Fodé Mohamed Soumah/Inondations : « Ce qui semble une surprise était prévisible… Gouverner, c’est prévoir » (Entretien)

il y a 19 heures 102
PLACEZ VOS PRODUITS ICI

CONTACTEZ [email protected]

Ces dernières années, les inondations sont devenues de plus en plus récurrentes en Guinée, notamment dans la zone du Grand-Conakry.

Cette année, elles ont déjà fait plusieurs victimes. Selon l’Agence Nationale de Gestion des Catastrophes, on déplore 15 morts, 19 blessés et plus de 7 700 personnes touchées à travers le pays.

Face à cette situation dramatique, devenue presque routinière, notre rédaction s’est entretenue avec l’ancien député Fodé Mohamed Soumah pour analyser les causes et situer les responsabilités.

Dans cet entretien accordé à mosaiqueguinee.com ce mardi 29 juillet 2025, le président du Parti Génération Citoyenne (GéCi) rappelle que la bonne gouvernance repose avant tout sur l’anticipation et la prévention.

Mosaiqueguinee.com : M. Soumah, depuis le début de la saison des pluies, plusieurs localités de Conakry et de l’intérieur du pays ont été inondées. Le dernier bilan fait état de 15 décès, 19 blessés et plus de 7700 personnes sinistrées. Comment réagissez-vous à ce nouveau drame causé par les inondations ?

Fodé Mohamed Soumah : Par rapport à votre question, mon attitude première est de présenter mes condoléances aux familles éplorées, de souhaiter un prompt rétablissement aux blessés et demander aux autorités d’activer des mesures d’urgence. Ce qui semble être une surprise était prévisible, quand on connait la pluviométrie d’ici et le retard/constat des travaux entrepris pour éviter de tels désagréments. Le curseur devrait être placé sur la consolidation des acquis, et non pas les nouvelles réalisations. Dans le cas d’espèce, l’excuse du bilan est inappropriée, après 4 années de gestion par le CNRD.

Comment expliquez-vous la persistance de ces inondations malgré les nombreuses alertes et les promesses faites chaque année ?

C’est révoltant car après le constat vient le temps des résultats concrets. On aurait dû concentrer tous les efforts sur les endroits identifiés, pour soulager les populations. Même les routes réparées ou neuves en si peu de temps, sont dégradées, sans aucune sanction/réparation envers ceux qui ont exécuté les travaux. Aujourd’hui, il suffit de vouloir sortir de Conakry, pour entamer son voyage intramuros. Sortir de Conakry ou atteindre le km 36 relève du parcours du combattant.

Pensez-vous que le gouvernement actuel a failli dans sa mission de prévention des risques liés aux catastrophes naturelles ?

Nous ne connaissons même pas la feuille de route inexistante de ce gouvernement, qui navigue à vue. Ça va dans tous les sens, comme dirait l’autre !
Les problèmes liés au développement s’accumulent, pendant qu’il y a une diversion et une manipulation autour de la politique politicienne. Qu’est-ce qu’une nouvelle constitution pourrait apporter de plus aux citoyens, alors qu’il suffit d’amender celle de 2010, tout comme les listes électorales ? Pis, les élections qui devaient partir de la base au sommet sont aux oubliettes. Nous sommes en campagne depuis belle lurette, avec des slogans creux éloignés de la réalité du terrain.

Selon vous, qui porte la responsabilité principale de ces drames à répétition ? Est-ce un problème de gouvernance, de manque de moyens ou de volonté politique ?

C’est tout à la fois. Gouverner, c’est prévoir. Gérer doit être associé à l’obligation de résultat. Le maître-mot devrait être la VISION PROSPECTIVE. Ce gouvernement a montré ses limites. Il est incapable. C’est un désastre.

Est-ce que la Guinée dispose réellement de la capacité de décaisser les fonds nécessaires à la prévention des inondations ? Ou est-ce un problème de priorisation des dépenses publiques ?

Ni l’un, ni l’autre. Il y a toujours une loi de finances initiale LFI en N-1 et une loi de finances rectificative LFR l’année suivante, pour ajuster et faire des arbitrages. L’improvisation n’y a pas sa place, même en cas de forces majeures. Les faits sont là, mais les priorités ailleurs.

