Contraception : l’implant peut-il causer le fibrome ?

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En Guinée, depuis plusieurs mois une rumeur circule : l’implant comme méthode contraceptive pourrait causer le fibrome chez les femmes qui l’utilisent. Bien que cette hypothèse ne soit pas soutenue par des preuves scientifiques et que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’ait fourni aucune donnée spécifique pour la Guinée, ces allégations continuent de semer le doute et l’inquiétude. Car les fibromes qui sont des tumeurs bénignes affectent une proportion significative de la population féminine africaine ( près de 50 % des femmes noires ont des fibromes avant d’avoir 35 ans, à 50 ans, ce nombre s’élève à 80 % ) , avec des conséquences graves pouvant conduire à la stérilité. Cette question préoccupante de santé publique a donc poussé notre rédaction à enquêter sur le sujet, afin de vérifier la véracité du sujet.

Isabelle* est une jeune femme qui a une vie sexuelle active depuis une dizaine d’années. Ayant frôlé de justesse une grossesse alors qu’elle n’avait pas encore fini l’université, elle décide avec l’accord de son petit ami d’utiliser une méthode contraceptive. Sur recommandation d’une de ses amies, elle choisit d’utiliser l’implant (appelé aussi anti-balle), et s’en procure auprès d’une sage-femme d’un centre de santé. Celle-ci lui pose clandestinement, dans une maison à quelques encablures du centre de santé l’implant Jadelle, sans lui donner aucune information. « C’était en 2017 que j’ai connu et utilisé l’implant pour la première fois. J’ai payé près de 120.000 GNF pour le produit et la pose. Je n’avais aucune information, à part qu’elle me protégeait de grossesses non désirées. L’infirmière m’a posé des bâtonnets dans le bras en me disant juste de ne pas prendre quelque chose de lourd avec le bras pour éviter que ça se déplace. Je n’ai pas posé de questions et je n’ai reçu aucune autre information. C’était ma première et ma dernière fois de la voir car pour la seconde fois, je me suis rendue au centre de santé de Matoto », explique Isabelle.

Qu’est-ce que l’implant ?

L’implant est une méthode de contraception pour les jeunes filles et femmes, en âge de commencer une vie sexuelle, ou ayant déjà une vie sexuelle active. Elle permet à ses utilisatrices d’éviter des grossesses non désirées à travers la planification familiale.

Ayant à peu près la taille d’une petite tige d’allumette, Il est placé sous la peau interne du bras. Afin de rendre difficile ou carrément empêcher l’ovulation chez sa porteuse, il libère dans l’organisme de façon continue des hormones similaires à la progestérone (l’étonogestrel et le lévonorgestrel qui sont des hormones qui empêchent l’ovulation chez la femme sous implant). Ce contraceptif entraîne une diminution de la croissance de l’endomètre et modifie la consistance de la glaire cervicale, rendant difficile la pénétration des spermatozoïdes dans le col de l’utérus. Son efficacité dure entre 3 et 5 ans selon le modèle. Au bout de ce temps, il doit être retiré pour poser un nouvel implant. « Les implants sont des contraceptifs qui sont efficaces à 99 %. Leur action se situe au niveau de l’ovaire, où ils libèrent une quantité de progestérone. Cependant, en cas de production excessive de progestérone, cela peut entraîner des effets secondaires tels que des douleurs abdominales, des saignements et autres. Les implants sont très riches en progestérone, ce qui inhibe la sécrétion des œstrogènes », précise Dr Joseph Tinguiano, médecin spécialiste en santé sexuelle et reproductive.

L’utilisation de l’implant présente de nombreux avantages : il est efficace, a une longue durée d’action, économique, est une méthode réversible (donc dès l’arrêt de la contraception, l’effet diminue rapidement et la femme peut tomber enceinte aussitôt), sans œstrogène ( hormone féminine) et discrète. L’implant est pratique également pour les femmes qui oublient fréquemment de prendre des contraceptifs oraux et peut être utilisé pendant l’allaitement. L’implant est posé par un professionnel de santé (médecin généraliste, sage-femme ou gynécologue). « Tout le temps que j’ai utilisé l’implant, j’étais soulagée car je suis le type de personne qui prend des comprimés seulement quand je suis malade. Les injections et moi, on ne fait pas non plus bon ménage. Je ne me suis pas inquiétée des risques de grossesses. Et même quand nous n’avions pas de préservatif parfois, je me laissais aller, avec la garantie que l’implant me protégeait. Ça a été comme ça pendant plus de trois ans », indique Isabelle.

