Gouvernance minière : la Guinée entre courage industriel et urgence sociale, l’équation GAC [Par Yakouba Konaté]

il y a 5 heures 43
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Par-delà les turbulences du secteur minier guinéen, un dossier concentre tensions et espoirs, celui de Guinea Alumina Corporation (GAC). Aujourd’hui à l’arrêt, cette entreprise est au cœur d’un débat national crucial sur la transformation locale des ressources naturelles, la préservation des emplois et la souveraineté industrielle. Ce dossier illustre la complexité des arbitrages à faire entre rigueur politique, exigences économiques, viabilité industrielle et stabilité sociale.

Dans ce contexte, une option audacieuse et innovante se dessine, autoriser une reprise conditionnelle des activités de GAC, à la stricte condition qu’une part significative des revenus tirés des exportations soit immédiatement affectée à la pré-construction de la future raffinerie d’alumine. Cette démarche, à la fois ambitieuse, réaliste et socialement responsable, pourrait constituer la clef de voûte d’une sortie de crise maîtrisée, tout en jetant les bases d’un véritable tournant industriel.

La décision de suspendre les opérations de GAC n’est nullement anodine. Elle s’inscrit dans une volonté politique affirmée de rompre avec le modèle historique du « tout-export » de matières premières brutes, en faveur d’une industrialisation intégrée créatrice de valeur, d’emplois durables et de souveraineté productive. Toutefois, cette ambition stratégique, aussi légitime soit-elle, entre en collision avec une réalité sociale immédiate, des milliers d’emplois suspendus, des revenus communautaires gelés, et une montée palpable des tensions dans des zones sensibles telles que Boké, Tinguilinta ou Kamsar. Il faut le reconnaître, le temps de l’industrie n’est pas celui du social. Une transition brutale, trop longue ou mal accompagnée pourrait créer plus de fractures que de progrès.

Face à cette équation délicate, il serait contre-productif d’opposer fermeté politique et pragmatisme économique. Au contraire, la Guinée peut s’engager sur une voie médiane, structurante, qui consiste à autoriser temporairement la reprise des exportations de GAC, sous réserve d’un engagement contractuel rigoureuxqu’une part fixe des revenus issus de cette reprise soit versée dans un fonds spécial exclusivement dédié à la pré-construction de la raffinerie.

Ce mécanisme ne serait ni un blanc-seing accordé à l’opérateur, ni une forme de renoncement. Il s’agirait plutôt d’une stratégie transitoire, pensée pour transformer une rente immédiate en levier d’investissement industriel. Ce fonds, alimenté automatiquement par un pourcentage des ventes de bauxite, pourrait financer les études techniques et environnementales, les premières infrastructures (routes, énergie, eau industrielle), les commandes d’équipements stratégiques, ainsi que la formation d’ingénieurs et techniciens guinéens. Il s’agirait là d’un véritable outil de co-construction entre l’État et l’opérateur, structuré autour d’un calendrier clair, avec des étapes vérifiables et des livrables à moyen terme.

Ce type de compromis n’est pas sans précédent. D’autres pays africains ont su emprunter cette voie hybride avec succès. Au Ghana, par exemple, l’entreprise Gold Fields a financé une partie de ses infrastructures de transformation aurifère en amont de sa production commerciale, à travers un mécanisme de financement progressif négocié avec l’État. Ce mécanisme a permis, en parallèle, de préserver des emplois et de moderniser le tissu industriel national. En Afrique du Sud, l’exigence d’investissements dans la “beneficiation” a donné lieu à des accords de transition avec des compagnies minières, incluant des engagements de réinvestissement locaux. Certaines entreprises, comme Impala Platinum, ont pu obtenir des assouplissements réglementaires temporaires en contrepartie de calendriers d’engagements publics de construction d’usines. Enfin, en Sierra Leone, les activités de la compagnie Sierra Rutile ont été relancées en 2021 sous un régime conditionnel, avec une part de la production destinée à financer un projet de raffinerie de titane sur place. Ces exemples montrent qu’il est possible de concilier souveraineté industrielle et transition, à condition de poser des règles claires, des mécanismes transparents, et des objectifs mesurables.

Pour garantir l’efficacité et la crédibilité de ce mécanisme, une gouvernance multipartite s’impose. L’État guinéen, GAC, les collectivités locales, la société civile et les partenaires techniques devraient siéger au sein d’un comité de pilotage unique. Ce comité aurait pour mission de superviser les décaissements du fonds spécial, de valider les étapes clés de la pré-construction, de veiller au respect d’un calendrier de mise en œuvre avec des jalons précis, d’informer régulièrement les communautés concernées, et d’anticiper tout risque de blocage via un système d’alerte et de sanctions contractuelles.

Au-delà de ses implications nationales, ce choix stratégique enverrait un signal fort aux partenaires financiers et techniques de la Guinée. Il démontrerait que le pays reste résolument engagé dans la transformation locale de ses ressources, mais qu’il entend le faire avec méthode, inclusion et viabilité économique. Pour les communautés locales, ce serait enfin une réponse concrète à l’attente légitime de voir les richesses du sous-sol bénéficier directement aux populations, à travers un processus tangible, piloté et suivi.

L’objectif n’est pas de créer un dispositif technocratique complexe, mais de mettre en place une feuille de route claire et consensuelle, capable de bâtir la confiance autour d’un projet structurant pour l’avenir. Cette reprise conditionnelle deviendrait ainsi un instrument stratégique permettant de synchroniser les temporalités du social et de l’industrie, sans sacrifier l’un à l’autre.

L’équation GAC ne se résume donc pas à un affrontement entre transformation locale et exploitation minière. Elle pose une question plus subtile, comment construire une souveraineté industrielle durable sans provoquer une implosion économique à court terme ? En autorisant une reprise encadrée, transparente et orientée vers un objectif clair de transformation, la Guinée ferait le choix d’une voie responsable, courageuse et équilibrée. Elle prouverait sa capacité à faire respecter ses choix politiques tout en intégrant les impératifs sociaux et économiques qui les accompagnent.

C’est précisément cette intelligence du compromis qui fera réussir la transition minière guinéenne. C’est ce pari lucide mais porteur qui fera de l’or rouge guinéen non plus un simple produit d’exportation, mais le socle d’une véritable industrialisation nationale.

Yakouba Mariame KONATE

Doctorant en Administration des Affaires d’ESC–Clermont Business School

(Partenariats Public-Privé, politique industrielle & Développement minier)

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