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En Guinée, les billets utilisés dans les transactions sont presque tous usés depuis plusieurs années. La BCRG, l’institution responsable de l’émission et de la protection de la monnaie, ne remplirait pas complètement son rôle à ce sujet. Pourtant, la qualité de la monnaie fiduciaire constitue un indicateur fondamental de la santé du système financier. Ainsi, la prolifération de billets de banque dégradés et usés suscite beaucoup d’interrogations, d’autant plus que l’émission récente des nouveaux billets de GNF 20 000, ainsi que l’annonce concernant ceux de GNF 10 000, devait justement permettre de répondre au besoin urgent de remplacer les billets usés, qui devraient normalement être démonétisés et détruits.
Malheureusement, les anciens billets seraient toujours mal retirés de la circulation. Comme le relève Financial Afrik, « les billets usés se retrouvent régulièrement dans les coffres des banques primaires qui peinent à reverser ces billets hors d’usage à la BCRG ».
Causes structurelles de la circulation de billets usés:
Plusieurs facteurs structurels expliquent la détérioration rapide des billets en Guinée. Selon les statistiques publiées par la BCRG, près de 71 % de la masse monétaire est détenue par le public, ce qui traduit une forte préférence pour l’utilisation du cash. Le gouverneur de la BCRG lui-même reconnaît cette « trop grande utilisation du cash » comme l’une des causes majeures. En conséquence, les coupures de faible valeur (500, 1 000 ou 2 000 GNF) sont très sollicitées, passant d’une main à l’autre des centaines de fois chaque jour, ce qui accélère leur usure prématurée.
Par ailleurs, les billets de grosse valeur (GNF 10 000 et GNF 20 000) représentent près des deux tiers de la valeur totale détenue par le public, selon le rapport annuel 2022 de la BCRG. Cette donnée montre clairement que les billets à forte dénomination sont également très demandés. Ce contexte, combinant forte pression sur les billets et préférence pour les grandes coupures, complique les échanges et prolonge la circulation des coupures les plus fragiles.
S’y ajoutent des insuffisances logistiques, mais surtout organisationnelles, au sein de la Banque centrale, qui aggravent le problème. En Guinée, le système de dépôt et retrait des billets usés ne fonctionne pas correctement. Le retrait efficace des billets obsolètes n’est pas assuré : faute d’équipements adaptés ou de procédures claires, les banques secondaires accumulent ces billets usés jusqu’à former ce que l’on appelle communément une « brique », soit environ 1 000 billets, avant de les acheminer à la BCRG. Et même à ce stade, leur versement n’est pas facile. Normalement, une fois remis, ces billets doivent être démonétisés et remplacés par des billets neufs.
Ce n’est pas un hasard si les transports de numéraire vers les agences intérieures sont limités. Par exemple, le rapport annuel 2022 de la BCRG indique que les transferts de fonds vers les agences de province sont passés de 513 à seulement 23 milliards GNF entre 2021 et 2022, soit une baisse de 490 milliards. Ces chiffres illustrent une forte diminution dans la distribution des billets neufs à travers le pays. En pratique, la Banque centrale ne parvient pas à collecter et à recycler efficacement les billets usés. Pourtant, en 2022, elle a installé à Labé une unité automatisée de traitement des billets (comprenant triage, contrôle d’authenticité et broyage pour destruction), mais cette technologie n’est pas encore déployée dans les autres régions administratives où elle est nécessaire.
En outre, en l’absence d’un tri systématique des billets collectés, des coupures salies ou déchirées circulent toujours inutilement, contrairement aux pratiques de la BCEAO qui procède « périodiquement au retrait de circulation puis à la destruction des billets en mauvais état ».
Pour finir sur les causes, il est important de noter que nous-mêmes, en tant qu’utilisateurs, ne manipulons pas toujours les billets avec soin, ce qui favorise leur usure rapide. Il est courant de plier les billets de façon désordonnée, voire de les jeter lors des célébrations, avec le risque qu’ils soient piétinés ou autrement endommagés, ce qui conduit à des déchirures et salissures. C’est pourquoi la BCEAO souligne que la durée de vie des billets dépend autant de leur qualité d’émission que du soin apporté par les usagers. En Guinée, l’éducation à une bonne tenue de la monnaie est encore insuffisante, ce qui, combiné aux autres facteurs, alimente la problématique des billets usés.
