Simandou : à la rencontre du premier Guinéen aux commandes de la locomotive du TransGuinéen (itw exclsive)

il y a 5 heures 31
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Le 11 novembre dernier, les autorités de la transition ont procédé au lancement officiel du méga projet minier Simandou au port de Morébaya, dans la préfecture de Forécariah. Un moment historique, marqué par la présence de plusieurs chefs d’État, dont Paul Kagame du Rwanda et Brice Oligui N’Guema du Gabon, aux côtés du général Mamadi Doumbouya, Président de la transition. Lors de son discours, Djiba Diakité, président du Comité stratégique de suivi du projet Simandou, avait révélé que le premier train de la Compagnie du TransGuinéen avait été conduit par un Guinéen.

Pour en savoir davantage, Guineenews est allé à la rencontre de cet homme qui symbolise une étape importante dans l’appropriation nationale du projet : Roger Sagno, premier conducteur guinéen à avoir pris les commandes d’une locomotive du TransGuinéen. Nous vous proposons ci-dessous l’intégralité de cet entretien.

Guineenews.org : présentez-vous et revenez brièvement sur votre parcours personnel et professionnel ?

Je m’appelle Roger Sagno, je suis actuellement conducteur au sein de la Compagnie du TransGuinéen, originaire de la ville de N’Zérékoré, où j’ai grandi avec la passion pour les métiers techniques comme l’électricité, la mécanique, le ferroviaire et l’informatique. J’ai intégré le domaine ferroviaire en 2021, après avoir terminé ma licence en génie électrique, où j’ai effectué une formation continue de 2 ans dans le ferroviaire, principalement le matériel roulant ferroviaire. Après mon cursus, j’ai effectué mon stage au sein de l’entreprise Winning Consortium en tant que mécanicien de locomotive, avant d’être conducteur de train, où j’ai appris de nouvelles technologies de chemin de fer, la sécurité ferroviaire et les opérations techniques. Grâce à ce parcours, j’ai eu l’honneur d’être le premier Guinéen à conduire le train TransGuinéen, un moment très marquant pour ma carrière professionnelle et pour notre pays.

Guineenews.org : d’où vous est venue votre passion pour le ferroviaire ?

Roger Sagno : ma passion pour le ferroviaire est venue lorsque j’ai effectué mes vacances aller-retour Conakry-N’Zérékoré. Je trouvais que le chemin était long, parfois deux à trois jours, et c’était trop fatiguant. Et sachant qu’avec le chemin de fer, nous pouvons accomplir ça en quelques heures. Donc avec le temps, j’ai compris que le chemin de fer n’est pas seulement un moyen de transport, mais un secteur stratégique pour le développement d’un pays, capable de connecter des régions, créer des emplois et ouvrir des opportunités. C’est cette vision qui m’a motivé à m’investir dans ce domaine pour pouvoir suivre une formation de qualité.

Guineenews.org : à quoi ressemblait votre environnement familial et social à l’époque où vous vous êtes engagé dans ce métier ?

Roger Sagno :  particulièrement, je viens d’un environnement familial et social très modeste, où le respect, le travail, la rigueur, le courage et la discipline sont les valeurs essentielles. Cet environnement m’a construit et m’a toujours poussé à donner le meilleur de moi-même. C’est ce qui m’a permis de réussir dans ce domaine.

Guineenews.org : comment êtes-vous entré dans le secteur ferroviaire ? 

Roger Sagno : je suis rentré dans le secteur ferroviaire, après ma licence en génie électrique, il y avait une sélection rigoureuse pour former des ingénieurs dans le domaine ferroviaire. À l’époque, il y avait une coopération entre l’Université Gamal Abdel Nasser, l’Institut professionnel de train à grande vitesse de Hunan en Chine et l’entreprise SMB Winning Consortium pour former des techniciens guinéens capables d’évoluer dans le domaine ferroviaire. Cela m’a immédiatement intéressé. J’ai suivi la formation pendant 2 ans, principalement dans le matériel roulant ferroviaire, c’est-à-dire les locomotives et le train. Après ma formation, j’ai effectué mon stage à Winning. Mais en ce moment, j’étais comme mécanicien de train. Avec certaines compétences et des qualités au niveau de la langue, ils m’ont proposé de continuer ma carrière du côté de la conduite. C’est ce qui m’a aujourd’hui devenu conducteur de train.

