Culture : pourquoi les belles filles du Fouta ne candidatent pas aux concours de beauté ? (Interview)

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Une question qui parait banale mais qui a toute sa place dans la vie culturelle du Fouta Djallon, notamment au niveau des concours de beauté. Pour répondre à cette préoccupation, Guinéenews a pris langue avec Amadou Sadiga Traoré, le coordinateur régional (moyenne Guinée) de la structure de mannequinat ARNAFA Guinée (qui signifie littéralement viens t’investir pour la Guinée) et de la COMISGUI (commission de miss Guinée). Diplômé en lettres modernes, Amadou Sadiga Traoré est le maître d’ouvrage de la présélection dans les huit préfectures de la moyenne Guinée. Étant en contact direct avec les candidates ainsi que leurs familles respectives, le coordinateur de la COMISGUI tente de situer les responsabilités dans cette interview exclusive qu’il a bien voulu nous accorder. Lisez !

Guinéenews: Amadou Sadiga Traore, bonjour!

Sadiga Traoré : bonjour

Guinéenews : la question centrale de cet entretien, c’est de savoir avec tout ce que le Fouta a comme belles filles/femmes, comme on aime à le dire ; pourquoi selon vous le Fouta n’arrive pas à se démarquer au niveau de ces concours de beauté ?

Sadiga Traoré : c’est vraiment une grande et importante question qui suscite beaucoup de réponses. C’est lié à beaucoup de choses. Il y a d’abord le côté parental en première position. Ensuite le complexe des filles et enfin leur faible niveau d’étude. C’est tout cela qui joue beaucoup.

Guinéenews : si on commence par le premier point ; qu’est-ce que les parents ont à avoir dans un concours de beauté ?

Sadiga Traoré : alors, d’abord il faut se féliciter parce qu’avec la mondialisation il y a eu beaucoup de changements. Sinon, vous savez qu’en moyenne Guinée on est trop conservateur. Je ne dis pas que les autres ne sont pas religieux, mais ici, au Fouta, la religion surplombe tout. Voilà pourquoi tout ce que nous entamons est directement ramené vers la religion, alors que ça n’a rien à voir. Quand je prends l’exemple même du Football, avant on estimait chez nous, que c’est une perte de temps. Et maintenant vu l’importance de l’activité et l’argent qu’on y investi ou qu’on y gagne, il y a même des parents qui décident d’envoyer leurs enfants au terrain pour jouer au football. Du côté des défilés, il y a eu de par le passé, de vilaines images qui continuent d’accentuer la méfiance des parents alors que la réalité est toute autre. Si je prends l’exemple sur les lauréates de l’année dernière ; les trois premières ont été financées et le financement là reste avec la famille. Mais chez nous ici, les parents ne comprennent pas trop cela. Pour eux, il s’agit de porter des habits extravagants, défiler devant des étrangers et se livrer à la débauche. Pourtant, loin s’en faut, parce que, être miss ce n’est pas qui le veut, mais qui le peut.

Côté complexe, c’est un autre grand problème pour nos filles. Elles n’arrivent pas à se distinguer et à communiquer, surtout en public. En plus, le savoir-faire et le savoir-vivre manquent beaucoup et ça apparaît dès qu’on les associe aux autres.

Guinéenews : et le niveau d’études que vous avez évoqué tout à l’heure ?

Sadiga Traoré : oui j’en viens, parce que vous pouvez voir ici une belle fille ; une très belle fille qui a l’aval de ses parents, qui n’a pas de complexe, mais qui a un très faible niveau d’études. Avec elle, quelle que soit la préparation, ça ne va jamais aboutir car, sans niveau, le concours de beauté est impossible. Voilà pourquoi on conseille toujours aux jeunes de prendre du sérieux dans les études. C’est très important.

Guinéenews : si je comprends bien en récapitulatif, c’est d’abord et surtout le côté parental qui joue en défaveur des filles au Fouta ?

Sadiga Traoré : exactement. Les parents ne laissent pas leurs filles candidater. C’est très difficile d’obtenir l’aval des parents.

Guinéenews : justement, vu qu’il faut d’abord l’autorisation des parents est-ce qu’il n’y a pas de conflit à ce niveau avec des filles qui veulent forcer la situation sans l’aval des parents ?

Sadiga Traoré : Oui, on rencontre souvent ce genre de situation. Par exemple, l’année dernière, il y avait deux candidates dans une situation de ce genre. Pour la première, la maman était d’accord alors que le papa était catégoriquement opposé. Les sœurs et les tantes étaient toutes du côté de la maman. Mais comme on le dit souvent, c’est le papa qui décide chez nous, il fallait qu’on se rende en famille. Ainsi, on a compris qu’il y avait incompréhension entre les parents de la fille, car le père de famille nous a bien accueilli et s’est même réjoui du programme qu’on lui a expliqué. Finalement c’est lui le chef de famille qui a même accompagné sa fille. Il nous a clairement dit que la fille et sa mère voulaient camoufler la chose et c’est pour cela qu’il s’est opposé. Pourtant, on demande souvent aux filles d’être d’abord sur la même longueur d’onde avec les parents, avant de rejoindre l’équipe, parce que, si tu ne travailles pas bien à l’école et en famille, avec les travaux ménagers, personne ne va te laisser candidater.

