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Quarante-et-un ans ont passé depuis la disparition d’Ahmed Sékou Touré, le 26 mars 1984. Quatre décennies, et pourtant, l’homme qui osa dire « non » à De Gaulle en 1958, précipitant l’indépendance de la Guinée, demeure une énigme historique. Un héros pour les uns, un bourreau pour les autres. Son héritage, comme un miroir fissuré, reflète autant la fierté d’un continent en lutte que les stigmates d’une dictature impitoyable.
Il est indéniable que le premier président Guinéen a inscrit son nom au panthéon des pères de l’émancipation africaine. Son refus catégorique de la domination française, son soutien aux mouvements de libération (du PAIGC en Guinée-Bissau aux luttes anticoloniales à travers l’Afrique), et sa rhétorique panafricaine enflammée ont forgé un symbole. Un symbole qui transcende les frontières, porté par l’espoir d’un continent debout. Mais derrière cette stature se cache un autre récit, plus sombre, celui d’un pouvoir qui a dévoré des enfants du pays.
Le Camp Boiro, machine à broyer les dissidents, reste l’épicentre de cette terreur systémique. Ce lieu a incarné l’arbitraire : tortures, exécutions, disparitions. Des chiffres glaçants – 50 000 morts selon Amnesty International – rappellent l’ampleur de la répression. La mise à mort de figures comme Diallo Telli, Kéïta Fodéba, Gl Noumandian Kéîta, Karim Fofana et bien d’autres personnalités de premier plan illustre cette tragédie. Comment célébrer un libérateur dont le régime a decimé une bonne partie de l’élite ?
Aujourd’hui, la Guinée porte toujours ce double héritage comme une cicatrice mal refermée. Les réseaux sociaux bruissent de débats passionnés : entre les jeunes qui brandissent son nom comme étendard anti-impérialiste et les familles qui pleurent encore des projets brisés. La profanation de sa tombe en 2018, laissée à l’abandon, est un symbole cru. Hadja Andrée Touré, son épouse, n’avait pas manqué de dénoncer cet acte, mais le “sacrilège” révèle une vérité plus profonde : quarante-et-un ans après, le pays n’a toujours pas fait la paix avec son passé.
AU-DELÀ DU MYTHE ET DU REJET : ASSUMER LA COMPLEXITÉ
Le défi, pour la Guinée et pour l’Afrique, est de regarder cette histoire en face. Sans angélisme ni anathème. Car réduire Sékou Touré à un monstre ou à un martyr serait une trahison de la mémoire collective. Son combat contre le colonialisme fut authentique ; sa dérive autoritaire, tout autant. C’est précisément cette dualité qui doit interroger : comment un leader, porté par l’idéal de libération, a-t-il pu incarner à ce point l’oppression ?
Peut-être est-il temps de dépasser le clivage stérile entre glorification et condamnation, pour embrasser une mémoire critique. Une mémoire qui honore la dignité reconquise en 1958, sans occulter les innombrables vies sacrifiées sur l’autel du pouvoir. Une mémoire qui, plutôt que de diviser, invite à construire un avenir où la liberté ne sera plus synonyme de terreur. Quarante-et-un ans après, la Guinée mérite cela : non pas un procès, mais un dialogue. Non pas un héros ou un tyran, mais une vérité assumée.
Car c’est dans cette lucidité que réside la véritable réconciliation – avec l’histoire, et avec soi-même.
Top Sylla
L’article Ahmed Sékou Touré, 41 ans après… Entre ombre et lumière, le poids d’une mémoire fracturée [Par Top Sylla] est apparu en premier sur Mediaguinee.com.