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Face à la récurrence des incendies tant à Conakry qu’à l’intérieur de la Guinée, nous avons joint un Expert de la question de la Protection civile, M.Mohamed Kouyate, un cadre guinéen Spécialiste en Changements Institutionnels, Risques et Vulnérabilité sociale avec plus de quinze années d’expérience professionnelle probante dans les ONG internationales en Europe. Il a travaillé comme Consultant en Développement organisationnel à l’OIM GUINÉE où il a mené une étude concluante sur la transformation de la Protection civile guinéenne en Office National de la Protection Civile (ONPC). Entretien à bâtons rompus…
En Guinée, l’on assiste depuis plusieurs mois désormais à des incendies dans des concessions familiales avec des dégâts humains et matériels importants. Votre réaction ?
Mohamed Kouyaté : Permettez-moi d’abord de vous remercier, vous et vos lecteurs pour cette occasion que vous m’offrez pour vous parler de ce sujet qui est d’ordre social et qui relève sans nul doute du domaine régalien de l’État, la protection civile.
Ensuite, je ne saurais continuer mes propos sansprésenter mes condoléances les plus attristées à toutes les familles endeuillées à la suite d’incendies enregistrés ces derniers temps à Conakry et dans plusieurs communes urbaines et rurales du pays. Aussi, voudrais-je profiter de cette tribune pour signifier ma profonde compassion à l’endroit de toutes les victimes de sinistres domestiques que notre pays a connus.
Enfin, permettez-moi de relever que les sinistres sont inhérents aux activités humaines et ils sont le fruit de l’homme : production industrielle, électricité, agriculture, etc. C’est bien pour prévenir les sinistres que la notion de risque est d’ailleurs née.
Vous avec une connaissance approfondie de ce secteur de la Protection civile en Guinée pour avoir mené une étude sur la problématique. Quelles pourraient être les causes de ces incendies ?
Je ne me réclame pas comme un « grand sachant de la Protection civile » même si par le passé, j’ai eu à mener des études concluantes sur ce secteur pour le compte de l’un des bureaux du Système des Nations Unies en Guinée. Pour répondre cependant à votre question, je vous dirai que les causes de ces incendies sont protéiformes. Chaque cas ayant ses propres particularités. Vous avez par exemple des incendies provoqués par des courts circuits et ces courts circuits peuvent être causés soit par :
Comme vous pouvez le comprendre, les causes peuvent être multiples ne serait-ce que sous le prisme du courant électrique. Mais il n’y a pas que le courant qui peut provoquer les incendies, il y a des imprudences et l’inobservance du code de la construction et du code de l’habitat. A titre illustratif, vous pouvez voir à Conakry, des immeubles qui n’obéissent à aucun de ces codes et les propriétaires ne craignent aucune sanction de l’État puisqu’il n’y a quasiment pas de contrôle à postériori des constructions une fois achevées afin de s’assurer du respect des normes.
Vous avez à cet effet, des immeubles qui ont été construits originellement à usage de bureaux qui se transforment du jour au lendemain à usage mixte. Vous avez dans ce sens des immeubles avec un restaurant au rez-de-chaussée gauche, à droite une station d’essence, au milieu, une boutique et au premier étage des logements. Où est le sérieux ? Où est l’État dans tout cela ? Après on s’étonne un beau jour de voir un sinistre dans ces immeubles. Ça ne marche pas comme cela. Les choses ont été codifiées par le législateur pour réduire les risques. Il faut respecter et faire respecter les codes en la matière pour le bien de tous.
Comment y remédier ?
La solution n’est pas compliquée à trouver à mon avis. Il faut tout d’abord appliquer les codes déjà existants et veiller à leur respect par les citoyens (code de la construction, code de l’habitat, code des assurances, etc.). Ce n’est pas assez, dira-t-on, mais il faut bien commencer quelque part. Ensuite, il faut travailler pour la mise en place d’une protection civile proche des citoyens et qui sera bâtie sur des socles structuro–fonctionnels optimaux. Tout cela nécessite une forte volonté politique de l’État car je parle ici d’un changement structurel profond de la protection civile. Il faut permettre à cette institution de migrer vers un office national doté d’une personnalité juridique lui permettant par exemple de mobiliser ses propres ressources afin de soulager les caisses de l’Etat d’une part et d’autre part donner aux soldats du feu, les moyens logistiques et opérationnels leur permettant de réussir leur mission en réduisant par exemples les démarches administratives. L’urgence ne saurait s’accommoder aux démarches administratives classiques.
L’État semble dépassé par l’ampleur du phénomène. Que peut-il faire pour amenuiser ce phénomène qui n’épargne même pas les résidences officielles de ministres ?