Guinéenews : si je prends le concours Miss Guinée de l’année dernière, y avait quand même de très belles filles qui représentaient la moyenne Guinée mais pour quel résultat. Qu’est qui n’a pas marché ?

Sadiga Traoré : c’est vrai, qu’il y avait de très belles filles qui représentaient la moyenne Guinée, mais le niveau d’études a beaucoup joué, parce qu’elles étaient face à des étudiantes et des diplômées. Donc, voilà l’une des principales causes de l’échec de la moyenne Guinée au concours. Il faut rappeler que c’est nous seulement qui avions une candidate en classe de 10ème année. Elle était l’unique car toutes les autres étaient en terminale, à l’université ou sur le marché de l’emploi. Alors qu’on avait, nous, une étudiante, une bachelière et la troisième en classe de 10 ème  année. En plus de tout cela, il faut dire que le manque de préparation a été un autre facteur de blocage, parce que pour elles, après la présélection, elles n’avaient plus besoin de se préparer. Pourtant, c’est sur ce point qu’il fallait se concentrer davantage,  parce qu’il s’agit de la compétition nationale et c’est toute la Guinée qui est en concurrence. Donc, la préparation a beaucoup manqué.

Guinéenews : en tant que coordinateur régional moyenne Guinée, qu’est ce qui est envisagé pour corriger cela ?

Sadiga Traoré : cette année quand même, les parents sont très favorables et on travaille avec eux. Donc, cela est un grand atout. En plus, les filles retenues cette année, je ne vais pas dire qu’elles sont plus que celles de la précédente Edition, mais elles ont plus de motivations, plus d’ambition et plus de temps que les autres. C’est un grand atout parce que si tu veux aider quelqu’un, il faut quelque part, sentir sa motivation. Il faut que ça soit réciproque. Donc, cette année je ne vais pas vous dire à 100% qu’on va s’imposer, mais on va faire le maximum. Je vous le promets parce que, côté préparation, on a déjà commencé.

Guinéenews : peut-être que vous avez une autre difficulté liée à ce même concours que vous aimeriez partager avec nous ?

Sadiga Traoré : en local, au niveau de la moyenne Guinée, il s’agit des deux régions de Labé et Mamou qui doivent se réunir pour la présélection au compte de la région naturelle. Mais cette année, les autres préfectures n’ont pas envoyé de candidates. C’est seulement Mamou, Pita et Labé qui sont compétiteurs, tandis qu’on a fait appel à toutes les autres préfectures. Mais Lélouma, Mali, Koubia, Tougué et Dalaba ne se sont pas manifestés, faute de candidates disent-ils.

Guinéenews : pourtant il y a de belles filles à Lélouma, à Mali, Koubia, Touguè et Dalaba !

Sadiga Traoré : Bien sûr. En fait, il y a aussi un problème de financement derrière et surtout aussi, je vais mettre un accent particulier sur le côté parental.  A Mali, Tougué et Koubia surtout, il y avait bel et bien eu des candidates mais, avec l’opposition des parents et le manque de financement, ça n’a pas marché.

Guinéenews : mais de quel financement s’agit-il ?

Sadiga Traoré : vous savez, une miss a besoin d’entretien pour ses tenues, ses multiples besoins, etc. Et c’est un grand souci chez nous. Il n’y a pas d’accompagnement avec les autorités, les parents, les mécènes et personnes de bonne volonté. C’est vrai qu’il y a des personnes qui se démarquent, je ne vais pas dire leur nom, mais beaucoup se sont manifestés cette année. Le comité s’est aussi bougé pour aller vers les personnes de bonne volonté afin de solliciter leur accompagnement. Et grâce à cela, je pense qu’on ira très loin cette année, avec les candidates.

Guinéenews : pour finir monsieur Traoré, quel appel pouvez-vous lancer à l’endroit des acteurs du secteur, afin de ramener la couronne au Fouta ?

Sadiga Traoré : l’appel à l’endroit des parents des différentes miss ou des éventuelles candidates qui veulent s’engager dans ce concours, c’est de les laisser vivre leur passion. Derrière, s’il y a des opportunités c’est des retombées positives

pour toute la famille. Donc, si vous avez une fille qui veut se présenter, venez avec elle, en apportant le soutien nécessaire. Le concours de beauté n’est pas de la débauche, le concours de beauté n’est pas une perte de temps. Il y a d’énormes opportunités à saisir. Venez avec vos filles, laissez les tantes, les frères ou les sœurs les accompagner, dans ce sens. Si on prend l’exemple de notre capitale, à Conakry, c’est souvent les parents qui accompagnent leurs filles et voilà pourquoi elles sont toujours en avance. Donc pourquoi pas chez nous ? J’aimerais lancer un appel aux parents qui sont en train de lire cette interview, de laisser leurs filles aller au bout de leur rêve.

  Propos recueillis par Alaidhy Sow Labé, pour Guineenews.org

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