Enlèvements d’enfants : « Ces actes portent une atteinte grave à la dignité humaine, déchirent des familles… » (Mamadou Oury Bah)

il y a 3 heures 25
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En Guinée, les enlèvements de bébés et d’enfants, que ce soit dans les structures sanitaires ou au sein des ménages, deviennent de plus en plus nombreux.

Il y a quelques jours, un bébé a été enlevé au Centre Médical Communal de Ratoma, et un autre dans le quartier Kissosso. Pourtant, ces deux cas ne sont que les plus médiatisés, des disparitions d’enfants surviennent régulièrement à travers le pays.

Pour évoquer les causes de ce phénomène, ses conséquences et les moyens de prévention, notre rédaction s’est entretenue avec Mamadou Oury Bah, président de l’ONG Mêmes Droits pour les Enfants.

Mosaiqueguinee.com : Ces derniers temps, plusieurs cas de vol ou d’enlèvement de bébés ont été signalés en Guinée, aussi bien dans les hôpitaux que dans les ménages. En tant qu’acteur engagé pour la protection des enfants, quelle est votre réaction face à cette situation ?

Mamadou Oury Bah : En ma qualité de Président de l’ONG Mêmes Droits pour les Enfants (MDENF), je condamne avec la plus grande fermeté ces actes ignobles, inhumains et moralement intolérables. Le vol ou l’enlèvement d’un nouveau-né constitue non seulement une infraction pénale d’une extrême gravité, mais également une violation flagrante des droits fondamentaux de l’enfant, tels que consacrés par la Convention relative aux Droits de l’Enfant (CDE), ratifiée par la République de Guinée, et par le Code de l’Enfant guinéen. Ces actes portent une atteinte grave à la dignité humaine, déchirent des familles et sapent la confiance des citoyens envers nos structures sanitaires. L’ONG MDENF exprime sa solidarité totale aux familles victimes et en appelle à la justice guinéenne pour que la lumière soit faite, et que les auteurs et complices répondent de leurs actes avec la plus grande rigueur de la loi.

Selon vous, que traduisent ces faits sur l’état actuel de la protection de l’enfance en Guinée ?

Ces événements révèlent la vulnérabilité persistante du dispositif national de protection de l’enfance. Ils mettent en évidence un manque de coordination inter institutionnelle entre les services de santé, de sécurité et d’action sociale. L’absence de protocoles clairs de surveillance dans les maternités et la faiblesse du registre civil témoignent d’une gouvernance encore défaillante en matière de protection des enfants à la naissance. Il est donc impératif de repositionner la protection de l’enfant au centre des politiques publiques, en l’inscrivant comme une priorité nationale, au même titre que la santé publique et la sécurité humaine.

D’après vos observations, est-ce-qu’il existe d’autres causes profondes qui favorisent ces enlèvements ?

Les analyses de terrain menées par notre organisation mettent en lumière plusieurs défaillances structurelles et institutionnelles, notamment :

• La faible sécurisation des maternités, avec des accès non contrôlés, l’absence de caméras de surveillance et de systèmes d’identification obligatoire du personnel et des visiteurs ;

• Le déficit d’enregistrement civil biométrique, entraînant l’absence de traçabilité de nombreux nouveau-nés ;

• Le manque de formation du personnel hospitalier sur les procédures de sécurité et de signalement ;

• Et, dans certains cas, des complicités internes ou des négligences administratives graves.

Ces failles appellent une réforme structurelle urgente du système de sécurité hospitalière et de gouvernance sanitaire afin que la protection de l’enfant devienne une composante normative de toutes les politiques publiques en matière de santé.

Quelle lecture faites-vous de la réponse des autorités publiques face à ces cas ? Estimez-vous que les mesures prises jusqu’ici sont suffisantes ?