Comme beaucoup de produits pharmaceutiques, l’implant présente des effets secondaires chez ses utilisatrices. Celles-ci peuvent prendre du poids (remarque valable surtout pour les femmes déjà en surpoids), avoir des perturbations de leurs cycles menstruelles (les règles peuvent devenir irrégulières, les saignements peuvent être abondants ou se raréfier, elles peuvent durer un long moment sans paraître), avoir des poussées d’acnés,…

C’est le cas pour Isabelle qui, déjà en surpoids, se sent à nouveau grossir. « Je pouvais faire trois à quatre mois sans voir mes règles mais ça ne me dérangeait pas car je faisais confiance à mon implant. J’ai commencé aussi à grossir selon mes proches. J’ai donc couru retirer l’implant plus de trois ans après. J’ai attendu plus de six mois pour voir si mon corps changeait mais c’était une fausse alerte. J’ai repris l’implant et cette fois, j’ai mes règles chaque mois mais le flux est irrégulier et varie selon les mois. En plus, je sens bien que je grossis », ajoute Isabelle.

L’implant contraceptif peut comporter des risques. Ceux-ci sont très rares. L’implant peut migrer dans l’artère pulmonaire lorsqu’il est mal positionné, provoquant des conséquences très graves. Lorsqu’il est mal retiré du corps également, il peut provoquer la paralysie momentanée du bras.

Implants utilisés en République de Guinée

C’est en juillet 2000 que le Gouvernement guinéen a élaboré et adopté la politique de santé de la reproduction ( Loi 010/2000/AN portant « Santé de la Reproduction »). Il a ensuite mis progressivement à la disposition des intervenants dans ce domaine des documents stratégiques et des moyens pour mener des actions fortes, afin d’améliorer le niveau de contraception dans le pays. Les prestations de planning familial sont intégrées dans tout le système de santé guinéen et couvrent la majorité des établissements de soins.

Selon l’enquête démographique de santé (EDS) de 2018, l’implant est utilisé par 2 % des femmes en union en Guinée. Chez les femmes non en union (qui ne sont pas mariées) sexuellement actives, 12 % utilisent les implants. 92 % des utilisatrices d’implants s’orientent vers le secteur public pour s’approvisionner. Au cours des cinq années ayant précédé l’enquête, 54 % parmi les utilisatrices d’implants ont changé de méthode à cause des effets secondaires et des raisons liées à la santé et le souhait de tomber enceinte. Les raisons liées à la santé expliquent 68 % des arrêts de l’implant.

La république de Guinée a introduit dans ses offres de services de planification familiale les implants, dont le modèle Jadelle. L’implant contient deux bâtonnets souples, scellés, blancs ou blanc-cassé d’environ 43 mm de long et 2,5 mm de diamètre, à insérer sous la peau en les plaçant en forme de V ouvert en direction de l’épaule. Il est composé de lévonorgestrel ( progestatif ou pilule du lendemain utilisé comme pour empêcher la grossesse à la suite d’un rapport sexuel en l’absence de protection). Celui-ci « est libéré à une vitesse d’environ 100 microgrammes par jour un mois après l’insertion; cette vitesse diminue ensuite à environ 40 microgrammes par jour dans l’année qui suit, à environ 30 microgrammes par jour dans les 3 ans et à environ 25 microgrammes par jour dans les 5 ans », indique l’ANSM ( Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé en France). Il a une durée d’action d’au maximum 5 ans.

L’implant peut avoir comme effets indésirables des céphalées, la nervosité, des sensations vertigineuses, des nausées, des modifications des règles (hémorragie menstruelle fréquente, irrégulière ou prolongée, spotting ( saignement léger et intermittent qui survient en dehors de la période des règles chez une personne sous contraception hormonale), aménorrhée (absence de règles ou de menstrues), la cervicite, l’écoulement vaginal, le prurit génital, des douleurs pelviennes, des douleurs mammaires, une prise de poids…

Il existe également le modèle Nexplanon qui, bien que peu utilisé compte des utilisatrices chez les femmes. C’est un implant flexible, purement progestatif ( hormone stéroïdienne d’action similaire à la progestérone), non biodégradable, pré chargé dans un applicateur stérile, jetable. Il est majoritairement composé d’étonogestrel.

