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La démocratie est souvent vantée comme l’idéal politique par excellence, l’horizon indépassable de toute société humaine aspirant à la justice, à la paix et à la prospérité. On la célèbre dans les manuels scolaires, on la proclame dans les constitutions, on l’évoque dans les discours internationaux. Mais derrière cette façade, les incohérences, les manipulations et les trahisons ne manquent pas — qu’elles viennent de l’extérieur ou de l’intérieur. Et c’est justement ce grand écart entre les principes proclamés et les pratiques observées qui alimente le scepticisme croissant de nombreux Africains face à la démocratie.
Pourtant, affirmer que la démocratie est une valeur universelle n’a rien d’une naïveté. C’est une vérité philosophique et pratique. Universelle non parce qu’elle est occidentale — ce serait une grave erreur de lecture — mais parce qu’elle repose sur des fondements profondément humains : l’égalité des droits, la justice, la liberté d’expression, la participation citoyenne, la transparence, la responsabilité et le respect de la dignité humaine. Ces principes transcendent les frontières géographiques, les traditions religieuses, les héritages coloniaux. Ils répondent aux besoins fondamentaux de tout peuple.
Mais alors, pourquoi tant de désillusions en Afrique ? Pourquoi cette sensation d’une démocratie dévoyée, piégée dans un entre-deux : ni totalement rejetée, ni pleinement vécue ?
L’hypocrisie occidentale : quand les intérêts prennent le pas sur les principes
Les pays occidentaux ont longtemps prétendu incarner la démocratie. Ils en ont même fait un outil de soft power, un étendard pour justifier certaines interventions internationales. Mais dans les faits, leurs rapports avec l’Afrique révèlent une logique d’intérêts qui contredit leurs discours moralisateurs.
Premier paradoxe : soutenir des régimes autoritaires au nom de la stabilité géopolitique. Comment expliquer le soutien à Mobutu pendant plusieurs décennies, alors même que son régime était fondé sur la corruption, le clientélisme et la violence ? Comment comprendre le silence complice autour de certains présidents à vie, tant qu’ils garantissent l’accès à des ressources stratégiques comme le pétrole, l’uraniumt ou les terres rares ?
Deuxième paradoxe : l’interventionnisme sélectif. La Libye de Kadhafi a été renversée au nom de la démocratie et de la protection des civils, mais le chaos qui s’en est suivi a durablement fragilisé non seulement ce pays, mais aussi toute la région du Sahel. Pourquoi une telle hâte ici, et tant de prudence ailleurs ? Le Darfour, la Centrafrique, la RDC ont longtemps attendu un sursaut qui n’est jamais venu. Ce deux poids, deux mesures alimente la perception d’un Occident intéressé, manipulateur, et indifférent au destin réel des peuples africains.
Troisième paradoxe : la priorité donnée aux intérêts économiques. Les multinationales occidentales exploitent les ressources africaines avec la bénédiction de régimes peu démocratiques. Elles signent des contrats léonins, alimentent la corruption, détruisent les écosystèmes… sans que cela n’indigne les chancelleries occidentales. Le droit à la démocratie cède souvent face au droit au profit.
L’hypocrisie locale : quand la démocratie devient un alibi pour la domination
Si les Occidentaux sont souvent incohérents, les dirigeants africains ne le sont pas moins. Pire encore : ils ont souvent vidé la démocratie de son contenu, pour en faire un simple instrument de légitimation du pouvoir.
Combien de dirigeants africains se proclament démocrates tout en emprisonnant l’opposition, muselant la presse, manipulant les processus électoraux ? Ils organisent des élections à échéance régulière, certes, mais sans compétition réelle, sans débats équitables, sans transparence. Ils modifient les constitutions à leur guise, organisent des référendums sur mesure, nomment des juges complaisants. Bref, ils défigurent la démocratie tout en la revendiquant.
