ISSEG : l’excellence sacrifiée sur l’autel du minimum ? (Par Lancinè Marcus Dioubaté)

il y a 3 heures 13
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L’Institut Supérieur des Sciences de l’Éducation de Guinée (ISSEG) est un établissement public à vocation scientifique et professionnelle, héritier de l’ancienne École Normale Supérieure de Manéah/Coyah, créée en 1979. Sa mission originelle était claire : former des enseignants du secondaire hautement qualifiés sur le plan scientifique et rigoureux sur le plan pédagogique (un véritable centre d’excellence).

En 2003, l’ISSEG a été transféré à Conakry-Lambanyi, dans des locaux modernes financés par l’Union européenne, symbole d’un engagement fort à bâtir une élite éducative nationale. Ce transfert a été réalisé sous le leadership du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique d’alors, Docteur Ahmed Tidiane TRAORÉ— éminent professeur chargé du cours de littérature africaine au sein de la même institution, et ancien conseiller politique et culturel de l’ancien président sénégalais Léopold Sédar SENGHOR.

Pourtant, depuis plusieurs années, le ministère de l’Enseignement supérieur a pris la décision d’orienter vers l’ISSEG les bacheliers ayant obtenu la moyenne de 10/20. Un choix lourd de conséquences, qui transforme l’institution phare de la pédagogie guinéenne en simple voie de placement pour les « juste admis », alors qu’elle devrait rester un pôle d’excellence réservé aux meilleurs.

Il ne s’agit pas ici de jeter des pierres sur les bacheliers ayant obtenu 10/20 : beaucoup d’entre eux peuvent progresser, se perfectionner et méritent d’être reconnus et encouragés. Mais l’exigence académique, la vocation, la crédibilité et la réputation de l’ISSEG imposent qu’il accueille en priorité les meilleurs profils, capables de tirer vers le haut le niveau de formation des futurs enseignants.

Cette orientation dévalorise le métier d’enseignant, décourage les vocations les plus prometteuses et prépare un déclin qualitatif durable d’un système éducatif déjà sous perfusion. Former les formateurs devrait mobiliser les meilleurs esprits du pays, et non se contenter du seuil d’admission.

Ce que font les pays qui réussissent

Les modèles internationaux prouvent que les nations misant sur l’éducation placent leurs meilleurs bacheliers au cœur de la formation des enseignants :
•France : devenir professeur nécessite aujourd’hui une licence, puis un master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation), avec concours nationaux sélectifs (CAPES, agrégation). Les enseignants du secondaire sont recrutés parmi les diplômés universitaires ayant réussi ces concours exigeants, garantissant un excellent niveau disciplinaire et pédagogique.
•Finlande : seuls les 10 % des meilleurs bacheliers peuvent postuler pour devenir enseignants. La sélection comprend des tests écrits, des entretiens et une évaluation de la motivation. Résultat : un système éducatif qui figure régulièrement en tête des classements mondiaux.
•Singapour : l’État recrute les meilleurs diplômés du baccalauréat et les rémunère dès leur formation au National Institute of Education, avec un encadrement d’excellence.
•Rwanda : les Écoles Normales Supérieures accueillent uniquement les lauréats nationaux, convaincus que l’excellence des élèves dépend directement de celle de leurs professeurs.
•Maroc : l’accès aux Centres Régionaux de Formation des Professions de l’Éducation et de la Formation (CRMEF) est conditionné à la réussite d’un concours exigeant, après un diplôme universitaire pertinent.

Ces pays ont un point commun : ils savent que la qualité d’un système éducatif repose sur la compétence et la valeur académique de ceux qui enseignent.

La Guinée prend le chemin inverse

En orientant vers l’ISSEG les étudiants les moins performants du baccalauréat, la Guinée envoie un message désastreux : enseigner ne requiert pas d’excellence. Cela revient à accepter que ceux qui formeront nos jeunes n’aient pas eux-mêmes eu un parcours académique solide.

À terme, c’est l’assurance d’un abaissement du niveau général, d’un déficit de crédibilité internationale — qui frappe déjà notre système éducatif depuis des décennies — et d’une génération future moins armée pour relever les défis économiques, scientifiques et culturels.

Un appel direct aux décideurs et aux diplômés de l’ISSEG

Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation,
Aux syndicalistes de l’Enseignement supérieur,
Aux partenaires techniques et financiers,
À la direction générale de l’ISSEG,
Aux diplômés de cette valeureuse institution,

L’éducation est l’arme la plus puissante pour transformer une nation. Mais cette arme perd tout son tranchant si ceux qui la portent n’ont pas reçu une formation digne. Orienter les « juste admis » vers l’ISSEG, c’est affaiblir délibérément notre base éducative et envoyer le message que l’enseignement est un métier de dernier recours.

Nous demandons solennellement que soit reconsidérée cette orientation et que soient instaurés, dès la rentrée 2026, des critères sélectifs exigeants pour intégrer l’ISSEG : moyenne minimale de 12/20 au baccalauréat, concours rigoureux, quotas réservés aux meilleurs, incitations financières et sociales pour attirer les talents, et toute autre mesure garantissant l’excellence.

Car sacrifier la qualité des formateurs, c’est sacrifier l’avenir même de la Guinée. L’histoire retiendra ceux qui auront laissé l’école s’effondrer… ou ceux qui auront eu le courage de la sauver.

Nous sommes dans la refondation : dans cette optique, l’éducation ne doit pas être esquivée, elle doit être une priorité absolue. Tant vaut l’éducation, tant vaut la nation.

Lancinè Marcus DIOUBATE
Étudiant en Master 2, Sciences de l’éducation, Université de Tours (France)
Chercheur associé au Réseau Panafricain pour l’Innovation Éducative

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