La Guinée et la technologie : réflexion sur une méthode pour une révolution numérique (Par Bissiriou Kandjoura)

il y a 10 mois 208
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Le Gouvernement guinéen à travers le ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique, fait de la révolution numérique, une priorité. Une politique à saluer et à encourager pour au moins deux raisons principales. D’abord, le développement du numérique contribue à la croissance économique d’un Etat : le numérique est un levier de développement économique et social, capable de transformer une société. A cet effet, le Ministre Ousmane Gaoual Diallo, souligne que « le numérique, par son caractère transversal, a le pouvoir de transformer positivement tous les aspects de notre vie quotidienne »[1]. Dès lors, pour y arriver, il faut une véritable « révolution numérique ». De quoi s’agit -il ? La révolution numérique est un phénomène qui se caractérise par la transformation considérable des modes d’interaction de la société : elle modifie profondément la façon de produire, d’échanger et de consommer en effaçant les limites géographiques[2]. D’après Marc Bourreau et Thierry Pénard, la transformation numérique de la société repose sur trois grands piliers : « les nouvelles technologies (…), l’économie (…) et le social – caractérisé par de nouveaux modes de sociabilité et d’action collective qui stimulent l’innovation et la consommation tels que les réseaux sociaux Twitter, Instagram, Facebook, etc[3]. Ensuite, l’internet est devenu un outil incontournable tant pour les gouvernements que pour les entreprises et les citoyens, de sorte que certains moteurs de recherche, notamment Google, certaines plateformes sectorielles telles que TripAdvisor, Expedia ou Booking dans le domaine du tourisme, ainsi que les géants du numérique, les GAFA, sont devenus des modèles de référence[4]. Leurs outils sont même souvent devenus nécessaires à la communication, la démocratie, l’économie et la recherche, parmi d’autres, dans une société globalisée de l’information.

Cette contribution a pour objectif de proposer une réflexion permettant la mise en œuvre d’une véritable révolution numérique en Guinée. Dans un premier temps, nous pensons que la transformation de l’économie numérique en Guinée, doit se faire à la lumière des projets « intelligents » ou la politique des villes dites « intelligente ». La notion d’« intelligence » étant une valeur incontournable pour toute activité humaine, y compris celle relative au numérique : la véritable révolution numérique est celle basée sur la méthode dite « intelligence ». Cette méthode permet de chercher des solutions aux problématiques locales grâce à l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. En effet, retenons que « la ville intelligente est un nouveau concept de développement urbain. Il s’agit d’améliorer la qualité de vie des citadins en rendant la ville plus adaptative et efficace, à l’aide de nouvelles technologies qui s’appuient sur un écosystème d’objets et de services (…)»[5]. Est une ville intelligente, celle qui utilise les technologies le numérique pour améliorer la qualité de vie des habitants. Il existe deux modèles de gestion de la ville intelligente : une gestion par l’entreprise ou par les citoyens. Dans le premier cas, la ville peut être gérée par l’entreprise, c’est ce que l’on appelle «le solutionnisme technologique »ou sponsorisée par l’entreprise, ce projet est appelé «open source ». Dans le second cas, le projet peut être géré par les citoyens : c’est « la ville intelligente résilience » qui se caractérise principalement par son approche ascendante basée sur la philosophie du mouvement du « logiciel libre »[6]. Cette approche est certes démocratique, mais elle reste limitée et ne facilite pas la libre circulation des données. Elle pourrait donc être complétée, ou remplacer par la méthode dite de « ville intelligente basée sur les ‘biens communs’ ». Par conséquent, nous pensons qu’il serait utile pour le gouvernement guinéen, afin de transformer l’économie numérique, d’orienter les projets à la lumière de la politique des villes dites « intelligentes », susmentionnées. La création de ces villes doit ensuite être encadré par le droit. Dès lors, deux outils (solutions) permettent d’y arriver : la politique (II) et le droit (II).