Le paradoxe est saisissant : des leaders qui dénoncent à longueur de discours le colonialisme occidental, tout en perpétuant un néocolonialisme intérieur, fondé sur la répression, l’instrumentalisation de l’ethnicité, la spoliation des richesses publiques, et la dépendance à l’égard des bailleurs étrangers.
Ils usent de la rhétorique nationaliste comme d’un bouclier. Dès qu’une voix s’élève pour critiquer, elle est taxée d’être « manipulée par l’étranger », « ennemie de la République », ou « traître à la nation ». C’est là l’arme préférée des régimes autoritaires : faire croire que contester le pouvoir, c’est trahir le pays.
Une démocratie de façade : les conséquences de la double trahison
Cette double trahison — externe et interne — a des conséquences graves. Elle engendre une démocratie d’apparat, une façade institutionnelle sans profondeur sociale. Elle provoque la désaffection de la jeunesse, qui voit dans les élections un théâtre sans enjeu réel. Elle alimente la montée des discours populistes, des replis identitaires, et parfois même le recours à la violence comme seul moyen de changement.
La méfiance généralisée envers les institutions s’explique donc. Quand les parlements deviennent des chambres d’enregistrement, quand les cours constitutionnelles ne défendent plus que les intérêts du pouvoir, quand les commissions électorales sont perçues comme des outils de fraude légalisée… il ne reste plus qu’un simulacre de démocratie.
Refonder la démocratie en Afrique : dix pistes pour une renaissance
Il ne suffit pas de dénoncer. Il faut aussi proposer. Si l’on veut que la démocratie retrouve son sens en Afrique, elle doit être réappropriée, recréée, et enracinée dans nos réalités. Voici dix pistes concrètes :
- Renforcer les institutions démocratiques : en leur garantissant une réelle indépendance, des moyens financiers, et une protection contre les ingérences politiques.
- Favoriser la participation citoyenne : en instaurant des mécanismes de consultation, de débat public, et d’initiative populaire.
- Développer une culture démocratique : par l’éducation civique, la formation des jeunes, et la valorisation des principes de tolérance, d’écoute et de dialogue.
- Lutter efficacement contre la corruption : en créant des institutions autonomes, en protégeant les lanceurs d’alerte, et en sanctionnant réellement les fautes.
- Renforcer l’État de droit : en assurant l’égalité devant la loi, l’indépendance de la justice, et la protection effective des libertés.
- Promouvoir la paix et la stabilité : en désarmant les conflits par la justice sociale, la cohésion nationale et la prévention des violences politiques.
- Former une nouvelle génération de leaders : intègres, compétents, soucieux du bien commun, et non de leur carrière ou de leur clan.
- Encourager la société civile : à jouer pleinement son rôle de vigie, de proposition et de mobilisation citoyenne.
- Promouvoir la coopération entre pays africains : pour créer des mécanismes de surveillance mutuelle, de solidarité démocratique et de pression politique.
- Repenser le rapport à l’Occident : non pas en rejetant systématiquement, mais en affirmant notre autonomie, en imposant nos priorités, et en exigeant la cohérence.
Une démocratie par nous, pour nous, avec nous
La démocratie n’est ni un luxe, ni une utopie. Elle est une nécessité vitale pour les sociétés africaines en quête de stabilité, de justice, et de développement humain. Mais elle ne prospérera que si elle devient un projet africain, porté par les Africains eux-mêmes, dans leur pluralité et leur histoire.
Il ne s’agit pas de copier un modèle occidental, ni de se réfugier dans un rejet stérile. Il s’agit d’inventer une démocratie authentique, enracinée, adaptée, mais fidèle à ses principes fondamentaux. Une démocratie qui ne soit ni un masque, ni un mirage, mais un outil réel d’émancipation.
Car au bout du compte, c’est bien cela le cœur de la question : voulons-nous une démocratie de façade pour calmer les bailleurs, ou une démocratie réelle pour libérer nos peuples d’Afrique?
Ibrahima M’bemba Bah Directeur chargé de la communication du Bloc Libéral/ Analyste et consultant politique