Que sont-ils devenus ? : Interview à bâtons rompus Famodou Konaté, percussionniste des Ballets Africains de Guinée 

il y a 8 mois 221
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Ancien percussionniste-soliste des Ballets africains des années 1962, Famodou Konaté est né en 1940 à Sangbarala, village situé à 8 km de Kouroussa. Il est le fils de feu Fodé et de feue Condé Koriaba, marié à une femme, il est père de 6 enfants dont 3 filles.

Pour un cursus scolaire à son actif, Famodou Konaté se rappelle et affirme avoir suivi des cours d’adultes en 1955, en Haute Volta (actuel Burkina Faso), à ses propres frais. Il recevait aussi affirme- t-il, des cours de formation en français, pendant les tournées des Ballets africains, initiés par son Directeur de l’époque feu Sacko. 

Famodou Konaté est issu d’une famille de cultivateur, de chasseur et de véritable guérisseur traditionnel.

Famodou est très tôt venu aux percussions, suite à une observation faite par son père, depuis qu’il marchait à 4 pattes dit-il. Progressivement, il prouvera ses prouesses dans le village, où il sera recruté pour les festivités des campagnes de vote pour le referendum du 28 septembre 1958, ainsi que pour plusieurs autres fêtes de réjouissances dans son village et dans les villages avoisinant. Recruté au sein de la troupe fédérale de Kouroussa, tout réticent au départ, il finira par être membre influent de cette troupe, qui représentera à plusieurs reprises la Fédération de Kouroussa dans les quinzaines artistiques et festivals nationaux.

Famodou Konaté sera recruté dans les Ballets africains de Guinée en 1962. Tout est parti lors d’une tournée des Ballets africains à Kouroussa. Il séduira par ses stridents et adaptés solos de frappes du  djembé dans le rythme ‘’Doundumba’’ du Hamana. Repéré, il fera partie d’un certain nombre d’artistes convoqués, et internés à Kassa pendant 3 mois, pour le recrutement final au sein des Ballets africains de Guinée. Après les différentes auditions, Famodou Konaté sera sans aucun tâtonnement recruté en qualité de percussionniste-soliste et ce, jusqu’en 1988. 

26 ans au sein des Ballets africains de Guinée, et plusieurs autres années passées dans ce noble métier d’artiste, Famodou Konaté se livre à Guineenews à travers sa rubrique ‘’Que sont-ils devenus ?’’.

Dans cette interview, découvrez ce talentueux percussionniste, son village natal de Sangbarala, en passant par sa préfecture de Kouroussa, jusqu’à son recrutement dans les célèbres Ballets africains de Guinée. C’est le retracé du parcours d’un talent, d’un patriote frustré, mal récompensé, après de loyaux services rendus à la nation. 

Lisez ! 

Guineenews : bonjour ! comment vous êtes arrivé dans ce métier d’artiste-percussionniste et racontez-nous votre parcours ?

Famoudou Konaté : c’est depuis mon enfance, quand je marchais à 4 pattes m’a-t-on dit, que mon père avait prédit cet avenir de percussionniste. Après plusieurs observations, il avait demandé au forgeron de la famille du nom de N’Fa Porè, qui résidait dans le village de Bananko, de fabriquer pour moi un petit djembé, sur lequel je tapotais le plus souvent. L’avenir vu et projeté très tôt par mon père, se réalisait progressivement.

Un jour, un cousin du village de Sangbarala me proposa d’aller assister aux festivités culturelles, pour les campagnes de vote du referendum du 28 septembre 1958. C’était au moment des campagnes, pour le choix du OUI et du NON au referendum du Général DE GAULLE. Et je n’avais que 18 ans. C’est à cet âge-là, que je fus appelé dans la troupe fédérale de Kouroussa. Au début, je n’avais pas voulu quitter mes parents et ma famille car, j’étais un bras valide, un cultivateur, qui apportait un plus pour la subsistance familiale au niveau des champs, ainsi qu’à la  chasse. C‘est suite à une seconde tentative, que le bureau fédéral de Kouroussa avait réussi à me convaincre, et je suis parti dans la troupe fédérale, en qualité de percussionniste-accompagnateur et soliste.

