Bachelière à 45 ans : « je vais faire l’université après… le master » (entretien)

il y a 5 heures 22
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À 45 ans, après trois décennies d’enseignement, Madame Keita Nanfadima Condé décroche enfin son baccalauréat. Mère de quatre enfants, cette enseignante à Faranah incarne la persévérance et le dépassement de soi. Entre responsabilités familiales, contraintes professionnelles et absence de promotion faute de diplôme, elle a su braver les obstacles pour reprendre ses études.

Dans cet entretien accordé à notre rédaction ce dimanche, lendemain de la proclamation des résultats, elle partage son parcours atypique, son inspiration, ses sacrifices et adresse un puissant message d’espoir aux femmes guinéennes.

Admise au baccalauréat unique 2025, sous le PV 247053, Nanfadima Condé, mère de quatre enfants adultes, compte obtenir la licence, le master et d’autres diplômes.

Je lance un appel à toutes les femmes, surtout celles qui ont un âge avancé : l’âge n’est qu’un chiffre. Il ne compte pas. Quand on est courageuse, on peut tout faire. L’étude n’est pas réservée à une catégorie.

Mediaguinee : Nous avons été attirés par votre courage et votre détermination, qui vous ont permis de décrocher le bac. Quelle a été votre source d’inspiration et de motivation ?

Nanfadima Condé : Ce qui m’a motivée à faire le bac, c’est que j’ai appris, à travers mes amis, que si tu n’as pas le bac, tu ne peux rien faire dans la vie : ni master, ni doctorat, etc. J’ai appris cela.

Actuellement, je suis dans une école de formation à l’université de Lambanyi.

Après deux ans de formation, j’ai encore appris que seuls les détenteurs du bac obtiendront le diplôme. Et moi, je n’avais que le bac 1.

En quelle année aviez-vous obtenu ce bac 1 ?

J’ai obtenu le bac 1 en 1995.

1995-2025, c’est presque 30 ans. Mais j’ai eu le courage de me présenter cette année pour obtenir le diplôme, pour valider mon niveau de lycée, afin de ne pas retourner à Faranah avec une simple attestation.

C’est une raison parmi d’autres.

Je suis chargée de classe depuis ma sortie en 2000, jusqu’à maintenant. Je n’ai jamais eu de promotion, rien du tout.

J’ai donc pensé que c’est dû à l’absence de diplôme. J’ai décidé de me recycler pour avoir ce diplôme, afin de quitter la classe et devenir soit formatrice, soit conseillère pédagogique.

C’est ce qui m’a motivée à faire le bac.

Mon mari n’est pas lettré, mais il m’a soutenue et encouragée. Il n’a jamais été contre ma formation

Depuis que vous avez repris le bac après le bac 1, est-ce votre toute première fois ?

Oui. Depuis 1995, c’est la première fois. Il y a une école à Kagbelen, Keitayah. C’est là où j’ai passé le bac.

Étant en zone rurale, comment avez-vous cumulé la vie de famille et la vie professionnelle entre 1995, 2000 et maintenant ?

À cette époque, mes enfants étaient petits.

Je me levais à 4 h du matin pour préparer. On n’avait pas de glacière ni rien. Je mettais le riz dans un bol en plastique, que je recouvrais d’une nappe, puis je le posais là-bas.

Je partais enseigner à Karfamoriah, à 6 km de Kankan. J’y allais à vélo, car il n’y avait pas de moto à cette époque.

Après les cours, les enfants mangeaient ce que j’avais laissé. C’est mon mari qui restait à la maison pendant que j’allais enseigner.

À Kankan, certains de mes camarades de classe s’endettaient dans les banques ou auprès des crédits ruraux pour acheter des motos.

Après l’école, je partais au fleuve Milo, dans un endroit qu’on appelle Kidding. J’y allais avec mon petit frère pour ramasser du sable que je revendais pendant la saison des pluies, lorsque le sable manquait.

C’est ainsi que j’ai pu acheter ma première moto.