Guineenews.org : Avez-vous rencontré des obstacles particuliers en tant que Guinéen dans ce secteur très technique ?

Roger Sagno : bien sûr, comme pour le secteur très technique, j’ai rencontré des obstacles, particulièrement pendant la formation. En ce moment, nos professeurs n’étaient que des chinois et ils ne parlent que la langue chinoise. Il fallait traduire ce qu’ils expliquaient. Parfois, la traduction n’était pas correcte et on avait des problèmes de compréhension. C’est ce qui m’a même poussé à apprendre la langue chinoise parfaitement, afin de bien comprendre le contenu du cours et pendant aussi le stage, ceux avec qui on travaillait étaient des Chinois. Pour bien comprendre le cours, il fallait la langue chinoise.

Mais ces obstacles m’ont beaucoup appris. Ils m’ont appris la rigueur, la patience et la discipline. Aujourd’hui, je suis fier de pouvoir surmonter ces défis et de montrer que les Guinéens ont les compétences nécessaires pour mener des projets d’envergure internationale.

Guineenews.org : que représentait pour vous le fait d’être le premier Guinéen à conduire le train de la Compagnie du TransGuinéen ?

Roger Sagno :  être le premier Guinéen à conduire le train TransGuinéen du projet Simandou représentait pour moi un immense honneur et une grande responsabilité. Conduire ce train, cela représentait vraiment une certaine responsabilité parce que je savais que ce train incarne le progrès, l’avenir, le développement et les compétences guinéennes. Conduire ce train, c’était contribuer directement à un projet historique et aussi de montrer que les Guinéens ont des compétences nécessaires pour pouvoir mener des projets d’envergure majeure. Donc, je pense que cela a permis de montrer que nous les Guinéens, nous avons les talents, nous avons les compétences de mener et de gérer nos propres projets. Donc, c’était vraiment un immense honneur et je suis fier d’avoir accompli ce devoir national de façon symbolique et comme une fierté nationale.

Guineenews.org : souvenez-vous de votre premier trajet aux commandes ? Où cela s’est-il déroulé et comment avez-vous vécu ces moments ?

Roger Sagno : je me souviens très bien de mon premier trajet aux commandes. C’est un souvenir gravé dans ma mémoire. Dans un contexte d’émotion et d’enjeu. Au moment où je prenais les commandes, cela se déroulait entre la gare de Faranah jusqu’à la mine de Kérouané. Donc, au moment de prendre les commandes, il y avait un mélange d’émotions et d’enjeux. Et je savais que c’était une grande responsabilité et que les gestes comptaient. La sécurité et la précision étaient très essentielles. Voir le train avancer, sentir la machine répondre, c’était vraiment quelque chose d’extraordinaire. Je me suis dit, voilà, nous y sommes. Un Guinéen aux commandes de son propre train. C’était vraiment une fierté. Et une fierté nationale.

Guineenews.org : comment votre entourage (famille, collègues, communauté) a-t-il réagi à cette première ?

Roger Sagno : mon entourage était vraiment fier et plein d’émotions. Ma famille aussi était vraiment pleine de joie et d’émotion. Ils ont fêté ça comme un accomplissement collectif. Parce qu’ils ont toujours soutenu mon parcours. Mes collègues et toute l’équipe ferroviaire étaient très encourageants. Soulignant l’impact de ce projet historique et aussi pour notre métier. Parce que c’était un honneur pour nous de montrer aussi que les Guinéens, dans le domaine de la technologie avancée, avaient des compétences pour pouvoir gérer et être des acteurs qui peuvent donner de l’espoir pour cette nouvelle génération.

Dans ma communauté, les gens étaient vraiment fiers et une source d’inspiration. Parce que voir un jeune guinéen réaliser quelque chose dans un projet historique, je pense que cela a donné beaucoup d’espoir aux jeunes. Et cela peut les motiver aussi à prendre le relais et de continuer l’aventure pour le développement de notre pays.

