Lamine Diabaté : “nous sommes la mémoire des hommes, à nous de réveiller l’héritage”

il y a 21 heures 41
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Il est l’une des voix les plus engagées de la scène culturelle guinéenne. Conteur, auteur, metteur en scène, parolier et directeur artistique de la compagnie Uni-art et culture, Lamine Diabaté incarne avec passion la transmission vivante des traditions africaines.
À travers ses spectacles, ses prises de parole, ses écrits et ses engagements, il interroge les croyances populaires, défend les causes sociales oubliées comme celle des personnes atteintes d’albinisme, et milite pour une modernisation intelligente de la tradition à l’ère du numérique.
De Conakry à Bamako, en passant par Abidjan et les scènes internationales, cet artiste complet fait rayonner l’oralité africaine avec une ferveur rare. Dans cet entretien accordé à Guinéenews, il évoque son parcours, ses projets et sa vision de la culture comme socle du vivre-ensemble et moteur de transformation sociale. Lisez !
Guinéenews : vous avez récemment évoqué les croyances populaires en Guinée. Quel message souhaitez-vous transmettre à travers ces récits ?
Lamine Diabaté : Pour moi, c’était de rappeler que derrière chaque message, derrière chaque croyance, il y avait un message que nos ancêtres voulaient véhiculer. Notamment lorsqu’on disait qu’il n’est pas bon de conter pendant la journée [c’est un exemple parmi tant]. C’était tout simplement parce que la journée était faite pour le travail, et que la nuit, c’était vraiment le moment propice de se retrouver en communauté, en famille, pour essayer de partager les enseignements traditionnels ensemble. Aussi, lorsqu’on disait à la femme que lorsque son mari est en train de parler, de fermer la bouche et de ne pas dire un mot ou lorsque le mari est en colère. C’était une façon de pérenniser l’harmonie dans les couples. Parce qu’imaginez, la femme est en train de crier par-ci, le mari est en train de crier par-là, ça va se solder par quelque chose qui risque de déchirer les familles. Donc, derrière ces croyances-là, derrière ces propos, il y avait des messages. Et justement ce sont ces messages que j’essaie de rappeler, parce que c’est ça notre rôle. Nous avons été choisis pour être la mémoire des Hommes lors de la Charte de Kouroukanfouga. C’est à nous de rappeler l’histoire, parce qu’on dit toujours que c’est l’ancienne bouche qui parle à la nouvelle oreille. Et nous, nous constituons ce qu’on appelle au Manding l’ancienne bouche.
Guinéenews : votre pièce intitulée L’ultime révolte de l’albinos aborde un sujet sensible. Quelle est la genèse de cette œuvre ?
Cette œuvre revêt une importance capitale pour moi, parce que la pièce aborde la question de l’injustice, la question de l’albinisme qui est un sujet tabou dans beaucoup de sociétés africaines, la question même de croyance. Parce qu’en Afrique, à raison ou à tort, on considère les personnes atteintes d’albinisme comme étant des êtres maléfiques. Souvent, on accuse ces femmes qui mettent des enfants atteints d’albinisme de femmes infidèles. Donc, pour moi, c’était important d’évoquer ce sujet à travers une pièce de théâtre où le personnage principal est une jeune femme albinosse qui se nomme Elle. Mais c’était une occasion pour moi de m’engager aux côtés de ces personnes atteintes d’albinisme pour défendre leur cause. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs, chaque année, nous célébrons la Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme. Je le fais avec l’Association des personnes atteintes d’albinisme. On a déjà fait deux éditions. Cette année, nous comptons organiser la troisième édition. Et la pièce même, nous comptons en faire une version audio, pourquoi pas la traduire aussi dans nos langues pour qu’elle puisse beaucoup plus de personnes. Aussi, j’ai eu la chance, à travers une amie qui vit aux États-Unis, qui a fait la traduction en anglais. Donc, ça veut dire qu’on aura une version qui va toucher aussi les pays anglophones.
Guinéenews : en tant que Directeur artistique de la compagnie Uni-art et culture, quels sont vos projets actuels ?
