Interview- Dr Ben Youssouf Keita : ‘’le cancer du sein peut apparaître chez n’importe quelle femme, à n’importe quel moment à partir de la puberté’’

À l’occasion d’Octobre Rose, mois dédié à la sensibilisation au dépistage précoce et à la lutte contre le cancer du sein, la rédaction de Mediaguinee s’est entretenue jeudi 16 octobre dernier, avec un expert du domaine de la santé.

Chirurgien de profession, fort de 45 années d’expérience, il a jeté son regard sur cette tumeur qui demeure la plus fréquente chez les femmes, toutes origines confondues, en particulier en âge de procréer. 

Avec Dr Ben Youssouf Keïta, ancien député et président de la commission santé, jeunesse, sport, art, culture et patrimoine historique à l’Assemblée Nationale lors de la 8ème législature nous avons évoqué des symptômes précoces, les facteurs aggravants, les  dangers liés aux traitements traditionnels et les types de traitements médicaux qui existent.

Mediaguinee:  Nous savons tous que nous sommes au mois de octobre, autrement appelé octobre rose, dédié à tout ce qui concerne les pathologies liées au cancer du sein. Pouvez-vous nous expliquer réellement c’est quoi le cancer du sein ?

Dr Ben Youssouf Keïta: Le cancer du sein est une maladie grave, d’évolution insidieuse mais s’il est découvert à temps peut-être soigné. C’est une tumeur qui se développe au niveau du sein de la femme, ça peut être le sein gauche comme le sein droit et généralement au niveau du cadran supéro-externe. 

Cette tumeur commence par une petite boule, ça n’attire pas l’attention parce que ça ne fait pas mal. C’est pourquoi on dit que c’est une tumeur indolore et qui peut être découverte de manière fortuite, soit quand la femme se lave, elle touche ou quand elle vient à la visite médicale et puis le médecin en faisant son examen physique général découvre la présence d’une petite boule, d’une petite tumeur, c’est le premier type de cancer chez la femme dans la classification.  Le cancer qui attrape les femmes, c’est le premier cancer du sein. Le deuxième c’est le cancer du corps, le reste suivra.

Mediaguinee: Est-ce que cette pathologie peut-elle atteindre les  hommes aussi ?

Dr Ben Youssouf Keïta:  Chez l’homme, c’est tout à fait le contraire. L’homme, c’est d’abord le cancer du poumon, parce que beaucoup fument. Et enfin, le deuxième, c’est le cancer de la prostate. Il y en a même qui interviennent dans les pays où les gens ne fument pas, c’est la prostate. Donc, le cancer du sein, c’est très fréquent, c’est très répandu.  Et si ce n’est pas découvert à temps, non seulement c’est une chirurgie agressive, parce qu’il faut enlever tout le sein de la femme et le soumettre à une chimiothérapie qui peut vraiment fatiguer la femme, jusqu’à perdre ses cheveux et avoir beaucoup de troubles.

Alors, comme c’est fréquent, c’est reparti un peu partout, et les gens ne découvrent que fortement, et ça n’attire pas l’attention, c’est pour cette raison qu’on a préféré créer un mois, qu’on appelle le mois rose, le mois dédié à la sensibilisation contre le cancer du sein. Que ce soit en Guinée, que ce soit en France, que ce soit aux Etats-Unis, à Cuba, partout, la première cause, pour le moment du cancer chez la femme, c’est le cancer du sein. Et je peux vous dire, moi-même, malheureusement, ma première fille souffre du cancer du sein. Donc je suis très concerné par cela.

Mediaguinee: Généralement, c’est quoi les causes de cette maladie ?

Dr Ben Youssouf Keïta: Bien, d’abord, il y a une prédisposition génétique. Si, par exemple, dans une famille, il y a une grand-mère ou arrière-grand-mère, ou une tante qui a souffert du cancer, et puis vous avez une autre, soit une fille ou une soeur qui souffre du cancer, c’est qu’il y a une prédisposition. Ce n’est pas une maladie transmissible, ce n’est pas une maladie héréditaire, mais c’est une maladie qui peut se développer dans certaines familles. Donc il y a des prédispositions familiales. De la même manière que le cancer de la prostate, il y a des prédispositions familiales. 

Ensuite, il y a l’utilisation, certainement, de certaines substances chimiques qui sont cancérigènes, et le fait que la femme soit soumise au rayon X. C’est pour cette raison que la radiographie, quand on dit radiographie, il ne faut pas en abuser, parce que ça peut être une source de provocation du cancer du sein, entre autres, comme le cancer du l’utérus, le cancer même de l’estomac ou le cancer du poumon. Donc l’exposition au produit cancérigène, au rayon X abusif et la prédisposition familiale sont généralement les causes de cancer chez les femmes.

Mediaguinee:  À quel moment peut-on commencer régulièrement à faire le dépistage ?

Dr Ben Youssouf Keïta: Le cancer, généralement, c’est à partir de l’âge de la puberté. Il y a un développement hormonal, et c’est en ce moment que la fille, après ses 16, 17, 18 ans, il y a déjà un développement de sa puberté. Et s’il y a une prédisposition familiale, en ce moment, la petite boule peut apparaître soit ici ou là.

Mais généralement, c’est à partir de 30 ans, 30 ans en avant, pendant la période d’activité de procréation de la femme. C’est pendant cette période de 30 ans jusqu’à 50 ans. Après 50 ans, c’est la ménopause, et c’est très rare de voir une femme qui n’a pas pu être découverte jusqu’à cet âge vraiment venir pour un cancer de sein débutant, sinon que ça serait totalement compliqué.

