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Résumé
L’adoption et la promulgation de la Constitution guinéenne de 2025 marquent un tournant majeur dans la trajectoire institutionnelle du pays. Au terme d’une période transitoire ouverte par la Charte de 2021, le nouvel acte constitutionnel rétablit la légalité et la hiérarchie des normes. Cet article soutient que la transition prend fin juridiquement au moment de la promulgation, moment précis où s’opère la substitution d’un ordre transitoire par un ordre constitutionnel permanent, même si la normalisation institutionnelle se poursuit jusqu’à l’installation des organes élus. L’étude, fondée sur la théorie du pouvoir constituant (Sieyès, Kelsen, Schmitt) et sur l’analyse comparée des transitions africaines, démontre que la promulgation constitue l’acte de restauration de la légalité constitutionnelle, réaffirmant la primauté du droit comme principe structurant de la continuité de l’État.
Mots-clés : transition constitutionnelle, promulgation, pouvoir constituant, légalité, continuité de l’État, République de Guinée, constitutionnalisme africain.
Contexte Général
La République de Guinée a connu, depuis septembre 2021, une phase de transition institutionnelle marquée par la suspension de la Constitution de 2020 et la mise en œuvre de la Charte de la Transition. Ce texte, adopté à titre exceptionnel, visait à encadrer juridiquement la gestion des affaires publiques jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi fondamentale.
Le référendum constitutionnel de 2025, suivi de la promulgation du texte par l’autorité compétente, consacre juridiquement la fin de cette transition. Pourtant, la tenue des élections présidentielles du 28 décembre 2025 soulève une question doctrinale centrale : la transition s’achève-t-elle à la promulgation de la Constitution ou seulement à l’installation des nouvelles autorités ? La réponse engage deux dimensions distinctes de la légalité : la légalité normative, qui relève du droit constitutionnel pur, et la légalité institutionnelle, qui concerne l’effectivité du pouvoir. La doctrine distingue ainsi la fin juridique de la transition – actée par la promulgation – et la fin institutionnelle –réalisée par la mise en œuvre des organes issus du nouveau texte.
Cette étude s’inscrit dans une perspective strictement juridique. Elle examine la portée normative de la promulgation constitutionnelle comme acte de clôture de la transition, en l’analysant sous quatre angles : la nature juridique de la promulgation (I), la distinction entre fin juridique et fin institutionnelle (II), les effets normatifs et la continuité de l’État (III), et la restauration de la légalité constitutionnelle (IV).
I. Promulgation constitutionnelle comme acte de clôture juridique de la transition
En droit public, la promulgation d’une Constitution ne se réduit pas à une formalité technique : elle constitue l’acte juridique par lequel la volonté constituante se transforme en norme obligatoire. Elle marque la substitution d’un ordre provisoire par un ordre permanent, et confère au texte son autorité normative suprême. La distinction fondamentale entre pouvoir constituant et pouvoirs constitués, formulée par Emmanuel Sieyès en 1789, permet de comprendre ce basculement : seul le peuple, en tant que détenteur de la souveraineté, peut édicter une loi fondamentale et créer un ordre juridique nouveau [1]. La promulgation, dans cette logique, est l’instant où cette volonté souveraine acquiert force de droit.
Hans Kelsen a théorisé cette transformation dans sa Théorie pure du droit, en expliquant que toute norme tire sa validité d’une norme supérieure, jusqu’à la Grundnorm (norme fondamentale) [2]. Dès lors, l’entrée en vigueur de la Constitution guinéenne de 2025 opère la substitution de la norme suprême : elle abroge implicitement la Charte de la Transition de 2021, dont la validité reposait sur une situation exceptionnelle et non sur la souveraineté constituante. Dans une approche différente mais complémentaire, Carl Schmitt conçoit l’acte constituant comme une décision politique souveraine, irréductible à la légalité antérieure [3]. Ainsi, la promulgation de la Constitution guinéenne n’est pas la continuité juridique de la Charte : elle en constitue la rupture normative et l’achèvement du processus constituant.