Guineenews.org : quelles étaient les principales difficultés techniques ou humaines dans la conduite du train ?

Roger Sagno : les principales difficultés techniques et humaines dans la conduite du train, sur le plan technique, déjà nous étions sur une infrastructure nouvelle. Donc cette infrastructure nouvelle était faite de zones montagneuses, des rampes, des courbes exigeantes. Donc, il fallait maîtriser parfaitement le système de freinage et de traction. Et il fallait aussi maîtriser la nouvelle technologie, parce que c’est une technologie avancée.

Maintenant sur le plan humain, je savais que je représentais toute une génération de conducteurs et que le pays tout entier était en train de suivre l’événement et que c’était un moment historique que tout le monde attendait. Donc, on n’avait pas droit à l’erreur. J’ai ressenti une certaine pression et il fallait montrer que nous avons des compétences nécessaires, parce que je représentais en fait toute une génération qui ne doit échouer.

Il fallait ainsi exécuter le système avec précision. Parce que lorsqu’il va y avoir, si vous ne maîtrisez pas parfaitement le système, il peut créer des défaillances devant toute une nation. C’est pourquoi aucune fausse note ne devait être tolérée.

Guineenews.org : quel était le type de trains et de lignes que vous avez conduit ?

Roger Sagno : le type de trains, c’est un train de frein à longue distance, conçu pour transporter les marchandises et le personnel, et principalement les minerais de fer en tant que marchandises. La ligne s’étend sur une distance de 560 kilomètres jusqu’à la mine de Simandou à Kérouané, et sur 650 kilomètres jusqu’à la mine de Beyla, et avec une technologie avancée. Et nous étions une équipe nouvelle sur cette ligne.

La ligne est équipée aussi de systèmes de signalisation et de sécurité automatisée. C’est une ligne à double voie aussi. Ceux qui partent à l’aller, partent à l’aller, ceux qui viennent en retour, viennent en retour.

La ligne englobait beaucoup de systèmes d’automatisation numérique de haute technologie. Il fallait avoir une certaine précision sur tout ce que nous étions en train de faire.

Guineenews.org : pensez-vous avoir ouvert la voie à d’autres Guinéens dans ce secteur ?

Roger Sagno : bien sûr, être le premier Guinéen sur le TransGuinéen n’était pas seulement une réussite personnelle. C’était un message fort pour tout le pays. Des Guinéens ont de la compétence, la formation et la détermination pour occuper ces postes de responsabilité. J’espère que mon rôle montrera aux jeunes et aux futurs conducteurs que le transport ferroviaire en Guinée est une vraie carrière d’avenir, et qu’ils peuvent eux aussi prendre le relais et continuer l’aventure afin de faire avancer l’économie de notre pays.

Guineenews.org : avez-vous une anecdote marquante vécue dans la cabine de conduite ?

 Roger Sagno : oui, bien sûr. Lorsque nous étions en train de rentrer dans la gare de Moribaya, je savais que les autorités, les journalistes, les partenaires du projet étaient présents. Soudain, j’ai eu le sentiment que tout mon système était bloqué, comme si j’allais tout foutre en l’air. Et je savais que c’était beaucoup d’années de travail et qu’il fallait montrer à la nation et au monde que les Guinéens aussi peuvent maîtriser ces nouvelles technologies. Je craignais donc de tout mettre à l’eau.

Guineenews.org : quel moment gardez-vous comme le plus remarquable de votre carrière ?

Roger Sagno : le moment que je garde comme le plus fort de ma carrière… Premièrement, c’est le lancement officiel du TransGuinéen. Parce qu’être le premier conducteur de ce train, symbolise la fierté nationale et l’ouverture d’un nouveau chapitre pour le pays. Ce moment de responsabilité et d’émotion intense avec les autorités, principalement avec Son Excellence Monsieur le Président de la République, général Mamadi Doumbouya et les présidents des pays frères du Rwanda et du Gabon, les médias présents étaient absolument uniques.

Un autre moment fort sont les premiers trajets sur la ligne inexplorée. Donc j’avais vraiment vu la beauté du paysage guinéen. On a vraiment un paysage formidable, parce que d’une région à une autre, la variété du paysage, les collines et les versants, c’était vraiment beau, magnifique à voir.