Contrairement à l’implant Jadelle, il est composé d’un bâtonnet flexible et souple, blanc à blanc cassé, non biodégradable, de 4 cm de long et 2 mm de diamètre. Il a une durée d’efficacité de 3 ans et un seul implant est inséré sous la peau. Avant son insertion, toute grossesse doit être exclue. Si l’implant n’est pas inséré conformément aux instructions et pas le jour adapté, ceci peut entraîner une grossesse non désirée. L’implant doit être inséré à la face interne du bras non dominant en sous-cutané, juste sous la peau.

Comme effets indésirables de ce modèle, il faut noter le changement des pertes menstruelles, les maux de tête, les seins douloureux, la prise de poids, les changements d’humeurs, les acnés… le produit est contre-indiqué en cas d’accident thromboembolique veineux évolutif ; de tumeurs malignes, connues ou suspectées, sensibles aux stéroïdes sexuels ; de présence ou antécédent de tumeurs du foie (bénigne ou maligne) ; de présence ou antécédent d’affection hépatique sévère ; d’hémorragies génitales non diagnostiquées ; d’hypersensibilité à la substance active ou à l’un des excipients ; et de Kystes ovariens.

Le fibrome

Les fibromes, également appelés myomes, sont des tumeurs non cancéreuses qui se développent dans l’utérus. Ils peuvent varier en taille, allant de quelques millimètres à plusieurs centimètres de diamètre, et sont souvent multiples. Les symptômes associés aux fibromes incluent des saignements menstruels abondants, des douleurs pelviennes, des mictions fréquentes, et dans certains cas, des complications liées à la fertilité. « Les fibromes sont des tumeurs qui se développent à partir de l’utérus. La principale cause des fibromes est une hyperproduction d’hormones, notamment les œstrogènes. Lorsque la production d’œstrogènes est excessive, ces hormones peuvent être à l’origine du développement de ces tumeurs qui se localisent au niveau de l’utérus », ajoute le Dr Tinguiano.

Il existe quatre types de fibromes selon leur localisation : le fibrome sous-séreux qui se situe à la surface externe de l’utérus, le fibrome interstitiel ou intra mural ou myomètre qui se situe dans l’épaisseur du muscle utérin, le fibrome sous-muqueux ou intra cavitaire qui se développe dans la cavité utérine, et le fibrome pédonculé, considéré comme une variante des fibromes sous-séreux ou sous-muqueux. Il pousse sur une tige, ou pédoncule, à l’extérieur des parois utérines.

En Afrique, les fibromes utérins touchent une proportion notable de la population féminine, avec des taux d’incidence estimés à environ 70 à 80 % des femmes de plus de 30 ans dans certaines régions. Cette prévalence, nettement supérieure à celle observée sur d’autres continents, soulève des questions sur les facteurs spécifiques à cette population. Parmi ces facteurs, l’utilisation des contraceptifs hormonaux est de plus en plus pointée du doigt.

Implants contraceptifs et fibromes : quel lien ?

La rumeur selon laquelle « l’implant contraceptif pourrait provoquer des fibromes » est apparue et s’est répandue il y a quelques mois dans plusieurs communautés (dont celles de femmes en âge de pouvoir choisir une méthode contraceptive). Ceux qui avancent cette théorie soutiennent « qu’une élévation des taux d’œstrogènes et éventuellement de la progestérone (hormones féminines qui ne favorisent pas la nidation de l’ovule ) stimule la croissance des fibromes ».

Plusieurs femmes soutiennent qu’elles ont été victimes de fibromes après avoir utilisé cette méthode contraceptive. C’est le cas de Karima, mariée depuis cinq ans qui a choisi l’implant comme méthode contraceptive dès ses seize ans. « J’ai utilisé un implant sans aucun problème, mais un jour, mon gynécologue m’a suggéré de changer pour un modèle plus récent, apparemment plus efficace, le Nexplanon. Sans trop réfléchir, j’ai accepté ce changement, me fiant à son expertise. Les premiers mois, tout semblait aller bien mais progressivement, j’ai commencé à ressentir des douleurs intenses dans le bas-ventre. Je mettais cela sur le compte du stress ou d’un cycle irrégulier, sans imaginer que quelque chose de plus grave se préparait. Les douleurs ont empiré, jusqu’à devenir insupportables. Après plusieurs consultations et des examens médicaux, le diagnostic est tombé : des fibromes utérins avaient envahi mon utérus. Je n’avais jamais entendu parler de cette maladie et soudain, elle me frappait de plein fouet. Les médecins ont évoqué la possibilité que ces fibromes aient été causés par le changement d’implant, bien que rien ne soit prouvé avec certitude », se souvient-elle.