Actuellement, nous faisons déjà beaucoup de spectacles. Et moi-même, je suis en train de finaliser une pièce de théâtre sur la vie de Sory Kandia Kouyaté. Mais, avec tout ce sue nous faisons, nous voulons aussi produire un album sur les contes africains, sur l’art oratoire africain, avec les instruments traditionnels de musique. On le fait déjà en spectacle. Mais je pense que si on en fait également en album, ça va toucher plus de public que ce soit en Guinée ou ailleurs à travers le monde. Parce que cette année, j’ai eu la chance d’être invité par le ministrre malien de la Culture, Son Excellence Mamou Daffé, à venir assister au Festival sur le Niger. J’ai eu la chance de faire plusieurs titres lors de la nuit de l’AES. Pour moi, c’était important, devant plus de 3 000 personnes, en tant que guinéen, de faire cette ouverture. Je pense que le travail qu’on est en train de faire est en train d’être reconnu. C’est vraiment un sentiment de satisfaction.
Guinéenews : comment percevez-vous l’évolution de la transmission des traditions orales à l’ère du numérique ?
Je pense que nous devons nous y adapter. Parce que le monde évolue. Nous devons nous adapter à cette évolution.Actuellement, c’est possible. Je vous ai parlé du studio. Or, nos ancêtres n’entraient pas en studio. Mais pour toucher beaucoup plus de public, on va faire des enregistrements, des albums. Les autres font des albums, pourquoi pas nous ? C’est aussi une façon pour nous de nous adapter à cette mutation. On pourra aussi faire des extraits, parce que les gens pensent que TikTok, c’est pour seulement se distraire. Il y a aussi des enseignements. On pourra donc y mettre des extraits pour permettre aux jeunes de mieux connaître leur culture. Donc, ce n’est pas un frein. C’est à nous de réfléchir. Heureusement, nous sommes allés à l’école. Aujourd’hui, nous savons mieux manier ces appareils. Imaginez, mon père, mon grand-père eux, ils le faisaient en langue locale, en maninka. Mais moi, je le fais en français. J’écris des livres qu’on peut traduire en anglais. Je fais des spectacles. Je voyage un peu partout à travers le monde, parce que j’ai déjà fait dix-neuf pays. Ce qui n’est pas petit pour un jeune de mon âge. Il faut qu’on trouve de l’imagination pour nous adapter à l’ère du numérique.
Guinéenews : quelle aura été votre participation au FEMUA 17 où la Guinée est pays invité d’honneur ?
J’ai eu la chance vraiment de participer au spectacle d’ouverture officielle, qui montre la vraie culture guinéenne à travers ses quatre régions naturelles, aux côtés du Circus Baobab. D’ailleurs, c’est moi qui ai planté le décor en tant que parolier et en tant que griot. Pour moi, c’est un grand honneur. Et je pense que vous étiez dans la salle, et donc témoin de l’effet que ce spectacle a produit tant dans la salle elle-même qu’aux yeux du monde entier. Parce qu’il y avait des grands médias à travers le monde qui l’ont relayé. Aujourd’hui, c’est vraiment la Culture guinéenne qui est en train de se repositionner, parce que comme j’aime le dire souvent, ce n’est pas possible que la Guinée soit numéro 1 en culture il y a de cela soixante ans et que ça ne puisse pas être le cas aujourd’hui. Parce que chez nous au Manding, on dit : « kèlè mansa bon kèlè mansa bon, do le faala, do le balola ». C’est-à-dire, dans les maisons royales, il y en a qui meurent, il y en a qui survivent. Donc, c’est l’épaisseur des grands hommes de culture comme Keita Fodéba, des grands hommes de lettres comme Camara Laye. C’est le pays des Ballets Africains, le pays du Bembeya Jazz, le pays de Demba Camara et de Sory Kandia Kouyaté, entre autres. Étant issu de ce pays-là, je pense que la Guinée peut vraiment s’imposer à travers sa culture.
Guinéenews : qu’est-ce que ça vous fait de venir en Côte d’Ivoire ?
Je suis fier de venir en Côte d’Ivoire, parce que moi-même, je suis né dans ce pays. Ma défunte mère (paix à son âme) était ivoirienne et elle est enterrée enterrée ici. Mon père a fait près de quarante ans en Côte d’Ivoire. Et pour moi, c’est toujours un plaisir de revenir dans ce pays qui m’a vu naître ; le pays de ma mère. Mais c’est aussi une façon de montrer que nous sommes un et indivisible. Tous les Africains doivent se donner la main : les frontières, c’est juste la délimitation que la colonisation nous a imposée. En tant qu’Africains, nous devons nous donner la main pour le développement notre cher continent.
Guinéenews : un mot pour clore cet entretien !
Je dirai merci à Guinéenews pour cette autre opportunité ! Vous faites la fierté de la presse guinéenne même même au-delà de nos frontières. Merci pour tout !
Entretien réalisé par Mady Bangoura depuis Abidjan pour Guinéenews 
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