Arrivé à Kouroussa, j’ai demandé à ce qu’on me trouve une source de revenus. En ce moment, c’est M. Biro Kanté qui était le secrétaire fédéral. Il m’adorait et du coup, il me trouva un boulot de ferrailleur, qui me faisait gagner 600 GNF tous les mois, que je partageais avec ma mère qui était au village. J’ai participé à plusieurs quinzaines artistiques, ainsi qu’à plusieurs festivals sur le plan national à Conakry. Notre fédération de Kouroussa, rivalisait beaucoup d’autres fédérations dans plusieurs disciplines (chœur, ensemble instrumental, orchestre moderne, folklore, Ballet).

Guineenews : du berceau au village, en passant par la troupe fédérale de Kouroussa, pouvez-vous nous dire comment avez-vous pu accéder au sommet de votre art en intégrant les Ballets africains de Guinée ? 

Famoudou Konaté : c’est au cours d’une tournée des Ballets africains à Kouroussa, que tout arriva. Nous avions en ce moment organisé une manifestation, pour magnifier leur présence dans notre contrée. Comme le ‘’Doundumba’’, est le rythme majeur le plus dansé dans le Hamana, la fête fut arrosée de rythmes de djembé, accompagnés de la danse des hommes forts. Il y avait un grand danseur de ‘’Doundumba’’ du nom de Soko Layba Condé, venu du Sankaran, qui avait séduit ce jour et soutenu par mes percutants solos au djembé. Les Ballets africains s’invitèrent aussi à cette danse et la fête fut belle. C’est à leur retour, que je fus en compagnie de plusieurs autres, convoqués à Conakry.

Arrivés, nous avions étés internés à Kassa pendant 3 mois. C’est au sortir haut les mains d’une audition, qui avait duré pendant une semaine, que je fus recruté officiellement en 1962, au sein des Ballets africains en tant que percussionniste soliste. Après les délibérations, les habitants de Kassa disaient ceci de moi : « yi tan khafé, mukhu a fala nè a nun nyinnè nara.. ; » littéralement traduit en français « on l’avait bien dit, celui-ci travaille avec un diable… ». Au-delà de ces dires, que je ne considérais pas, j’avoue que mon djembé était sacré pour moi. Personne n’osait y toucher sauf avec ma permission. Nous avions formé une véritable équipe au sein des Ballets africains. J’ai évolué pendant 26 ans au sein des Ballets africains de Guinée. J’ai connu le monde à travers ces ballets. Nous avions eu du succès sur plusieurs scènes, et nous avions de façon rentable servie notre nation. C’est une fierté pour moi d’avoir appartenu à ce grand ensemble.

Guineenews : 1962-1988, 26 ans de prestations au sein des Ballets africains. Pouvez-vous nous énumérez des rôles principaux, que vous aviez eu à tenir dans des numéros des Ballets africains ?

Famoudou Konaté : j’ai joué à tous les postes au niveau de la percussion. Je jouais les solos avec feu Arafan Touré. J’ai joué les solos dans ‘’minuit’’, ‘’Doundumba’’ et plusieurs autres numéros. C’est Arafan, qui jouait les solos dans ‘’Kakilambé’’, ‘’Forêt sacrée’’ et tant d’autres. On se comprenait bien et tout marchait comme sur des rails.

Guineenews : plusieurs années passées au sein de ces Ballets nationaux. Vous avez effectuez assez de voyages à l’étranger et certainement vous retenez un plus beau et un mauvais souvenirs qui vous reviennent sur le parcours. Peut-on en parler ?

Famoudou Konaté : j’ai encore plusieurs souvenirs, qui me reviennent de nos différentes tournées. Tous ces souvenirs sont excellents pour moi. A vrai dire, le spectacle que nous avions effectué à la tribune des nations unies, reste le meilleur souvenir pour moi. Vous voyez ce CD, je passe toutes les nuits à visualiser ces images. Plusieurs sont décédés parmi nous, et (paix à leurs âmes) je revois encore ce jour comme si c’était hier. 

