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Le 3 mai 2025, plusieurs centaines de Maliens ont manifesté à Bamako pour défendre la démocratie, une mobilisation inédite depuis des années. Dans un entretien exclusif accordé à Guinee360.com, Amadou Koïta, ancien ministre, président du Parti socialiste (PS) et figure de l’opposition, revient sur les motivations de ce rassemblement, dénonce les dérives autoritaires de la junte et appelle à la vigilance face à un possible recul démocratique. Pour lui, « sans partis politiques, il n’y a pas de démocratie ».
Guinee360.com : Plusieurs centaines de personnes ont manifesté à Bamako, le 03 mai, pour défendre la démocratie. Que vous inspire cette mobilisation, inédite depuis plusieurs années ?
Amadou Koïta : Cela a été une victoire totale pour nous. Nous avons lancé un appel aux démocrates, aux républicains, à tous ceux qui pensent à la stabilité du Mali, à la sécurité du pays, à la liberté d’expression et d’opinion, à tous ceux qui veulent sauver la démocratie. Nous les avons appelés à sortir massivement pour dire non à la dictature, non à la pensée unique, et oui à la souveraineté du peuple malien.
Quelle était la revendication principale ?
Comme vous le savez, nous avons adopté une nouvelle Constitution il y a tout juste deux ans. Une Constitution qui sacralise les partis politiques et garantit les libertés individuelles et collectives. Aujourd’hui, ce sont ces libertés qui sont menacées. Tout porte à croire qu’on veut faire taire les voix discordantes, qu’on cherche à dissoudre les partis politiques. Or, sans partis politiques, il n’y a pas de démocratie. Vouloir dissoudre les partis politiques, c’est remettre en cause l’ordre démocratique. S’il n’y a pas de démocratie, il n’y a pas de liberté, pas de médias libres, pas de libertés collectives. Le peuple malien est donc sorti massivement. Les jeunes, les femmes sont sortis pour exprimer leur attachement à la démocratie. Comme vous le savez, la démocratie malienne a été acquise au prix du sang : des centaines de jeunes sont tombés en mars 1991 pour mettre fin à une dictature de 23 ans. Pour rien au monde, nous n’accepterons un retour à la pensée unique. Nous sommes très heureux et appelons le peuple malien à rester debout, tous les démocrates et républicains à rester mobilisés.
Le 30 avril, les autorités ont abrogé la loi encadrant les partis politiques. Pensez-vous que cela annonce une dissolution programmée du multipartisme au Mali ?
Ce qui s’est passé, c’est que les autorités ont d’abord adressé des courriers aux partis politiques pour nous demander de faire des propositions, conformément aux Assises nationales de la refondation (ANR). En 2021, ces assises ont recommandé de réduire le nombre de partis politiques pour mieux les encadrer, de renforcer le rôle du chef de file de l’opposition, et de mettre fin au nomadisme politique. Après nos réponses, le gouvernement a décidé d’organiser des concertations dites “forces vives de la nation”. Or, lors de ces concertations, les représentants des partis n’étaient pas désignés par les partis eux-mêmes, mais par les autorités. Les résolutions issues de ces échanges ont recommandé la dissolution des partis politiques, la suppression du chef de file de l’opposition, et l’octroi d’un mandat de cinq ans, renouvelable, au président de la Transition. Nous pensons que cela est contraire à l’esprit et à la lettre des Assises nationales de la refondation, qui ont réuni plus de 116 000 personnes à travers tout le pays. Aujourd’hui, on fait comme si les partis politiques étaient un problème au Mali. Or, ce sont eux qui ont apporté la démocratie, ce sont eux qui ont permis d’amorcer le développement. Nous sommes au XXIe siècle : sans démocratie, il n’y a pas de développement, pas de lumière. Voilà pourquoi nous disons non à la dictature.
Pouvez-vous nous dire brièvement s’il y a eu des arrestations lors de cette manifestation ? Comment cela s’est-il déroulé ?