Selon des témoignages, vous êtes une enseignante rigoureuse. Cependant, certains critiquent le fait qu’une enseignante sans bac reste en classe. Que leur répondez-vous ?

Comme le dit notre Prophète, paix et salut sur lui : « L’étude va de la naissance jusqu’à la mort. »

Donc, tout ce qu’on décide, on peut le faire. Rien d’autre.

À travers ce bac, voulez-vous faire passer un message aux femmes ?

Oui. Je lance un appel à toutes les femmes, surtout celles qui ont un âge avancé : l’âge n’est qu’un chiffre.

Il ne compte pas. Quand on est courageuse, on peut tout faire.

L’étude n’est pas réservée à une catégorie.

Cette conviction s’est renforcée grâce à un professeur que j’ai eu à l’université. Il nous a enseigné une matière appelée “changement de mentalité”. C’était un Coréen.

Il nous a dit que rien n’est impossible dans la vie. Tout est possible, il suffit de décider.

Ce cours m’a convaincue que je pouvais continuer mes études. Et jusqu’à présent, je compte aller à l’université. Après, si Dieu le veut, je ferai le master, et ainsi de suite.

Vous nous avez dit, avant l’entretien, que vous avez un frère jumeau, source d’inspiration pour vous. Aujourd’hui, il fait le master. Voulez-vous atteindre son niveau ?

Oui. Je veux être comme mon jumeau.

Il s’appelle Dankouman Condé. Il est actuellement inspecteur régional de la santé à N’zérékoré.

Nous avons commencé l’école le même jour. Mais, étant une femme, je me suis arrêtée. À l’époque, l’homme était plus considéré que la femme, surtout pour les révisions et les études.

Mon jumeau participait à toutes les révisions. Moi, je devais balayer, cuisiner, faire le ménage. Je n’avais pas le temps de réviser. C’est pourquoi il m’a devancée.

Mais j’ai eu la bénédiction de notre mère. Quand je me plaignais, elle me disait : « Même s’il va où, tu vas l’attraper. Tu as ma bénédiction. »

Moi, je faisais tout à la maison. Lui, il avait tout son temps.

Ma mère était commerçante. Après l’école, j’allais au marché pour l’aider, puis je faisais la cuisine. Ensuite, il y a eu le mariage.

Dieu merci, je me suis mariée tôt, mes enfants sont aujourd’hui grands.

Mon jumeau, lui, a poursuivi jusqu’à l’université. Aujourd’hui, il est inspecteur, marié, mais ses enfants sont encore petits. Voilà la différence.

Comment s’est passée votre orientation à l’intérieur du pays ?

J’ai enseigné la première, la deuxième, la troisième, la quatrième jusqu’à la sixième année.

J’étais dans une école à Kankan, “Sans Fil”.

Lors d’une mutation, on m’a affectée à une classe de deuxième année, où je suis restée plus de cinq ans.

J’ai demandé au directeur de changer de niveau, mais il m’a dit qu’il n’y avait plus de place.

J’ai donc quitté cette école pour aller à Kabada. Là-bas, on m’a confié le CM1. Je peux enseigner dans toutes les classes du primaire.

Arrivée à Faranah en 2017, on m’a confié une classe de sixième année à l’école primaire Salélaï Samoura.

C’est cette formation qui m’a amenée à Conakry. Sinon, je suis toujours chargée de la sixième année à Faranah.

Dans certains foyers, la femme n’est pas toujours soutenue. Est-ce votre cas ?

Mon mari n’est pas lettré, mais il m’a soutenue et encouragée. Il n’a jamais été contre ma formation.

Parfois, quand il est énervé, il refuse de se lever tôt pour me retarder un peu. Mais il peut en témoigner aujourd’hui à Faranah : quand il se lève, il fait ce qu’il veut, ensuite il va au travail.

Moi, je prends mon sac et je vais à l’école.

On ne s’est jamais disputés à cause de ça.

Propos recueillis par Mayi Cissé

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