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Exercer le métier d’avocat en Guinée est déjà, en soi, un acte de foi. Mais être avocat pénaliste, et pire encore, avocat des causes politiques et des droits de l’Homme, relève du sacerdoce, voire du masochisme civique.
Incontestablement, en Guinée, défendre, c’est souvent souffrir. Et plaider, c’est parfois périr symboliquement, sinon physiquement et parfois inutilement.
L’avocat guinéen, dans sa souffrance quotidienne, vit dans une tension permanente : entre devoir professionnel et passion démocratique, entre exigences déontologiques et réalité sociopolitique crue. Il porte la robe comme un prêtre porte sa soutane, mais à la différence du prêtre, son église change de foi selon les saisons électorales.
Quand l’avocat défend un opposant arrêté, un militant brutalisé ou un activiste persécuté, il est un héros, « c’est l’avocat du peuple ». On le félicite. On l’adule. On le partage sur les réseaux sociaux. Certains même vont jusqu’à mettre sa photo sur leurs profils facebook et instagram. On l’appelle « défenseur des causes nobles », « vigie de la démocratie », « l’avocat des faibles ».
Mais dès que ce même militant ou acteur politique devient président, ministre, directeur ou président de conseil d’administration, maire, il change de camp et tient un autre langage.
Le héros d’hier devient subitement « complice », « corrompu », « avocat des causes perdues » ou pire : « avocat alimentaire ». On l’accuse de « changer de camp », alors qu’il est resté avocat dans l’âme. Il devient ainsi la risée de ses anciens clients qui ont déménagé au palais.
Il y a dans ce pays un phénomène aussi mystérieux qu’un décret nocturne : l’ancien persécuté devient persécuteur. L’ancien détenu politique devient geôlier d’opinion. Et le comble de l’ironie, les nouvelles victimes viennent chercher le même avocat qui avait jadis défendu leur persécuteur ! Ainsi va la chaîne alimentaire judiciaire. « Le serpent se mord la queue, et l’avocat sert de nappe. »
On défend des hommes au nom des principes, et ces mêmes hommes, une fois au pouvoir, vous regardent comme une mauvaise photo d’archives. Quand ils étaient faibles, ils priaient. Maintenant qu’ils sont forts, ils oublient. Ou pire, ils vous demandent de clouer le bec.
Dans ce contexte, l’avocat guinéen n’est ni adulé ni haï : il est alternativement l’un et l’autre. Selon que vous épousiez ou non la cause qu’il défend.
Aujourd’hui, vous êtes célébrés pour avoir sauvé un opposant ; demain, vous êtes vilipendés pour avoir protégé un droit fondamental d’un autre camp. Entre deux commentaires Facebook, votre réputation se transforme en yoyo : elle monte ou descend selon les humeurs numériques.
<<Vraiment ! On a trop souffrance! On a beaucoup souffrance! On a beaucoup eu la tort dans ce pays!>>
Chers politiques, chers activistes, chers militants, chers donneurs d’ordres et d’opinions : respectez ceux qui vous défendent. Car, dans ce pays, les rôles changent plus vite qu’un gouvernement de transition. Et demain, celui que vous insultez pourrait bien être le dernier rempart entre vous et l’arbitraire.
La Guinée mérite mieux, elle mérite mieux que des mascarades judiciaires ou des procès-spectacles. Elle mérite des institutions fortes, où l’avocat n’est pas un simple figurant tragique ou décorateur, mais un acteur respecté de l’État de droit. « La roue de l’histoire tourne et elle tournera. » Les mêmes qui s’étaient confessés devant le Général au Palais du peuple, dès le lendemain du 5 septembre 2021, n’ont toujours pas tiré les leçons du passé. Ils persistent dans leur vieille habitude, et de la pire des manières. Une justice indépendante est une garantie pour tous et pour toujours.
Alors, rions un peu de ce cercle vicieux avant qu’il ne nous dévore tous. Et surtout, prenons au sérieux l’Avocat, ce professionnel qui, dans le vacarme des intérêts et des trahisons, tente encore de faire entendre la voix du Droit.
Comme le disait un penseur : «Respecte l’avocat, car il te défendra même lorsque plus personne ne prononce ton nom.»
Me Pépé Antoine Lama
Avocat inscrit au Barreau de Guinée