Si vous étiez aux commandes aujourd’hui, quelles seraient vos premières mesures concrètes pour protéger durablement les populations ?

Les idées ne valent que pour les oreilles attentives. Mais l’urgence est de parer au plus pressé, là où se posent des problèmes graves. Un travail de curage pour faciliter l’écoulement des eaux. Interdire l’accès des ponts qui sont submergés pendant les précipitations. Déployer les forces de l’ordre pour renforcer la gestion du trafic à certains endroits. Engager les travaux d’assainissement, de réparation/bouchage des nids de poules pendant l’accalmie. Fermer certains axes hermétiquement, jusqu’à écoulement des eaux. Prendre des mesures coercitives à l’égard de ceux qui ont exécuté les travaux. Réquisitionner l’armée qui dispose de tous les corps de métiers, en renfort à la police routière. Rendre opérationnel le centre météorologique et anticiper dans la prévention/coercition, pour sauver des vies sur les routes et en mer.
Certes, ce n’est pas la panacée. Mais il faut éviter de se limiter au constat et trouver les solutions à chaque problème, surtout du côté des sinistrés livrés à eux-mêmes.

Comment garantir la transparence dans l’exécution des projets d’assainissement et d’aménagement urbain ? Certains estiment que les fonds alloués sont mal gérés ou détournés.

L’appel d’offres permet d’encadrer tout ça. Il y a un cahier des charges. C’est l’exécuteur des travaux passible de poursuites qui doit soumissionner et non pas des entreprises qui ne disposent pas de l’assise financière nécessaire. Il faut savoir que l’Etat avance moins de 30% et renfloue les caisses de l’exécutant au fil de l’eau. C’est pourquoi vous voyez beaucoup de travaux arrêtés ou inachevés. C’est le rôle de l’Etat qui utilise les finances publiques, d’écarter/refuser cette déperdition des fonds collectés et d’opérer un suivi drastique au niveau du calendrier, jusqu’à la livraison de chaque chantier.

Enfin, quelle place la décentralisation devrait-elle occuper dans la gestion de ce type de crise ? Les collectivités locales ont-elles suffisamment de moyens et de marge d’action ?

Je place la déconcentration de l’outil d’Etat avant la décentralisation. Il y a des ministères qui n’ont rien à faire à Conakry : Mines, Agriculture, Elevage, Environnement, entre autres. Il faut qu’on arrête de rêver petit et d’envisager la création de la capitale politique loin de Conakry. C’est ainsi qu’on va sortir des ambitions minimalistes des 36 km², pour désengorger la capitale et activer la décentralisation dont vous parlez.
Je rêve de voir un enfant né à Yomou, y étudier et vivre jusqu’à la retraite. C’est ça les fruits de la décentralisation et du développement. Quand on n’a pas d’idées, il suffit de regarder ce qui se passe de mieux ailleurs et l’adapter. C’est ce qui a propulsé des pays moins avancés que nous dans les années 50 (Chine, Japon, Inde…) vers l’émergence et le développement.
Les ressources naturelles sont vaines si elles ne sont pas valorisées par les ressources humaines. Aujourd’hui, la Guinée devrait être capable d’accorder des minima sociaux aux personnes vulnérables, rien qu’à travers sa position dominante au niveau des Mines, qui devraient nous permettre de diversifier notre économie. Il suffit de voir le niveau de développement de l’Australie et de la Chine qui sont derrière nous, pour savoir que ce qui n’est pas exploité, n’a pas de valeur réelle. La terre rouge et les chiffres, ça ne se mange pas. Encore moins, les slogans qui ne reposent sur rien.

-Votre mot de la fin Honorable.

Il est plutôt politique. Vouloir rassembler les Guinéens autour des idéaux de stabilité, de bien-être généralisé, de paix ou de partage des richesses, passe nécessairement par consolider les acquis et accepter la critique constructive. L’Etat est une continuité. Tout n’a pas commencé avec/par le CNRD. La polarisation systématique de toute critique à de l’opposition politique, se confond au crime d’hybris. Il est temps de changer de paradigme, car le temps nous est compté. Guinea first ! People before.

Entretien réalisé par Hadja Kadé Barry

Lire l'article en entier