Kamsar, nouveau point de départ des migrants guinéens vers l’Europe : déjà 7 morts (Entretien avec Elhadj Mohamed Diallo)

il y a 3 heures 23
PLACEZ VOS PRODUITS ICI

CONTACTEZ [email protected]

Alors que les routes migratoires se ferment les unes après les autres en Afrique du Nord, un nouveau phénomène inquiète : les départs en mer depuis Kamsar, en Guinée.

Déjà, sept Guinéens ont perdu la vie en tentant la traversée, selon l’Organisation Guinéenne pour la Lutte contre l’Immigration Irrégulière.

Dans cet entretien accordé à notre rédaction ce lundi 4 août 2025, Elhadj Mohamed Diallo, directeur exécutif de l’organisation, alerte sur les dangers de cette nouvelle route migratoire et appelle l’État à agir en profondeur pour améliorer les conditions de vie des jeunes et endiguer ce fléau.

Mosaiqueguinee.com : Vous êtes engagé dans la lutte contre l’immigration clandestine. Depuis quelque temps, on observe des départs en mer depuis la Guinée, notamment à partir de Kamsar. Depuis quand cela a-t-il commencé et y a-t-il eu des cas de décès ?

Elhadj Mohamed : Les premiers mouvements ont commencé en 2024. Le tout premier convoi était un simple essai. Ensuite, il y a eu un deuxième, puis un troisième convoi, au cours duquel sept personnes sont malheureusement décédées. Récemment, des journalistes espagnols sont venus avec une liste de migrants décédés dans ce convoi. Nous avons pu identifier certaines familles, mais d’autres restent à retrouver. Entre le 2 et le 4 juillet, les autorités guinéennes ont procédé à une vague d’arrestations à Kamsar, interceptant 159 personnes prêtes à embarquer. Avant cela, un autre groupe de 49 personnes avait été également interceptés. Pour l’instant, les sept décès confirmés constituent les informations dont nous disposons.

Vous avez évoqué une liste de migrants décédés fournie par des journalistes espagnols. Comment avez-vous géré cette situation ?

L’identification a été délicate. Certaines familles ignoraient totalement que leurs proches étaient morts. Il a d’abord fallu situer approximativement la période du départ, entre février et avril. Deux familles ont pu être identifiées, mais d’autres sont encore à retrouver. Ce qu’il faut comprendre, c’est que tous les migrants ne sont pas originaires de Kamsar. Pour l’instant, nous avons pu informer les familles concernées, en leur confirmant que leurs proches faisaient partie des sept victimes du convoi, qui était entièrement composé de Guinéens.

Les autorités guinéennes ont-elles pris des mesures pour contrer ce phénomène ?

On peut dire que les agents sont vigilants, bien que mal équipés. Personne n’était préparé à des départs maritimes depuis la Guinée, surtout en raison de la distance. Il faut reconnaître l’effort des autorités de Boké, qui tentent d’agir, mais elles manquent de moyens. Il est difficile de prendre des mesures efficaces dans l’immédiat, c’est un phénomène nouveau, comparable à une pluie soudaine.

Pourquoi, selon vous, la Guinée devient-elle un point de départ pour les migrants ?

Plusieurs raisons expliquent cela. Les routes migratoires ont évolué. D’abord le Maroc, puis la Libye après la chute de Kadhafi, ensuite la Tunisie et l’Algérie. Chaque fois que la sécurité se renforce dans un pays, les migrants cherchent un autre itinéraire. Ils sont passés par la Mauritanie, puis le Sénégal.

Aujourd’hui, certains se disent : pourquoi aller jusqu’au Sénégal alors que l’océan Atlantique est chez nous ? Mieux vaut rester ici, se regrouper, acheter une pirogue et tenter sa chance. Une fois que les premiers convois passent, le phénomène s’élargit. D’autres nationalités viennent alors en Guinée pour embarquer.

Il faut aussi rappeler que la Guinée n’est pas seulement un pays de départ : c’est aussi un pays d’accueil. Beaucoup d’étrangers y vivent et y travaillent. C’est ainsi que le processus se banalise.

Quel est le profil des personnes qui tentent de quitter la Guinée ? Quelles sont leurs motivations ?

La majorité sont des jeunes. On y retrouve aussi des femmes et des enfants. D’ailleurs, parmi les sept décès, il y avait des enfants. Ce sont souvent des familles entières qui prennent la décision de partir.

Les motivations sont diverses : raisons politiques, pauvreté, quête d’un avenir meilleur… Mais j’aime dire que si quelqu’un peut mobiliser entre 15 et 20 millions de francs guinéens en un mois pour financer un voyage en pirogue, ce n’est pas qu’il est si pauvre que cela.

Le vrai problème, c’est la perte de confiance. Quand un jeune perd confiance en son État, en sa famille, en son environnement, plus rien ne peut l’arrêter. Même si vous lui donnez des milliards, il voudra toujours partir. C’est cette perte de repères et de confiance qui pousse les jeunes à fuir.

Que faudrait-il mettre en place pour limiter cette migration irrégulière ?

D’abord, il faut valoriser les voies de migration légale. Tant que les visas restent difficiles à obtenir et les coûts très élevés, les gens préféreront la mer.

Ensuite, il est urgent de restaurer la confiance entre les jeunes et l’État. Sans cela, rien ne sera durable. Il faut également renforcer les capacités des forces de sécurité, notamment les gardes-côtes. Il faut créer un véritable dialogue entre les autorités et les acteurs impliqués dans ce domaine. Il est impératif de démanteler les réseaux de passeurs présents parmi nous. L’État seul ne pourra pas y arriver. Il faut sensibiliser la population, impliquer les sociétés minières présentes dans la zone de Boké. Les jeunes s’interrogent : « Ces sociétés exploitent nos ressources, mais nous n’avons ni routes, ni électricité, ni infrastructures. » Il faut répondre à cela. Il est aussi nécessaire de créer des espaces de divertissement et d’épanouissement pour la jeunesse.

Enfin, quel message souhaitez-vous adresser à cette jeunesse qui rêve encore de traverser la mer ?

On ne peut pas empêcher l’eau de couler. Mon message s’adresse surtout aux autorités : il faut offrir un meilleur cadre de vie ici. Quand un pays n’offre pas à ses citoyens les conditions pour vivre dignement, ils iront forcément chercher mieux ailleurs. Il faut que les jeunes Guinéens aient l’impression qu’il vaut mieux vivre ici que là-bas. Tant que ce ne sera pas le cas, les départs continueront.

Entretien réalisé par Hadja Kadé Barry

Lire l'article en entier