Pour de mauvais souvenirs, je ne sais rien car j’ai toujours entouré ma vie de joie. Certes il y e a eu, mais je ne considère pas ce côté négatif. Je suis encore en vie et cela  grâce à Dieu.

Guineenews : qu’est-ce que vous avez gagné avec ces Ballets, durant toutes ces nombreuses années passées ensemble ?

Famoudou Konaté : en bon croyant, il faut oser dire la vérité. Je rends hommage aujourd’hui au feu Président Ahmed Sékou Touré et je prie Dieu, que son âme repose en paix. Imaginez, que c’est grâce à lui, simple cultivateur installé dans mon village, il m’offre l’occasion de monter dans des avions, faire presque le tour du monde, se faire d’utiles relations, je crois que c’est un privilège, qui n’est pas fait pour tout le monde. Je fus aussi fonctionnaire de l’Etat, et je percevais 3.000 sylis par mois.

Sincèrement, je n’ai pas eu de l’argent au moment où, j’évoluais avec les Ballets africains de Guinée. Nous avions tous travaillé pour le pays et en retour, nous avions reçu des félicitations, des satisfécits et surtout l’honneur. C’est après ma retraite de ces Ballets africains de Guinée, que j’ai pu réaliser et construire pour moi-même. Ces concessions m’appartiennent et c’est  grâce à mes activités de formations dispensées à l’étranger, aux spectacles en privé que j’offrais en compagnie de ma troupe dénommée à l’époque ‘’Hamana diyara’’. J’ai sillonné en compagnie de cette troupe, l’Allemagne, la France, la Suède et beaucoup d’autres pays européen.

Donc, c’est grâce à la culture guinéenne, à mon djembé, que je vis et continue de vivre bien que mon état de santé s’est un peu effrité. J’ai tout gagné avec la culture guinéenne. 

Guineenews : justement, parlons de votre état de santé. Depuis combien de temps vous ne vous sentez pas bien et vous souffrez de quoi exactement ?

Famoudou Konaté : j’ai des problèmes au niveau des bras, qui ont longtemps été en mouvement sur les peaux des bêtes. 26 ans et plus, ce n’est pas 26 minutes, en train de taper le djembé pendant un spectacle de plus d’1 heure et plus. Il m’arrive dès fois, de ne pas pouvoir soulever les bras et les douleurs deviennent intenses en ces moments.

Guineenews : alors avez-vous une prise en charge médicale ou bien, qui est-ce qui s’occupe de votre état de santé ? 

Famoudou Konaté : je n’ai aucune prise en charge médicale provenant de l’Etat. C’est grâce à une de mes filles mariée en France, qui s’occupe de moi dans ces périodes dures de maladies. Dès qu’il y a une alerte à ce niveau, elle vient me chercher pour aller bénéficier des soins auprès d’elle en France. J’ai déjà effectué 3 voyages au compte de ma fille et ça se passe bien à ce niveau.  

Guineenews : vous ne bénéficiez d’aucun soutien de la part de l’Etat, c’est-à-dire du département de la culture, du BGDA ou autres structures concernées ?

Famoudou Konaté : en ce qui concerne l’Etat, il faut reconnaitre que je bénéficiais de 5.000.000 fg par mois. Mais il y a quelque temps, que je ne bénéficie plus de cet argent, et je vous prie de m’aider à éclaircir cette situation. Je ne suis pas allé à l’école et certainement, il y a des trucs qui bloquent, dont je ne suis pas en mesure de comprendre. Vous parlez du BGDA, je n’ai jamais reçu un franc de la part de cette structure comme droits d’auteur. Comme je viens de le dire, il faut que vous m’aidiez à résoudre tous ces problèmes car, je suis certainement en train de perdre beaucoup d’avantages, sans me rendre compte et par ma propre faute. Aidez-moi et je compte entièrement sur vous.

J’ai longtemps marché au niveau du Ministère et là, je suis découragé d’aller perdre du temps à ce niveau.

Guineenews : tous ces avantages vous filent entre les doigts et vu votre âge, nous voulons savoir quelles sont actuellement vos sources de revenus ?