Impacts sur l’économie et la confiance :
Dans un pays où 71 % de la monnaie circule sous forme d’espèces, il ne devrait normalement pas y avoir de difficulté à obtenir des billets propres. Le processus devrait fonctionner de manière à éviter tout dysfonctionnement ou ralentissement économique. La crise de liquidité que nous continuons à subir trouve sa source non seulement dans un manque de confiance entre différents acteurs économiques, mais surtout dans l’incapacité de la BCRG à remplacer rapidement les billets usés. Cela soulève des questions sur la maîtrise réelle de la masse monétaire par cette institution. Si elle la maîtrisait parfaitement, la situation ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.
Pour restaurer la confiance, il est crucial d’injecter sur le marché les GNF 2 600 milliards récemment annoncés, même si cela entraîne une légère inflation nécessaire à une croissance économique saine. En effet, lorsque les transactions quotidiennes deviennent plus complexes, surtout pour les paiements d’importation ou les petits achats en espèces, il est clair que l’économie est fragilisée.
De plus, du point de vue monétaire, la persistance des billets anciens nourrit aussi les craintes inflationnistes. Certains économistes rappellent que si les anciens billets ne sortent pas progressivement de la circulation au fur et à mesure que de nouveaux billets sont émis, la masse monétaire effective pourrait augmenter, entraînant une pression à la hausse sur les prix. Par ailleurs, la « crise des billets » nuit à la crédibilité de la Banque centrale et de la monnaie nationale. Les rumeurs et désinformations qui ont circulé après le braquage de GNF 21 milliards et concernant la validité des nouvelles coupures, avant que la BCRG ne reprenne la main, ont affecté la confiance des acteurs économiques. L’Union des Consommateurs de Guinée a même demandé à la BCRG davantage de transparence sur l’origine de cette crise afin de « restaurer la confiance » auprès de la population. Dans un contexte où l’épargne reste majoritairement thésaurisée en liquide, toute défiance vis-à-vis du franc guinéen pousse les citoyens vers des valeurs alternatives (dollarisation informelle, or) ou à renoncer en partie à la traçabilité de leurs capitaux.
Solutions concrètes pour la BCRG :
Pour inverser cette tendance, la Banque centrale dispose de plusieurs leviers. Sur le plan technique, elle doit intensifier la production et la distribution de billets neufs de qualité. L’utilisation de supports plus résistants (par exemple, des billets en polymère comme en Mauritanie) pourrait tripler la durée de vie des billets. Par ailleurs, la BCRG doit généraliser le tri et la destruction des billets usés, comme cela a été introduit à Labé en 2022. La mise en place d’unités automatisées de traitement dans toutes les agences permettrait d’éliminer les billets dégradés (déchirés, marqués ou très sales) et de recycler uniquement les coupures en bon état.
Sur le plan organisationnel et comportemental, la solution passe également par une meilleure communication. La BCRG pourrait lancer une large campagne de sensibilisation pour expliquer comment manipuler et conserver les billets, selon l’exemple de ce qui a été fait dans l’UEMOA.
Pour restaurer la confiance à moyen terme, la stratégie la plus durable consiste à réduire la dépendance au cash. Comme le préconisent les autorités, il faut encourager au maximum les paiements dématérialisés – virement bancaire pour les salaires de la fonction publique, développement du mobile banking, et accélération de l’interopérabilité des fintechs – afin de limiter l’usure des billets en circulation. Cette approche est en phase avec la tendance régionale vers davantage de digitalisation : en Guinée, plus de 50 % de la population utilise déjà le mobile money, un potentiel important à exploiter pour transférer progressivement les transactions hors espèces.
En résumé, la gestion des billets usés en Guinée est un défi à la croisée de problèmes techniques, culturels et organisationnels. La Banque centrale doit agir simultanément sur ces différents fronts afin de restaurer la qualité et la crédibilité de la monnaie nationale. Une amélioration conjointe de l’émission, de la logistique de distribution, et de l’éducation monétaire permettra de venir à bout de cette problématique persistante, et ainsi renforcer la confiance des Guinéens dans leur franc.
Safayiou DIALLO
Économiste