Mediaguinee:  Docteur, mieux vaut prévenir que guérir. Alors, il y a par exemple des gens qui disent qu’il y a des mécanismes souvent, qu’il faudrait utiliser, par exemple, en essayant de faire certains gestes en touchant les seins. Est-ce que cela peut vraiment prévenir ou stopper le cancer du sein ? 

Dr Ben Youssouf Keïta: Ça ne prévient pas son apparition, mais ça prévient son développement jusqu’à la complication. Parce que la cellule cancéreuse, elle débute toute petite. Et c’est pour cette raison que dès qu’on constate une tumeur indolore chez la femme, soit, comme vous avez dit, le mari, pendant la palpation, pendant la caresse, peut toucher, ou la femme, pendant sa toilette, quand elle va se baigner, peut toucher. Et c’est à ce moment-là que déjà les choses commencent. Et immédiatement, il faut aller voir le médecin. Le médecin, s’il se rend compte que ce n’est pas une inflammation, ce n’est pas un abcès ou une infection il fera ce qu’on appelle la mammographie.

La mammographie va déterminer l’emplacement et la progression de la tumeur. Et de là, après la mammographie, on envoie chez le chirurgien ou chez l’anatomopathologue pour faire la biopsie. Quand on fait la biopsie, on envoie à l’anatomopathologie. Et généralement, si c’est à l’étranger, par exemple à Cuba ou en Europe, la femme reste au bloc opératoire, jusqu’on aille faire rapidement l’analyse anatomopathologique. Si on trouve que c’est le cancer, immédiatement, les dépositions sont prises.

Mais chez nous, ici, pour le moment, on envoie soit à Donka ou à Ignace Deen ou à Sino-Guinéen en anthropopathologie. Deux semaines après, on attend le résultat. Quand le résultat revient et qu’on trouve que c’est un cancer, un vrai cancer du sein, il faut faire l’ablation complète du sein, enlever complètement le sein et soumettre le patient à la chimiothérapie pour éviter que les cellules cancéreuses ne prennent tout le corps ou ne reviennent encore pour compliquer la situation.

Mediaguinee: Vous parlez de mammographie, qu’est-ce que c’est ? 

Dr Ben Youssouf Keïta:  La mammographie, c’est un examen imagérique qui est réalisé par les radiologues, ceux qui s’occupent de l’imagerie, qui consiste à visualiser l’anatomie interne du sein. On voit les conduits galactophères, on voit tout ce qui concerne le sein, jusqu’à la présence d’une chose anormale qui n’est autre qu’une tumeur. C’est ça la mammographie. Elle doit être systématique, généralement, chez toutes les femmes à un certain âge. Au moins une fois par an, les femmes doivent aller faire la mammographie. On peut le découvrir fortuitement. Dès le début, la mammographie va démontrer qu’il y a une tumeur qui est en train de se développer.

Mediaguinee:  Quels sont aujourd’hui les facteurs aggravants si vous êtes atteints par cette pathologie ? 

Dr Ben Youssouf Keïta:  Les facteurs aggravants, premièrement, c’est la prise en charge tardive. Généralement, nos parentes, au village ou à l’intérieur, quand elles émettent des produits indigènes, on les soumet à un traitement indigène qui peut détruire la peau et qui peut même poser des blessures. Et là, c’est le facteur aggravant. Il n’y a pas d’autre facteur aggravant que ça. Donc, la manipulation intempestive et surtout la prise en charge tardive. Ce sont les facteurs aggravants. Je vous ai parlé de ma propre fille. Heureusement, c’était de courir en France. Elle a subi une mastectomie. Elle est actuellement sous la chimiothérapie. Elle n’a même pas 40 ans. Elle n’a que 37 ans.

Donc, ça veut dire que ça peut attraper toutes les femmes. C’est idiopathique. Il n’y a pas de cause spécifique. Ce n’est pas parce que la femme a allaité son enfant ou bien elle n’a pas allaité son enfant ou parce qu’elle a été traumatisée, elle a eu des coups. Non, ça peut apparaître chez n’importe quelle femme, n’importe quelle race et à n’importe quel moment à partir de la puberté. 

Mediaguinee:  Quelles sont les chances de survie ? 

Dr Ben Youssouf Keïta:  Les chances de survie dépendent du diagnostic rapide. Quand ça met des ganglions au niveau des aisselles, ça signifie qu’il y a déjà la métastase qui a commencé. La chimiothérapie elle est très lourde, très difficile à supporter et surtout très coûteuse. Donc, si on découvre tardivement chez une femme, la chance de survie, je ne peux pas dire que c’est minime, mais quand ça commence à se développer, ça n’atteint pas les 5 ans. 

Mediaguinee:  Au niveau de la pharmacopée, il y a souvent des médecins traditionnels qui essayent de traiter cette pathologie. Est-ce que ce  traitement est-il efficace?

Dr Ben Youssouf Keïta:  Non, pas du tout. C’est anatomique, il faut la chirurgie, ni plus ni moins. Chirurgie et chimiothérapie. Apparemment quand la boule est là, et que c’est le cancer, aucun médicament ne peut l’enlever de manière traditionnelle si ce n’est que la chirurgie ou la chimiothérapie ou la radiothérapie. Avec la chimiothérapie ou la radiothérapie, ça peut faire diminuer la taille de la tumeur, mais ça ne l’enlève pas complètement. Une fois que c’est là, et on dit que l’anatomie pathologique a décidé que les cellules qui sont vues sont des cellules cancéreuses, il faut opérer, enlever complètement.

Mamadou Yaya Barry & Robert Kourouma

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