Benty, mémoire en ruines : un pan de l’histoire guinéenne à restaurer

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Entre l’Atlantique au ressac obstiné et les terres bordant la Sierra Leone, Benty se tait. Cette commune rurale d’un peu plus de 3 500 âmes, nichée dans le sud-ouest de la Guinée, abrite les vestiges d’une histoire dense, douloureuse, oubliée.

Ici, la mémoire de la traite négrière, de la colonisation et des résistances locales s’efface lentement, rongée par l’indifférence. Pourtant, un espoir a surgi — impromptu, mais avec force — lors d’une visite récente du ministre de la Culture, du Tourisme et de l’Artisanat, M. Moussa Moïse Sylla.

Sur le site du port négrier — aujourd’hui recouvert par la mangrove et réduit à un quai fantomatique en pierres taillées — le ministre a pris la parole. Séance tenante, il a promis de restaurer les lieux de mémoire de Benty. Il a surtout annoncé la constitution d’une équipe dédiée à la reconstitution des mémoires collectives, afin que les voix des ancêtres ne soient pas ensevelies sous les racines et le silence.

Un engagement salué localement comme un acte fort, mais aussi attendu depuis trop longtemps. Car Benty, ce n’est pas qu’un point sur une carte : c’est un carrefour de récits, un cimetière d’histoire, un musée à ciel ouvert qui se meurt.

Outre le port, on y trouve les ruines d’une esclaverie en latérite, aux murs griffés par les chaînes. Une fosse d’enfermement de trois pièces, sombre, humide, lieu d’angoisse figé dans le sol. Elle servait de prison pour les esclaves “récalcitrants”. Une cloche de 105 kilos, jadis sonnée pour signaler les départs de navires ou les révoltes d’esclaves, est aujourd’hui réduite au silence, privée de sa boule de son, volée.

Et toujours, en mémoire de René Caillié, subsiste une chaîne d’ancrage d’environ deux mètres de long. Elle servait à immobiliser le navire de cet explorateur français arrivé sur les côtes guinéennes en 1827, selon le président de la délégation spéciale de Benty.

Tout autour, les 414 bâtiments postcoloniaux construits au XIXe siècle — fiers et fonctionnels en leur temps — s’effondrent un à un, envahis par le lierre, l’air salin et l’oubli.

La tombe de Maridet, officier colonial mort en 1947, est un sépulcre que plus personne ne visite. Le port bananier, fleuron économique d’antan, n’est plus qu’un quai fracturé aux abords déserts. La forêt de Gbindi, puits de biodiversité et refuge historique des esclaves en fuite, est menacée par l’exploitation abusive. Et le fromager de Kaala, géant sacré, se dresse encore — gardien muet d’un passé que l’on ne vient plus interroger.

Le site de la Bouillée de Bolintan, théâtre d’un affrontement sanglant en 1864, repose sous une pierre plate couverte de mousse : unique vestige d’une résistance oubliée. Sur la côte, la plage de Salatougou, vaste et intacte, témoigne des allées et venues d’un autre temps — des esclaves en partance, des colons en approche. Enfin, au large, l’île des Oiseaux, sanctuaire fragile pour des milliers de migrateurs, rappelle que Benty, malgré tout, respire encore.

En 1964, un homme avait tenté de sauver la mémoire. Emmanuel, instituteur et historien autodidacte, parcourait le village pour consigner récits, lieux et légendes. Depuis, le silence a repris ses droits.

Mais la promesse du ministre Sylla, si elle se concrétise, pourrait marquer un tournant. « Il faut arracher Benty à l’oubli », a-t-il déclaré, en s’engageant à faire de ces ruines un patrimoine vivant.

Il est temps…

Temps de réparer, de transmettre, de redonner voix à ceux qu’on n’a jamais vraiment écoutés. Car Benty n’est pas un simple village : c’est une mémoire nationale, un miroir de notre histoire collective. Le sauver, ce n’est pas seulement préserver des pierres : c’est honorer les larmes et les luttes, les silences et les cris.

Et aujourd’hui, peut-être pour la première fois depuis longtemps, une porte s’entrouvre. Benty peut renaître. À nous de ne pas la refermer.

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