Nous saluons les premières mesures adoptées par les autorités judiciaires et sanitaires, notamment l’ouverture d’enquêtes et le renforcement ponctuel de la surveillance dans certaines maternités. Cependant, ces actions demeurent réactives et temporaires, alors que la situation exige une approche préventive, institutionnalisée et durable. Il est nécessaire de mettre en place une politique nationale de sécurité néonatale, accompagnée de textes d’application, d’un cadre budgétaire spécifique et de mécanismes permanents de suivi et d’évaluation. La responsabilité première de l’État est engagée, mais la réponse doit être collective : autorités publiques, professionnels de santé, acteurs communautaires et société civile doivent unir leurs efforts dans un cadre de coopération et de veille partagée.

Votre organisation a-t-elle entrepris des actions spécifiques pour lutter contre ce phénomène ?

Face à l’urgence, MDENF a engagé plusieurs actions concrètes et coordonnées, notamment :

• Des campagnes de sensibilisation communautaire et médiatique pour renforcer la vigilance parentale et promouvoir la culture de la prévention dans les maternités ;

• Un plaidoyer institutionnel auprès du Ministère de la Santé et du Ministère de la Promotion Féminine, de l’Enfance et des Personnes Vulnérables, en vue de l’adoption de protocoles normalisés de sécurité néonatale dans toutes les structures sanitaires.

Notre organisation reste pleinement disposée à collaborer avec les pouvoirs publics, les agences partenaires et les institutions internationales pour consolider ce combat prioritaire au service des enfants de Guinée.

Quelles solutions concrètes recommandez-vous pour renforcer la prévention et la protection des nouveau-nés dans les hôpitaux et les foyers ?

L’ONG MDENF propose un plan d’action national intégré, articulé autour de trois axes majeurs :

A. Renforcement juridique et institutionnel

• Adoption d’un décret national sur la protection et la sécurité des nouveau-nés dans les structures hospitalières ;

• Obligation d’un bracelet d’identification mère–enfant avant toute sortie d’hôpital ;

• Création d’une unité spécialisée d’investigation sur les crimes commis contre les enfants, rattachée au ministère de la Justice.

B. Sécurisation des établissements de santé

• Installation de systèmes de vidéosurveillance et de contrôle d’accès dans toutes les maternités publiques et privées ;

• Affectation de personnel de sécurité spécifiquement formé à la protection infantile ;

• Tenue obligatoire et contrôlée des registres des visiteurs et de la traçabilité des mouvements dans les services de maternité.

C. Mobilisation et sensibilisation communautaire

• Mise en œuvre de campagnes nationales de sensibilisation sur la vigilance parentale et la prévention des enlèvements d’enfants ;

• Implication active des leaders communautaires, religieux et des médias dans la diffusion des messages de protection ;

• Création d’un numéro vert national pour le signalement rapide de tout incident ou tentative d’enlèvement.

Pour terminer, quel message souhaitez-vous adresser aux familles, aux autorités et au personnel médical dans la lutte contre les vols de bébés ?

Aux familles guinéennes, je dis : la vigilance est votre première ligne de défense. Exigez toujours l’identification du personnel avant tout contact avec votre enfant.

Aux autorités publiques, je rappelle que la protection de l’enfant est une obligation légale, constitutionnelle et internationale. Elle exige des enquêtes rigoureuses, des sanctions exemplaires et des réformes structurelles durables.

Au personnel médical, j’adresse un appel à la responsabilité et à la conscience professionnelle : vous êtes les gardiens du premier souffle de vie. Votre vigilance et votre intégrité sauvent des existences.

Ces enlèvements de bébés constituent une atteinte grave à la dignité humaine et à l’image de la Nation. L’heure n’est plus à l’indignation, mais à l’action collective et coordonnée.

Garantir à chaque enfant le droit de naître, de vivre et de grandir en sécurité, c’est garantir l’avenir même de notre pays.

L’ONG Mêmes Droits pour les Enfants (MDENF) réaffirme son engagement indéfectible : « Ensemble pour les Enfants de la Guinée », pour qu’aucun nouveau-né ne soit jamais arraché à sa mère dans le silence ou l’indifférence.

Entretien réalisé par Hadja Kadé BARRY

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