Guineenews.org : quel regard portez-vous aujourd’hui sur le système ferroviaire guinéen ?

Roger Sagno : aujourd’hui, je porte un regard à la fois fier et plein d’espoir sur le système ferroviaire guinéen. Fier, parce que nous avons réussi à franchir un cap historique avec le lancement du TransGuinéen et l’intégration de nouveaux conducteurs guinéens dans un projet d’envergure internationale. C’est la preuve que notre pays a du talent, de la compétence pour développer les infrastructures modernes.

Mais aussi plein d’espoir, car le ferroviaire est encore en pleine expansion. Il reste beaucoup à faire, former de nouveaux conducteurs, intégrer des jeunes dans les différents domaines, comme l’ingénierie ferroviaire, l’électricité et la communication ferroviaire, entretenir et moderniser la ligne, étendre le réseau pour relier davantage les régions. Je suis convaincu que, pas à pas, sous la direction et la vision du président de la République, son Excellence la général Mamadi Doumbouya et la coordination de monsieur le ministre Directeur de cabinet de la Présidence de la République Djiba Diakité, la Guinée pourra disposer d’un réseau ferroviaire performant, sûr et moteur de développement économique.

Pour moi, le système ferroviaire guinéen n’est pas seulement un moyen de transport, c’est un symbole d’avenir, de progrès, de fierté nationale et de développement pour notre pays.

Guineenews.org : que conseilleriez-vous aux jeunes guinéens qui veulent être cheminots ?

Roger Sagno : pour les jeunes guinéens qui veulent faire carrière dans le métier du rail, je leur dirais avant tout de croire en eux et de viser l’excellence. Parce que le secteur ferroviaire est exigeant, il demande rigueur, discipline, concentration et passion pour le métier. Je les conseillerais aussi de se former sérieusement et de saisir toutes les opportunités de stages et de formations. Et surtout, de garder à l’esprit la sécurité ferroviaire, parce qu’elle est très importante pour leur survie. Et aussi d’être patient et persévérant, car chaque étape du métier demande du temps pour maîtriser la compétence. Rester motivé et discipliné, même face aux défis techniques ou humains, car la responsabilité est grande mais gratifiante.

Guineenews.org : quels sont vos projets ou engagements actuels liés au ferroviaire ou à la transmission de votre expérience ?

Roger Sagno : aujourd’hui, mon engagement va bien au-delà de la cabine de conduite. Je travaille activement à transmettre mon expérience aux nouvelles recrues de conducteurs guinéens. Par des formations au sein de l’entreprise, je conseille parfois certains jeunes motivés pour leur orientation dans le secteur ferroviaire.

J’essaye actuellement de me planifier aussi, afin de prendre des cours dans mon institut d’origine, pour partager mon expérience et ma connaissance. Pour ma part, je continue à m’améliorer du jour au lendemain dans le domaine ferroviaire, par des formations et des certifications, pour être toujours à jour. Parce que le système ferroviaire est en pleine expansion et en pleine évolution.

Donc, il faut toujours maîtriser les nouvelles technologies qui apparaissent, afin d’être toujours à jour et de continuer à partager mon expérience.

Guineenews.org : votre mot de fin ?

Roger Sagno : aujourd’hui, je suis très fier et je remercie pleinement ma famille qui n’a cessé tout le temps de me soutenir dans tout ce que j’entreprends. Je remercie aussi les instituts de formation dans lesquels j’ai été formé, mes encadreurs, mes responsables, et toutes les personnes qui ont contribué à ma formation et qui m’ont conseillé.

Parce que je sais que le chemin n’est pas facile, mais avec des personnes qui te soutiennent, qui te conseillent et qui te donnent le courage parfois lorsque la motivation n’est pas là, ou bien lorsque vous avez une baisse de moral. Vraiment, je remercie toutes ces personnes. Et je rends grâce à Dieu pour sa miséricorde et pour tout ce qu’il m’a permis d’accomplir jusqu’aujourd’hui.

Entretien réalisé par Mohamed Doré pour Guinéenews

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