Cependant, cette rumeur semble être infondée, car elle ne repose sur aucune étude ou affirmation scientifique, malgré les nombreuses théories sur le sujet. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), bien qu’elle ait mené des études approfondies sur les fibromes et leurs causes possibles, n’a pas identifié de lien direct entre les contraceptifs et la formation de ces tumeurs. Le manque de données spécifiques pour la Guinée laisse un vide dans lequel s’insèrent des théories non vérifiées, alimentant ainsi la méfiance envers les contraceptifs, notamment les implants.

Selon le Dr Joseph, même si les implants sont très riches en progestérone, inhibant ainsi la sécrétion des œstrogènes, il n’existe pas de lien entre les fibromes et les implants. « Au contraire, chez les femmes qui ont déjà des fibromes, l’implant peut contribuer à une légère réduction de ces derniers. Il n’y a pas de preuve que les implants soient à l’origine des fibromes, selon les experts. De toute mon expérience clinique, j’ai reçu énormément de femmes en consultation, mais jamais de patientes qui ont eu des fibromes à cause de l’utilisation d’un implant. Ce mois par exemple, j’ai reçu une dizaine de femmes qui ont des fibromes, mais rien en lien avec l’implant », assure-t-il.

L’annuaire de statistiques de santé publique de 2020 indique que 532 femmes ont subi une intervention chirurgicale pour un cas de fibrome en Guinée. Cependant, aucune de ces statistiques n’a démontré un lien existant entre les méthodes contraceptives et la présence de fibromes chez ces femmes.

En 2022, une étude intitulée “Aspects épidémiologiques, cliniques, et prise en charge chirurgicale des fibromyomes utérins” a été réalisée par le service de gynécologie-obstétrique de l’Hôpital National Ignace Deen. Cette étude a démontré que les interventions chirurgicales pour fibromyome utérin représentaient 55,47 % (76/137) des activités chirurgicales pour pathologie gynécologique. Il s’agissait majoritairement de femmes non scolarisées (42,10 %), en foyer (73,30 %), et exerçant une profession libérale (40,80 %).

Même si aucun lien n’a été formellement établi entre la situation de Karima et son changement d’implant, la jeune dame invite les femmes à se renseigner avant de faire un choix : « aujourd’hui, malgré tous nos efforts, je n’arrive pas à concevoir. Chaque test de grossesse négatif est une nouvelle blessure, un rappel cruel de ce que j’ai perdu. Je n’avais jamais imaginé qu’une décision aussi simple, comme celle de changer d’implant, pourrait avoir de telles conséquences sur ma vie. Je partage mon histoire aujourd’hui pour sensibiliser d’autres femmes, pour leur dire de bien se renseigner, de poser toutes les questions nécessaires, et surtout, de ne jamais banaliser les douleurs ou les symptômes qu’elles peuvent ressentir ».

Pour Dr Joseph Tinguiano, il est important de toujours consulter un médecin avant de prendre des implants. « Les effets secondaires des contraceptifs sont généralement des effets mineurs, tels que des saignements ou une prise de poids. Les implants sont contre-indiqués dans certains cas, et les patientes doivent consulter leur médecin. L’implant est la seule méthode contraceptive qui ne cause pas de tumeur contrairement à la pilule par exemple », a conseillé pour sa part le spécialiste.

Cette enquête met en lumière une inquiétude légitime qui persiste parmi certaines utilisatrices de contraceptifs en Guinée, face à la circulation de rumeurs non fondées, sur le lien entre les implants et les fibromes utérins.

Malgré des témoignages poignants et des perceptions de risques, les preuves scientifiques disponibles, tout comme les experts de la santé, ne corroborent pas la rumeur selon laquelle l’implant peut causer des fibromes chez les femmes qui l’utilisent. Il est crucial que les professionnels de santé renforcent la communication et l’éducation des femmes sur les méthodes contraceptives. L’absence de dialogue peut ouvrir la porte à des idées fausses et, pire encore, conduire certaines à faire des choix basés sur la peur plutôt que sur la connaissance.

Au final, la meilleure protection pour les femmes réside non seulement dans la méthode contraceptive qu’elles choisissent, mais aussi dans l’accès à des informations fiables et transparentes.

Adama Hawa Bah
Elisabeth Zézé Guilavogui
Cet article a été publié avec le soutien du Centre International pour les Journalistes.
*: Les noms ont été volontairement changés pour préserver l’anonymat des interviewés.

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