Non, il n’y a pas eu d’arrestations, mais il y a eu des empêchements. Nous sommes des démocrates et respectons les institutions de notre pays. Nous avons demandé une autorisation pour organiser ce meeting à 14h. Mais certains jeunes, se réclamant du pouvoir, sont venus empêcher nos militants d’entrer. Nous avons appelé les nôtres à rester républicains, à ne pas céder à la provocation. Notre pays a aujourd’hui besoin de rassemblement. Heureusement, nous n’avons pas cédé au piège.
Craignez-vous un passage en force de la junte dans les semaines à venir ?
Nous pensons que les autorités ont entendu le message. Et nous espérons qu’elles l’ont compris. Un passage en force ne passera pas. Aujourd’hui, les seuls ennemis du Mali, ce sont les terroristes. Nous devons être unis. Pour cela, il faut des institutions fortes, et cela passe par le respect des valeurs républicaines et des principes démocratiques. De la même manière qu’on a pu organiser un référendum en 2023, on doit être capable d’organiser des élections pour amorcer le retour à l’ordre constitutionnel. Il ne faut pas que le pays reste dans une situation de fait. La mobilisation du 3 mai – qui était aussi la Journée mondiale de la liberté de la presse – fera tache d’huile. Les autorités doivent comprendre que le peuple malien aspire à la liberté et veut exercer ses droits constitutionnels.
Depuis 2021, la répression contre l’opposition et les médias s’est intensifiée au Mali. Avez-vous personnellement été confronté à des pressions ou intimidations ?
Personnellement, non. Mais plusieurs de mes camarades sont aujourd’hui en exil. Certains ont été arrêtés simplement pour avoir exprimé leur opinion et critiqué la gouvernance. C’est pourquoi nous souhaitons un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Les institutions doivent être au-dessus des hommes. La loi doit protéger tout le monde. Il ne doit pas y avoir deux poids, deux mesures. Les partisans du pouvoir peuvent manifester librement, mais ce droit doit être garanti à tous. Une transition ne doit pas être partisane. Elle devrait rester neutre, car sa réussite dépend de sa capacité à s’effacer au terme du processus.
Vous avez évoqué les soutiens de la junte qui peuvent manifester librement, contrairement à l’opposition. Pensez-vous avoir le soutien populaire à la base ?
Nous sommes dans un État de droit. La Constitution du Mali stipule que tous les citoyens naissent libres et égaux. Il ne doit pas y avoir de sentiment d’injustice ni d’inégalité. Nous sommes tous maliens. Le peuple ne réclame que son droit : celui, constitutionnel, de choisir ses dirigeants. Lui en empêcher revient à violer la loi.
Que pensez-vous d’une éventuelle candidature du président de la Transition?
Je pense qu’il y a une charte qui stipule que le président de la Transition ne peut pas être candidat. Pour l’être, il faut démissionner, quitter l’armée. La Transition est censée être neutre, au-dessus de la mêlée. Elle ne peut pas être à la fois arbitre et joueur.
Le Mali a quitté la CEDEAO pour rejoindre l’Alliance des États du Sahel (AES). Ce choix vous semble-t-il cohérent avec les aspirations démocratiques des Maliens ?
Nous pensions que l’AES devait être une réponse sécuritaire face à l’insécurité dans la zone des trois frontières. Mais sa création ne devait pas entraîner notre sortie de la CEDEAO. La CEDEAO est un espace d’intégration économique et de libre circulation. Géographiquement, les pays nous séparent, mais les peuples sont les mêmes. Le Mali, la Guinée, la Côte d’Ivoire : nous sommes liés. La CEDEAO, malgré ses défauts, reste un outil d’unité régionale. Si l’Afrique veut parler d’une seule voix, c’est à travers les intégrations sous-régionales. La CEDEAO est essentielle. D’ailleurs, elle a été créée à Bamako. Dans notre hymne national, il est dit que nous sommes prêts à céder une partie de notre souveraineté pour l’intégration africaine.
L’article Amadou Koïta : “Vouloir dissoudre les partis politiques, c’est enterrer la démocratie malienne” est apparu en premier sur Guinee360 - Actualité en Guinée, Politique, Économie, Sport.