RFI/Le débat sur la réhabilitation de Sékou Touré continue (Par Ibrahima Jair Keïta)

La question fondamentale est la suivante :

Ahmed Sékou, le 1er Président de la Guinée, mérite-t-il d’être réhabilité ou non ?

Seul un média français et ses relais peuvent poser une telle question et entretenir un tel débat.

À mon avis, la réhabilitation d’un chef doit porter sur l’analyse, sans passion, des propos et actes posés durant le règne dudit Chef.

Samory Touré et Alpha Yaya Diallo étaient des Chefs très puissants et redoutables. En plus du colonisateur qu’ils ont combattus, certains de leurs sujets les ont qualifiés de Rois sanguinaires.

Ils ont été réhabilités par les Guinéens.

Le Général De Gaulle et la France ont eu l’apport incommensurable des soldats Africains pour la libération de la France de l’occupation allemande en 1939-1945.

Des milliers de soldats Africains sont morts au front.

Ceux qui sont revenus, ont été massacrés à Thiaroye le 1er décembre 1944. Sur place, 71 morts ont dénombrés. Plus tard, le nombre de morts est porté à 191.

À ce moment, c’est le Général De Gaulle (celui qui a fait appel aux Africains à Brazzaville) qui était Chef du gouvernement provisoire de la France.

Malgré ce crime contre les soldatsd’africains, des Boulevards, des Avenues et autres lieux publics portent le nom du Général De Gaulle dans des capitales africaines.

Au Sénégal, durant les années 60, pour un problème de leadership, le Chef du Gouvernement Mamadou Dia et certains de ses Ministres ont été faits prisonniers par le Président Senghor durant 12 ans, malgré toutes les interventions de par le monde.

Aussi, des Sénégalais ont été mortellement réprimés lors des manifestations socio-politiques à Dakar.

Malgré ces violations des droits humains, l’aéroport de Dakar et bien d’autres lieux publics portent le nom de Leopold Sedar Senghor.

Dans bien d’autres pays africains, les pères de l’indépendance sont réhabilités, malgré certaines fautes qu’ils ont commises.

En Guinée, Sékou Touré a exercé le pouvoir durant 26 ans.

Pour répondre à la question de sa réhabilitation, il me semble nécessaire d’analyser tous les aspects de sa gouvernance pour distinguer les aspects positifs des aspects négatifs.

Je retiendrais :

A. Au titre des aspects positifs.

1) sa contribution active à l’émancipation politique et sociale de la Guinée et de l’Afrique à travers le mouvement syndical en Afrique (UGTAN) et le mouvement politique en Guinée (PDG-RDA).

2) sa contribution à l’indépendance de la Guinée par le NON historique ou dérangeant devant le Général De Gaulle.

Un discours que le Général n’a jamais digéré à cause de son contenu et de sa tonicité.

3) la contribution de la Guinée (sous Sékou Touré) à la décolonisation de l’Afrique par son appui aux mouvements de libération du continent.

4) l’institution et la gratuité de l’enseignement de masse. Ce qui a permis aux enfants des plus pauvres et des hommes dits de castes d’accéder à la formation moyenne et supérieure, tant en Guinée que dans les grandes écoles étrangères.

5) l’institution des plans de développement économique (Plans Triennal, Septennal et Quinquennal) qui ont permis l’industrialisation et la mise en place des infrastructures de base, avec les moyens disponibles.

Ces réalisations ont pu être faites malgré le sabotage politique et économique du gouvernement français, à travers ses services secrets et leurs relais africains.

5) la forte personnalité de Sékou Touré et son apport positif pour l’unité de l’Afrique (OUA), la solidarité du Tiers-Monde (Mouvement des Non Alignés) et la Umma Islamique (OCI).

B. Au titre des aspects négatifs. Je retiendrais ce qui suit :

1) Le culte de la personnalité.

J’ai l’impression que très tôt, l’homme a été habité par la volonté de conserver le pouvoir : tout le pouvoir.

Il est passé par le peuple pour légitimer ce penchant.

Toute la légende a été construite à cet effet.

Une telle démarche débouche toujours sur le Totalitarisme.

En bon stratège, il a institué le Centralisme démocratique dans le Parti unique.

Effectivement, il y avait la démocratie à la base. Sauf que cette démocratie devenait de plus en plus élective et népotique au sommet.

C’est pourquoi les membres du Comité central et surtout du Bureau Politique National étaient le choix du Président en personne. Ceux du BPN étaient pour la plus part ses proches : les membres de sa famille et de sa belle-famille en grand nombre, complétés par quelques inconditionnels.

Une telle composition de la plus haute instance dirigeante, a été un schéma conçu à dessein pour consolider le pouvoir personnel.

2) la mauvaise gestion des complots contre le régime.

Les révélations faites par les Agents des services secrets français et les mémoires de certains dirigeants français, en plus de certaines publications et autres documentaires, prouvent à suffisance qu’il y a eu des actes de sabotage et des tentatives de renversement du régime de Sékou Touré, avec l’appui du Sénégal de Senghor, de la Côte d’Ivoire de Houphouet Boigny.