  1. La solution politique ou la création de ville dite « intelligente »

A titre préliminaire, rappelons que le ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique, accorde un intérêt particulier à la révolution numérique. Partant, la volonté et les travaux du Ministre Ousmane Gaoual Diallo, méritent d’être encouragés : «nous avons engagé des réformes pour encourager l’innovation et l’entrepreneuriat numérique en République de Guinée»[7]. Le Ministre souligne : «en tant que Ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie Numérique, je suis convaincu que le numérique a un rôle clé à jouer dans le développement de notre pays et dans l’amélioration de la vie de chaque citoyen (…)»[8]. Il ajoute : «nous devons veiller à réduire la fracture numérique et à garantir que chaque Guinéen, qu’il vive en milieu urbain ou rural, puisse bénéficier des opportunités offertes par les nouvelles technologies (…). C’est pourquoi, le département que j’ai le privilège de diriger a entrepris d’importants efforts pour promouvoir l’inclusion numérique. D’ailleurs c’est l’opportunité pour moi de rendre un vibrant hommage à ma prédécesseuse Madame la Ministre Aminata Kaba, qui a été l’architecte de plusieurs initiatives en faveur des jeunes filles. Notamment le camp de Codage de filles appuyé par la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, qui a enregistré la participation de 250 filles et jeunes femmes âgées de 12 à 25 ans venant des cinq communes de la ville de Conakry. Cette initiative vise à autonomiser les jeunes femmes et filles en facilitant leur intégration dans les domaines technologiques, en vue de générer une croissance économique inclusive, stimuler la création d’emplois, briser la fracture numérique et éradiquer la pauvreté pour le développement socio-économique du continent (…)»[9]. M. le Ministre, veuillez recevoir nos encouragements et nos sincères remerciements pour les efforts fournis et les travaux réalisés. Toutefois, n’est-il pas possible d’orienter des reformes vers le monde des villes dites « intelligentes », pour une véritable révolution numérique ?

En effet, la construction des villes intelligentes relève des politiques publiques du Gouvernement accompagnée d’une participation citoyenne. L’initiative vient du Gouvernement. Mais les meilleures villes intelligentes sont celles qui associent le citoyen dans tout le processus de création. Dans cette perspective, il faut certes du «Numérique au service du citoyen» mais aussi, du «Citoyen durant tout le processus» : de la conception à la phase finale. Nous pouvons faire de la technologie participative. On peut identifier plusieurs phases dans le processus. 1ère phase : cibler les objectifs de ladite ville. Cette phase doit être inclusive et faire participer tout le monde. 2ème phase : préparer et adopter les technologies selon les besoins de la ville. 3ème phase : centraliser les opérations dans une « plateforme de sécurité unifiée ». 4ème phase : mettre en œuvre un protocole de sécurité pour la protection des données et la vie privée des citoyens. 5ème phase : collaborer avec les autorités, les entreprises ou les personnes ressources, afin de faciliter la gestion et le partage des données : c’est ce que l’on appelle de « l’interconnectivité ». La ville sera une ville interconnectée.

  1. La solution juridique ou l’encadrement de la ville dite « intelligente »

En matière juridique, nous pouvons faire comme la France, tout en tenant compte de nos réalités sociales, économiques et culturelles : une révolution numérique adaptée à nos réalités. Comment la France est-elle parvenue (juridiquement) à transformer son économie numérique ? Depuis les années 2010, ce pays a pris une série d’initiatives qui marquent la transition vers une transformation numérique de l’État. Cela comprend, entre autres, le Décret n° 2011-194 du 12 février 2011 portant création d’une mission « Etalab » chargée de la création d’un portail unique interministériel des données publiques, la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite loi Macron), qui met en place une politique d’ouverture des données des transports, la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Cette loi rend les informations publiques des collectivités accessibles en ligne en format électronique, et la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, qui reconnaît les principes de libre accès et de circulation des informations et données numérisées à essence publique. Nous pouvons suivre cette évolution normative à la française, afin de transformer en profondeur notre économie numérique, conformément à la règlementation en vigueur, notamment, la loi sur la cybercriminalité[10].

Vive la Guinée

et vive notre économie numérique !

Bissiriou Kandjoura, Chercheur chargé d’enseignement en Droit, Université Paris Nanterre, Université de Sonfonia-Guinée

[2] Luis Roman Arciniega Gil, La gouvernance des données en tant que “ biens communs ” : étude juridico-stratégique pour une valorisation publique des données informationnelles, thèse, Université de Lille, 2022, p. 13. V. aussi, Marc Bourreau et Thierry Pénard, « Introduction. L’économie numérique en question », Revue d’économie industrielle, vol. 156, n°. 4, 2016, p. 11.

[3] Marc Bourreau et Thierry Pénard, « Introduction. L’économie numérique en question », Revue d’économie industrielle, vol. 156, n°. 4, 2016 p.12. V. aussi, Luis Roman Arciniega Gil, La gouvernance des données en tant que “ biens communs ”, op.cit., pp. 13-14.

[4] Luis Roman Arciniega Gil, La gouvernance des données en tant que “ biens communs ” op.cit., p. 13.

[5] CNIL. Glossaire [en ligne]. Définition de Smart city : https://www.cnil.fr/fr/definition/smart-city.

[6] Richard Stallman, « Why Open Source Misses the Point of Free Software », GNU Operating system [En ligne], 2015. Consulté le 30 juin 2015 : http://www.gnu.org/philosophy/open-source-misses-the-point.html.

[7] Mohamed Bangoura, Semaine du Numérique : « Miser sur l’économie numérique, c’est transformer le pays en profondeur » (Discours Ousmane Gaoual), op.cit.

[8] Idem.

[9] Ibidem.

[10] Loi n° L/2016/037 relative à la cybersécurité et la protection des données à caractère personnel en République de Guinée.

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