvent de main, mais leur valeur s’évapore avec le temps. On nous parle de refondation, mais c’est toujours le même chantier, repeint aux couleurs du moment. Le pays tourne en rond, et nous avec, pris dans la valse lente des illusions recyclées.

En Guinée, le changement a toujours le même visage, seule la moustache change. On repeint les murs, on change les slogans, on promet la rupture, et on recommence le cycle, comme une cassette rayée que personne n’a le courage d’éjecter.

Ce mardi 3 novembre 2025, le rideau s’est levé sur le dernier acte de la comédie. Les dés sont pipés, la partie jouée d’avance. Le général avance, seul, sur un boulevard qu’il a lui-même tracé, bordé de maires-parrains et pavé de bonnes intentions constitutionnelles. La communauté internationale applaudit poliment. La France, en grande romantique, s’entête à croire aux contes de fées où les colonels se changent en démocrates à minuit.

Les crédules ont la mémoire courte mais le cœur large. À chaque trahison, ils trouvent encore la force de pardonner, parce qu’ils veulent croire que cette fois, la pièce finira bien. C’est peut-être ça, le drame de notre peuple : trop de foi, pas assez de doute. Et pendant qu’on espère le miracle, les magiciens de la République continuent leurs tours.

Et nous ? Nous restons là, les mains pleines de promesses envolées, à nous demander pourquoi nous avons cru, ne serait-ce qu’un instant, que l’histoire pouvait s’écrire autrement. Nous dansons encore, les crédules, sur une piste déserte, au son d’une musique que plus personne n’écoute.

Demain, il sera élu. Et nous, nous serons toujours là, à attendre la prochaine promesse, à guetter le prochain messie en treillis, à croire encore, contre toute évidence. Parce qu’au fond, en Guinée comme ailleurs, il faut bien quelques naïfs pour faire croire que le théâtre est vrai.

Post-scriptum : On murmure qu’un nouveau parti vient de naître, le Mouvement des Naïfs Unis. Son slogan : « Cette fois, c’est la bonne ! » Le général en serait le premier adhérent. Mais chut, c’est une autre histoire. Après tout, l’espoir est le seul parti qui ne se dissout jamais.

Ousmane Boh KABA

Pour les derniers croyants des lendemains qui chantent

Et les premiers à se faire avoir, une fois de plus

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