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Le Premier Ministre, Dr Bernard Goumou, et le Ministre de la Justice et des Droits de l’homme, M. Alphonse Charles Wright, n’avait vraiment pas besoin de servir au peuple de Guinée le spectacle auquel ils se sont livrés. A travers leurs courriers qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux depuis le mardi 13 février 2024, il n’y a plus de doute sur l’existence d’une situation conflictuelle au sommet de l’Etat. Il reste à savoir maintenant qui des deux prendra le dessus dans cette bataille ? Le futur proche y répondra. Mais, dans l’immédiat passons au crible les courriers des deux.
Sur la forme, primo, les deux courriers ne devraient, en aucune manière, se retrouver sur la place publique, car ils sont dans l’ordre des documents confidentiels. Tellement qu’ils sont confidentiels, il aurait été même très prudent de pas les faire suivre le circuit normal pour éviter qu’ils se retrouvent sur la place publique.
Secondo, le Premier Ministre aurait pu susciter un conseil extraordinaire interministériel au cours duquel le Ministre de la Justice serait invité à s’expliquer sur ces injonctions répétées et sans suite. Mais très malheureusement, chacun veut faire le bras de fer. Pourtant, personne ne sortira vainqueur de ce bras de fer. Pendant ce temps, l’administration guinéenne est exposée à la risée du public.
Sur le fond, nous sommes tous d’accord que le Premier Ministre ne devrait pas, dans son courrier en date du 13 février 2024, demander au Garde des Sceaux de suspendre les poursuites contre les DAF, les Directeurs généraux des EPAS et les gestionnaires de budgets des Collectivités décentralisées car, le Ministre Charles n’en a pas le pouvoir, même si la loi lui confère le pouvoir de faire des injonctions. Cependant, les récriminations de Dr Bernard Goumou, comme l’ont déjà martelé d’autres personnes avant moi, sont fondées.
Évidemment, le Premier Ministre a raison quand il affirme dans son courrier que le Ministre de la Justice a édicté plusieurs injonctions qui restent encore sans suite. La CRIEF n’ayant, à date, apporter aucune preuve pour asseoir la conviction de l’opinion, est plus vue comme instrument de vengeance qu’une Cour de moralisation de la gestion publique.
Dr Bernard Goumou a également raison quand il soutient qu’il devrait préalablement être informé de cette opération. Oui, le caractère surtout sensible de cette opération commande au Ministre de la Justice d’informer le PM, car si jamais la justice s’attaque à tous les maires, à tous les Directeurs des EPA et DAF à la fois, cela bloquerait inéluctablement l’administration publique.D’ailleurs, ni Charles ni personne ne réussirait une telle bataille. Seul Dieu peut s’attaquer à tous à la fois et sortir victorieux, mais pas un homme.
Le Garde des Sceaux a d’autres chats à fouetter que ces injonctions répétées et sans suite. Il doit sortir des procédures, car il est politique. Oui, pour moult observateurs actuellement, il fait l’abus des dispositions de l’article 37 du Code de procédure pénale. Certes, les dispositions de cet article lui confèrent le droit de faire des injonctions aux Procureurs mais, pour le commun des mortels aujourd’hui il en fait de trop (est-ce du corporatisme ?). En effet, aux termes des dispositions de cet article: «Le Ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.
A cette fin, il adresse aux Magistrats du ministère public des instructions générales de politique pénale.
Il peut dénoncer au Procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance, lui enjoindre par instructions écrites et versées au dossier de la procédure , d’engager ou de faire engager les poursuites ou de saisir la juridiction compétence de telles réquisitions écrites que le Ministre juge opportune. »
Le Ministre a-t-il constaté des infractions dans la gestion de la chose publique, comme souligné dans le dernier alinéa des dispositions de l’article susvisé, pour qu’il enjoigne des injonctions au Procureur aux fins de poursuites contre tous ces cadres de l’Administration publique à la fois ? A-t-il fait des constats d’enrichissement illicite ? Des OPJ en ont-ils fait ? A-t-il des preuves que tous ces gestionnaires qu’il met en cause se sont enrichis illicitement ? Autrement dit, quelle est la source qui permet au Ministre Charles de faire des injonctions de poursuites collectives contre tous ces administrateurs ?