Famoudou Konaté : je vis de mes économies, j’ai plusieurs appartements qui sont en location, mes enfants me viennent aussi au secours. Ce livre que vous voyez devant vous, a été édité en Allemagne et publié un peu partout en Europe, en français, en allemand, et bientôt la version en anglais va paraitre. C’est une de mes œuvres sur la culture guinéenne en général, et le djembé en particulier, avec la collaboration de Thomas Hot, qui est allemand d’origine. Cet ouvrage me rapporte aussi un revenu, sans oublier que de temps à autres, je reçois des européens qui viennent apprendre la percussion chez moi. J’ai une salle de danse construite à cet effet.

Guineenews : à vous entendre parler, est-ce que vous n’avez pas des ‘’plaies’’ qui vous démangent ? 

Famoudou Konaté : j’ai pleines de ‘’plaies’’ sur tout le corps. Je ne regrette pas d’avoir servi mon pays durant tout ce temps. Mon regret réside du fait, qu’on ne me reconnaît pas aujourd’hui mes bienfaits pour ce pays. Je suis abandonné à moi-même, mes avantages ne me sont pas octroyés. Je reçois plus de considérations à l’étranger que dans mon pays. Les européens m’assimilent à une bibliothèque remplies de connaissances, surtout de la culture guinéenne. On ne doit pas abandonner celui qui a honoré son pays, et qui a  fait don de sa vie pour la cause de la nation. Les autorités  guinéennes n’ont qu’à essayer, de panser nos ‘’plaies’’, au risque de les voir se gangréner. Guineenews : dites-nous, la génération actuelle, s’intéresse-t-elle à vous pour apprendre et connaitre mieux le djembé ?

Famoudou Konaté : Personne ne vient vers moi pour s’intéresser au djembé. C’est d’hommage, quand je constate, que ce sont les blancs seulement qui viennent pour l’apprentissage de nos instruments traditionnels (kenkénin, sangban, Doundumba, djembé solo et djembés accompagnement…), et ils parviennent à transporter chez eux notre culture. C’est un fait regrettable.

Guineenews : face à cette réticence des jeunes, quels conseils avez-vous à leur prodiguer, afin qu’ils retournent à la source ?

Famoudou Konaté : vous savez, les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas le temps. Tan talu bolo, konondo le alu bolo. Littéralement traduit en français « Les jeunes n’ont pas dix (10) et ils n’ont que 9 (neuf) ». Je veux dire par là, que tout ce qu’ils entreprennent n’aboutit généralement pas, et si cela l’est, ce sont des œuvres éphémères. Tout commence par l’argent et finit par l’argent chez eux. A notre temps, nous nous sommes contentés de mercis et de bénédictions. Il n’est pas facile aujourd’hui, de donner des conseils aux jeunes. Ils ont autres choses dans la tête, que l’idée de s’approcher et d’apprendre auprès des anciens. Il faut pourtant avoir des repères. Ce qui est encore invraisemblable, ils nous qualifient ainsi « … ils sont dépassés ces vieux pères… ». Comment pouvez-vous, convaincre quelqu’un qui vous traite de personnes dépassées et qui n’est pas à jour ? Ce n’est pas possible.

Guineenews : le tour presque fait, et quoi d’autres avez-vous à dire à nos lecteurs pour conclure cette interview ?

Famoudou Konaté : je suis né guinéen et je suis fier de l’être. Notre pays devait être un ‘’paradis’’ comme l’ont exprimé cette kyrielle d’artistes réunis autour de ce thème. Aux autorités de soutenir la culture guinéenne, de veiller à ce qu’elle soit représentative, comme l’avait fait feu Président Ahmed Sékou Touré. Je ne veux pas qu’on me fasse regretter le fait de revenir au pays. J’ai eu toutes les opportunités de rester à l’étranger et d’améliorer de plus mon existence. Je préfère ma Guinée natale à tout l’or du monde. Occupez-vous de nous et Dieu s’occupera de vous. Merci à vous aussi, pour ce souci que vous vous faites pour nous.  

Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews

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