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On nous l’a vendue comme une bénédiction, un texte tombé du ciel, lavé de toute souillure, porteur d’une nouvelle ère.
La nouvelle Constitution guinéenne, paraît-il, serait née sans tâche, sans douleur, sans controverse. Pas de rapports, pas de contractions, pas même un cri d’enfantement. Un miracle bureaucratique. Une grossesse sans fécondation, une naissance sans accouchement.
L’Immaculée Conception version Conakry : la Loi surgie de nulle part, sortie toute habillée des jupes du pouvoir, bénie par les généraux, acclamée par les silencieux. Alléluia, mes frères, la République a donné naissance à un texte sans peuple.
Mais que vaut une Constitution sans parents ? Car un texte qui prétend « ressembler au peuple » devrait logiquement avoir une famille. Une mère, un père, des oncles bruyants, des tantes soupçonneuses, des cousins bavards. Il devrait faire l’objet de querelles, d’empoignades, de réunions tardives et de coups de gueule. On devrait s’écharper dessus, le contredire, le retoucher, le recracher cent fois avant de l’accepter. Mais celui-là ? Rien. Il est né dans l’ombre, dans le secret des cabinets, dans les bureaux climatisés d’un palais où l’imagination du pouvoir se renouvelle chaque jour, pendant que le reste du pays étouffe sous la poussière de l’attente.
On nous jure pourtant qu’il « rassemble ». Mais on n’assemble pas un peuple comme on aligne des soldats. Le vrai rassemblement, c’est le tumulte, la contradiction, la cacophonie des colères. Ce que nous avons ici, c’est le calme inquiet d’un pays convoqué, non consulté.
Le silence administratif des préfets obéissants, les applaudissements mécaniques des ministres, les caméras soumises qui filment l’unanimité comme on filme un enterrement d’État. Ce n’est pas une union, c’est un ordre de mission. Ce n’est pas un débat, c’est une chorégraphie. Une danse des ombres.
Et pour que la comédie soit complète, il faut un acte final : ce sera le vote du 21 septembre. Grand moment démocratique à la guinéenne. Ce jour-là, le peuple sera appelé à faire un choix historique : dire oui, ou dire oui avec un sourire. Le non ? Il sera là aussi, comme décor, comme caution, comme distraction. Une option de politesse, pour ceux qui aiment croire encore à l’illusion du libre arbitre.
Les bulletins seront comptés, les résultats déjà rangés dans les tiroirs, et les caméras s’occuperont du reste. Ce 21 septembre, on votera à huis clos, dans une salle pleine.
Et l’ironie est totale. Car enfin, faut-il en rire ou en pleurer ? Celui qui a pris le pouvoir par la force, au nom du refus de la confiscation du pouvoir, nous propose aujourd’hui une Constitution… pour mieux le conserver. La boucle est d’une perfection cynique.
Le soldat devenu président se rêve maintenant en père fondateur. Il a troqué son treillis pour un costume trois-pièces, mais l’arme est toujours là, invisible, plantée dans la mémoire collective. Cette Constitution n’est pas une refondation : c’est une reddition.
On voudrait nous faire croire qu’en changeant le papier, on change le pays. Mais on ne soigne pas un cancer en changeant l’étiquette du médicament. On ne rebâtit pas une maison en repeignant la façade quand les fondations sont pourries. Une vraie refondation, ça commence par le bruit, la dispute, la divergence. Ça commence par le peuple. Ici, le peuple n’a eu droit qu’au rôle d’invité muet, spectateur d’une cérémonie déjà écrite, déjà jouée.
Le débat public a été étranglé dans son berceau, étouffé comme un poulet dans un sac, pendant qu’on préparait les festivités.
Et voilà qu’on nous intime d’applaudir. On nous exhorte à célébrer le miracle. Dansons donc, citoyens ! Dansons comme on dansait pour Sékou Touré, pour Lansana Conté, pour Dadis Camara, pour Sékouba Konaté, pour Alpha Condé. Dansons, puisque même le président du CNT s’appelle Dansa – le destin a décidément le sens de l’humour. Dansons, même si nos jambes sont fatiguées, même si nos poches sont vides, même si notre voix ne compte pas. Dansons, parce que dans ce pays, l’unanimité est toujours mise en musique par les mêmes tambours : ceux du mensonge, de la peur, de la survie. La chanson change, mais le musicien reste le même.
Il faut appeler un chat un chat. Et une imposture, une imposture. Cette Constitution n’a rien d’immaculé. Elle n’a ni innocence, ni légitimité. Elle ne ressemble pas au peuple, elle ressemble à celui qui l’a faite écrire. Elle ne rassemble que les fidèles, les soumis, les cooptés. Elle n’est pas née d’un élan collectif, mais d’une volonté solitaire. Elle n’a pas de voix, elle n’a qu’un porte-parole.
Alors puisqu’elle n’a ni père, ni mère, donnons-lui au moins le nom de son créateur : appelons-la la Constitution Doumbouchou. Qu’on sache, à défaut de vérité, à qui revient la paternité de ce texte sans amour. Et que l’histoire, cette vieille sorcière qui n’oublie rien, retienne qu’une fois de plus, la Guinée aura préféré les oracles en uniforme aux assemblées du peuple.
Le 21 septembre, donc, nous irons voter. Oui, voter comme on récite un serment imposé. Ce sera un jour sacré : le jour du consentement sous surveillance. Jour férié de l’unanimité obligatoire, à célébrer avec dignité, dans les urnes et dans les journaux. Le 21 septembre : l’accouchement officiel d’un texte sans amour, conçu dans la peur et né dans le silence. Peut-être qu’un jour, nous exigerons d’aimer avant de procréer. On appelle ça la démocratie. Essayez. Vous verrez, ça pourrait vous plaire.
Ousmane Boh KABA
L’article Immaculée Constitution : La Guinée enceinte d’un texte sans père ! est apparu en premier sur Actuguinee.org.