Quand le Ministre de la justice affirme dans son courrier qu’une enquête pénale porte sur des faits possiblement commis par telle ou telle personne (in rem), mais jamais sur une personne (in personnae), l’opinion voudrait bien le croire. Cependant, au regard de tout ce qui se passe notamment depuis la mise en place de la Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières (CRIEF), nous sommes en droit de soutenir que ses démarches semblent expéditives. C’est après avoir cloué des personnes à la maison centrale, que cette Cour se met à chercher des preuves.
Egalement, le Premier Ministre n’a pas tort quand il affirme que la procédure que le Ministre Charles engage est incomplète. Sinon, comment comprendre par exemple qu’on poursuive des DAF qui, dans un département ministériel, ne sont que des assistants, un des maillons de la chaine de dépense, en laissant les Ministres qui sont les principaux ordonnateurs ? Sur quelle véritable base juridique le Ministre Charles ferait-il des injonctions de poursuites aux Procureurs contre les DAF, en laissant les ordonnateurs principaux ? Comment comprendre aussi que les Directeurs Généraux des EPA qui signent conjointement avec les SAF, se retrouvent sur la très longue liste sans suite de poursuites du Ministre des Sceaux et que les SAF n’en soient pas concernés ?
S’agissant du cas des Directeurs des Affaires Financières (DAF) par exemple, les manuels de procédures qui encadrent la gestion budgétaire en République de Guinée à savoir, la loi organique relative aux lois des finances (LORF) et le règlement général de la gestion budgétaire et de la comptabilité, mentionnent expressément deux principaux acteurs dans la chaine de dépense. Il s’agit de :
1. les ordonnateurs principaux et secondaires ;
2. les contrôleurs financiers.
Les ordonnateurs principaux et secondaires
Ils sont chargés « d’accomplir les actes générateurs de recettes ou de dépenses publiques et de constater les droits des organismes publics. » Ce sont les Présidents des Institutions, les Ministres, les Ambassadeurs et Chefs de missions diplomatiques et Consulaires, les Gouverneurs, les Préfets.
Ils « disposent, pour les assister dans leur gestion et préparer leurs décisions, de services financiers soumis à leur autorité. » Ce sont : les Chefs de Division des Affaires Financières (DAF), les Chefs de Service des Affaires financières (SAF), les Chefs Comptables Matière et Matériels, les Personnes Responsables de la Passation des Marchés Publics et les Chefs de Section Budget au niveau déconcentré.
Le contrôleur financier
Il est « chargé de veiller à la conformité budgétaire, tant en matière de crédits que d’emplois et à la régularité des projets d’engagement. A ce titre, il exerce des contrôles sur pièces des opérations de dépenses budgétaires du département. » Sans son approbation, aucun engagement de dépense, dans une institution ou un département, ne devrait être possible.
Mais, comme il est question des DAF ici, circonscrivons essentiellement le débat au rôle de ce dernier.
Pour engager une dépense, il y a deux phases :
• la phase administrative comprenant trois phases à savoir, l’engagement, la liquidation et l’ordonnancement ou le mandatement ;
• la phase comptable ou le paiement.
La phase administrative ou l’exécution du budget de l’Etat est « assurée par les ordonnateurs principaux, secondaires et délégués. »
La phase comptable, quant à elle, c’est au trésor public. Selon les manuels de procédures : « Les comptables publics assurent les opérations de recouvrement, de paiement et de maniement des fonds et titres mis à leur disposition. »
La Personne Responsable de la Passation des Marchés Publics (PRMP) joue un rôle important dans la procédure de passation des marchés publics. Elle pilote, en amont et en aval, cette opération.
Quand un contrat est dument élaboré par la PRMP et qu’il est signé par le Ministre de tutelle et approuvé par le Ministre en charge des finances (selon les seuils), c’est ainsi que le DAF rentre en jeu pour engager à la chaine de dépense.
A la lecture des dispositions des documents qui gouvernent la gestion publique et l’ordonnance de mise en place de la CRIEF, on est bel et bien en droit de poser la question de savoir pourquoi seulement les DAF ?
L’opinion a réellement besoin d’être éclairée sur la question, car l’exécution de la dépense publique c’est toute une chaine.
En considération de tout ce qui vient d’être dit, nous sommes en droit de dire que la démarche du garde des Sceaux est bancale. Elle est, comme l’a souligné le Premier Ministre, incomplète. Si le Garde des Sceaux veut compléter sa démarche, qu’il fasse, en amont, des injonctions de poursuites contre les ordonnateurs principaux qui ne sont autres que les Ministres, y compris lui-même.La vérité s’appelle à dire.
Sayon MARA, Juriste