Il est vrai que les incendies sont devenus récurrents ces derniers temps et l’Etat semble dépassé mais cela n’est pas une fatalité. Cependant, si notre pays, ambitionne la croissance de son économie en s’appuyant sur de grands projets de développement dans tous les secteurs que ce soit dans les mines, l’énergie, les infrastructures, l’agriculture ou encore l’industrie. Il n’en demeure pas moins que cette stratégie entraîne l’apparition de défis majeurs liés à une urbanisation galopante et souvent « sauvage ». Elle implique également des préoccupations sociales et démographiques donc, à terme, environnementales dans un contexte mondial marqué par la survenance récurrente de pandémies transfrontalières.
Dans cette perspective, la protection civile est leparent pauvre du secteur de la sécurité, en général, et de la sécurité intérieure en particulier (…) Le service des sapeurs-pompiers qui a vu le jour en 1954 et qui a connu de multiples mutations ne survit aujourd’hui que grâce à la coopération décentralisée. À l’évidence, ce service dont l’activité est vitale a besoin d’être établi de manière pérenne, de couvrir l’ensemble du territoire guinéen, et d’être structuré et équipé afin de remplir une mission essentielle dans tout État moderne.
En venant s’ajouter aux interventions actuelles de la Protection civile, ces nouvelles sollicitations exigent du professionnalisme, de la compétence, des ressources et une organisation que seule une gouvernance axée sur la responsabilité et la redevabilité peut garantir. Ce qui m’amène à dire qu’il faut aujourd’hui une protection civile proactive et proche des citoyens.
A rappeler de passage que plusieurs pays africains dont entre autres la Côte-d’Ivoire, la Tunisie et le Togo ont opté pour ce type de gouvernance de la protection civile avec des résultats concrets sur le terrain.
Au début de l’interview, nous avons évoqué une étude réalisée par vous, avec un financement de l’OIM, pour des réformes au niveau de la Protection civile guinéenne. Quelles en étaient les principales recommandations ?
En 2021, j’ai eu l’insigne honneur de mener une étude sur la protection civile de Guinée. L’étude était intitulée « Agenda de transformation de la protection civile ». Au mois de juillet de la même année, un atelier de validation eut lieu dans un grand hôtel de la place où la plupart des diplomates étaient présents. L’étude a révélé trois axes stratégiques qu’il fallait développer sur plusieurs années :
Pour rappel, l’étude nous a conduits dans plusieurs régions et préfectures du pays. Il a été révélé à l’époque que la protection civile ne disposait pas plus d’une quinze de citernes d’eau (FPT) sur l’ensemble du territoire national et la plupart de ces citernes avaient une capacité inférieure à 8 mille litres contrairement aujourd’hui aux standards internationaux. Pire, certaines régions administratives du pays comme Boké n’avaient, à l’époque où l’on menait l’étude, aucun FPT de la protection civile. Il fallait se rabattre sur les entreprises minières de la région en cas de sinistre. Mieux, à part les villes minières comme Fria, Kamsar et Sangarédi, la quasi-totalité des villes de Guinée y compris Conakry (excepté la presqu’île de Kaloum) n’avaient pas de bouche d’incendie ni de poteaux d’incendie.
Aussi, faut-il rappeler que la quinzaine de citernes était la plupart vieilles et, le plus souvent les matériels d’interventions notamment les raccords et les pièces ne sont pas compatibles d’un engin à un autre. Il faut réglementer tout cela. Quant aux difficultés opérationnelles, je passe les détails car l’heure n’est pas aux critiques mais aux propositions.
C’est pourquoi j’invite humblement le Président de la République, Le Premier Ministre et le Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile à se pencher sur le cas de la Protection civile guinéenne. L’OIM doit avoir une copie de cette étude dont je parle ici et sauf erreur de ma part, une copie avait aussi été officiellement acheminée auprès de l’ancien gouvernement.
Dans ce document, ils verront des propositions concrètes comme entre autres, la dotation du pays des normes régissant les établissements recevant du public (ERP), les normes concernant les immeubles de grandes hauteurs (IGH), les normes concernant les entrepôts de magasin, la mise en place d’issues de secours dans les habitations, la construction de bouches et poteaux d’incendies dans les communes de la capitale et de l’intérieur du pays, la mise en place de délégation de service public avec des prestataires privés dans les grands marchés de Guinée pour prévenir et juguler les sinistres dans la célérité, etc.
Selon vous, pourquoi celles-ci peinent à être mises en place ?
Je ne saurais dire la raison pour laquelle l’Office National de la Protection Civile n’a pas vu le jour. Ce que je puis vous dire cependant, c’est qu’il serait dommage que l’on réinvente l’eau chaude. J’ose espérer que le Gouvernement réagira à cette problématique sociale qui n’a que trop duré.
Je vous remercie.
L’article Interview- Mohamed Kouyaté : « la protection civile est le parent pauvre du secteur de la sécurité… » est apparu en premier sur Mediaguinee.com.