La Charte de la Transition (2021), adoptée dans un contexte de vacance constitutionnelle, reposait sur le principe de nécessité constitutionnelle, visant à préserver la continuité de l’État tout en préparant la refondation institutionnelle. Elle définissait les organes provisoires – Gouvernement, Conseil national de la transition (CNT), Direction générale des élections (DGE) – et établissait un cadre transitoire de gouvernance. La promulgation de la Constitution de 2025 met juridiquement fin à cette phase. Dès lors, le fondement de validité de l’État redevient constitutionnel, et non plus politique. Les institutions de la transition continuent de fonctionner, mais sous l’autorité des dispositions transitoires de la nouvelle loi fondamentale, qui assurent la continuité administrative jusqu’à l’installation des organes constitutionnels définitifs [4].
L’expérience comparée confirme cette lecture. Au Mali (1992) et au Niger (2010), la promulgation de la Constitution a été reconnue comme le moment formel de la fin de la transition, indépendamment du calendrier électoral [5]. De même, la Cour constitutionnelle du Bénin a affirmé que « la promulgation de la Constitution marque l’entrée en vigueur de la loi fondamentale et le rétablissement de la légalité constitutionnelle » [6]. Ainsi, la Guinée s’inscrit dans une continuité doctrinale et jurisprudentielle claire : la promulgation constitue le point d’équilibre entre la légitimité constituante et la légalité constitutionnelle. Elle met fin à la période d’exception, rétablit la hiérarchie normative et réaffirme le principe selon lequel toute autorité publique tire sa légitimité de la Constitution, expression suprême de la souveraineté du peuple.
II. Distinction entre fin juridique et fin institutionnelle de la transition
L’achèvement d’une transition constitutionnelle ne se confond pas avec la seule mise en œuvre politique du nouveau régime. Il obéit à une double temporalité : la fin juridique, qui découle de l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution par sa promulgation, et la fin institutionnelle, qui correspond à l’installation effective des organes prévus par cette norme suprême. Cette distinction, essentielle à la compréhension du droit constitutionnel de la transition, permet de différencier la restauration de la légalité de la consolidation institutionnelle.
La fin juridique intervient au moment de la promulgation de la Constitution. C’est à cet instant que le texte acquiert sa force obligatoire et devient la norme fondamentale du système. En application de la théorie kelsénienne, « l’ordre juridique cesse d’exister lorsque la norme fondamentale qui le fonde est remplacée par une autre » [7]. La Charte de la Transition de 2021 perd alors toute valeur de référence : elle cesse d’être la source de validité des actes publics. La promulgation opère ainsi une véritable mutation normative : elle met fin à la période d’exception et rétablit la hiérarchie des normes comme structure de cohérence du droit. La souveraineté populaire, qui s’était exprimée dans le processus constituant, s’incarne désormais dans la Constitution promulguée, devenue le cadre exclusif de la légalité et de la légitimité. Ce moment, où la volonté politique devient juridiquement contraignante, marque la restauration de la continuité normative de l’État et la clôture formelle du régime transitoire.
La fin institutionnelle se déploie dans un temps distinct. Elle correspond à la mise en œuvre graduelle des institutions constitutionnelles : élection du Président de la République, installation de l’Assemblée nationale, formation du Gouvernement et constitution de la Cour constitutionnelle. Ces étapes, quoique postérieures à la promulgation, ne prolongent pas la transition juridique : elles relèvent d’une phase d’installation constitutionnelle, encadrée par les dispositions transitoires du texte de 2025 [8].
La période précédant les élections présidentielles du 28 décembre 2025 ne constitue donc pas une extension du régime transitoire, mais une phase de déploiement du nouvel ordre juridique. L’État agit désormais dans le cadre de la nouvelle Constitution, et non plus sous la Charte. Les précédents du Ghana (1993) et de l’Afrique du Sud (1996) illustrent ce principe : dans les deux cas, la validité du texte constitutionnel ne dépendait pas de l’installation immédiate des organes institués. La promulgation suffisait à conférer au texte sa pleine autorité normative [9]. Cette distinction entre validité et effectivité protège la continuité juridique tout en reconnaissant la progressivité du processus institutionnel.
Les dispositions transitoires de la Constitution guinéenne jouent un rôle de charnière : elles organisent la coexistence ordonnée entre les structures héritées de la Charte et les institutions issues de la nouvelle loi fondamentale. Ce dispositif garantit la continuité administrative et évite le vide normatif. Les organes de transition – Gouvernement, CNT, DGE – poursuivent temporairement leurs fonctions, mais sous la supervision du nouveau cadre constitutionnel. Ce mécanisme correspond à ce que Claude Emeri qualifie de transition d’installation : une phase juridiquement encadrée, où la rupture normative n’entraîne pas une discontinuité fonctionnelle [10]. Elle constitue un instrument de sécurité constitutionnelle, conciliant le principe de succession des ordres juridiques avec l’exigence de permanence de l’État. Ainsi, la Guinée s’inscrit dans une approche constitutionnelle pragmatique : la fin juridique de la transition est actée dès la promulgation, tandis que la fin institutionnelle s’accomplit dans la temporalité propre de la mise en œuvre du nouvel ordre constitutionnel. Cette distinction garantit à la fois la sécurité juridique, la stabilité administrative et la régularité du retour à la légalité constitutionnelle.
III. Effets normatifs et continuité de l’État
La promulgation de la Constitution guinéenne de 2025 produit des effets juridiques immédiats et structurants. Elle met fin à l’ordre transitoire, rétablit la hiérarchie normative et assure la continuité de l’État. Ce moment d’articulation entre rupture constitutionnelle et stabilité institutionnelle manifeste la fonction régénératrice du droit constitutionnel dans les phases post-transitionnelles. Conformément au principe de hiérarchie des normes, une norme constitutionnelle nouvelle abroge implicitement tout instrument antérieur qui lui est contraire [11]. Ce mécanisme opère la clôture juridique de la période transitoire et met fin à la dualité de légitimités qui caractérise souvent les régimes d’exception.
L’unité normative ainsi rétablie confère au système juridique guinéen une cohérence interne et une stabilité renouvelée. Tous les actes publics – législatifs, réglementaires ou administratifs – tirent désormais leur validité de la nouvelle norme fondamentale. En d’autres termes, la promulgation réalise une substitution du fondement de validité, selon laquelle la Constitution promulguée devient la source exclusive de la légalité. Cette transformation incarne ce que David Landau désigne comme la stabilisation normative post-transitionnelle : un processus par lequel la Constitution recouvre sa fonction de norme suprême régissant l’ensemble des rapports juridiques [12]. À travers ce mouvement, l’État guinéen réaffirme la prévisibilité et la justiciabilité de l’ordre juridique, éléments constitutifs de l’État de droit.
Si la promulgation consacre une rupture normative, elle n’interrompt pas pour autant la permanence de la puissance publique. Le principe de continuité de l’État, hérité de la tradition du droit administratif français et consolidé par la pratique constitutionnelle africaine, interdit toute discontinuité dans l’exercice de l’autorité étatique. Les institutions provisoires – notamment la Direction générale des élections (DGE), le Gouvernement, les juridictions et les structures administratives – demeurent opérationnelles jusqu’à la mise en place des organes prévus par la nouvelle Constitution. Leur action s’inscrit désormais sous l’empire des dispositions transitoires, qui garantissent la légalité et la sécurité des actes administratifs dans l’intervalle.
Ce principe de continuité a une valeur à la fois fonctionnelle et normative : il assure la pérennité de l’ordre public, la sauvegarde de l’intérêt général et la stabilité du service public. Il fonde également la sécurité juridique, principe général de droit consacré par la jurisprudence de la Cour de justice de la CEDEAO, notamment dans l’arrêt Koraou c. Niger (2008), qui reconnaît aux citoyens le droit à un cadre normatif stable et prévisible [13]. Ainsi, la promulgation, loin d’introduire une rupture institutionnelle, opère une transition ordonnée entre deux régimes juridiques. Elle conjugue la logique de la succession normative avec la permanence fonctionnelle de l’État. En cela, elle représente l’aboutissement du processus constituant et le point de départ du nouvel ordre juridique guinéen.
IV. La promulgation comme restauration de la légalité constitutionnelle
La promulgation de la Constitution guinéenne de 2025 constitue, du point de vue du droit constitutionnel, l’acte juridique décisif de la restauration de la légalité. Elle clôt la parenthèse transitoire ouverte en 2021 et opère le retour à la normalité normative. Par cet acte, l’État rétablit la hiérarchie des normes et réaffirme la primauté du droit sur le politique, principe fondamental du constitutionnalisme moderne.
En doctrine, cette étape marque le passage du pouvoir constituant originaire aux pouvoirs constitués, selon la distinction formulée par Sieyès en 1789. Le peuple, en exerçant directement sa souveraineté par le référendum, a produit la norme suprême. La promulgation vient donner effet juridique à cette volonté constituante en la transformant en ordre contraignant. À compter de ce moment, le pouvoir se juridicise : les organes publics ne tirent plus leur légitimité d’un mandat transitoire, mais de la Constitution elle-même, expression normative de la souveraineté populaire.
Sur le plan comparatif, la Guinée s’inscrit dans une trajectoire observée dans plusieurs transitions africaines : Mali (1992), Bénin (1990), Ghana (1993) et Niger (2010). Dans chacune de ces expériences, la promulgation du texte constitutionnel a été reconnue comme l’acte marquant la fin juridique de la transition, indépendamment de la tenue ultérieure des élections. Cette conception découle de la distinction doctrinale entre l’entrée en vigueur du texte (fin juridique) et l’installation effective des institutions (fin institutionnelle). La promulgation est ainsi le critère objectif de la restauration de la légalité constitutionnelle. Sur le plan interne, la promulgation du texte guinéen de 2025 produit un double effet normatif : d’une part, elle abroge la Charte de la Transition de 2021, en vertu du principe de succession constitutionnelle ; d’autre part, elle rétablit la source unique de validité juridique pour l’ensemble des actes publics. Le fondement de la légalité cesse d’être la nécessité politique pour redevenir la normativité constitutionnelle. Ce basculement traduit la victoire du droit sur la contingence politique et assure la prévisibilité du système juridique, garantie essentielle de l’État de droit.
Mais une question fondamentale s’impose : la transition prend-elle juridiquement fin dès la promulgation, ou seulement après l’installation des institutions prévues par la Constitution ?
La réponse, en droit public, ne souffre pas d’ambiguïté. La fin juridique de la transition intervient à la promulgation, car c’est à ce moment que la norme suprême entre en vigueur et que la légalité constitutionnelle est rétablie. La fin institutionnelle, correspondant à la mise en place des organes constitutionnels (Président de la République, Parlement, Cour constitutionnelle), appartient à une temporalité distincte, régie par les dispositions transitoires du texte promulgué. Ainsi, la promulgation opère la rupture normative et le rétablissement de la légalité, tandis que la phase d’installation des institutions traduit la mise en œuvre fonctionnelle du nouvel ordre juridique. Cette distinction, confirmée par la jurisprudence constitutionnelle béninoise et la doctrine africaine de la transition, conduit à affirmer que la promulgation de la Constitution guinéenne de 2025 marque la fin juridique de la transition.
En conclusion, la promulgation constitue l’acte d’achèvement de la refondation normative. Elle rétablit l’État de droit, réconcilie la légitimité politique et la légalité juridique, et inaugure un ordre constitutionnel durable dans lequel la souveraineté populaire retrouve sa pleine expression. Ce moment consacre, au sens kelsénien du terme, la restauration de la Grundnorm guinéenne et l’entrée dans un cycle juridique de stabilité institutionnelle.
Adama Guilavogui, Ph.D., JD
Références
L’article Fin juridique de la transition guinéenne : analyse de la promulgation constitutionnelle de 2025 (Par Dr Adama Guilavogui) est apparu en premier sur Mediaguinee.com.