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« ... Plus tard, des ennuis sont venus à nouveau, troubler ma vie à Conakry, et cette fois, il me fallait quitter le pays pour la sauver… ».
Dans cette deuxième et dernière partie de son interview, Thierno Ibrahima Baldé, nous replonge dans le récit de l’histoire de son riche et intéressant parcours.
Pour sauver sa vie dit-il, à cause des ennuis, qu’il a lui-même cherchés, il opte pour l’aventure. Ce qui le conduit au Sénégal, via Labé-Koundara. Commerçant, vendeur de légumes, laborantin, photographe ambulant à Dakar, il tente, après quelques années, le passage vers l’Europe, à partir de la Mauritanie (Nouakchott-Zouaret-Nouadhibou). Faute de moyens, il ne verra pas l’Europe, mais Dakar lui rouvre ses portes. Il va y passer 10 ans et toujours accroché à son métier de photographe.
De retour au bercail, suivez cet autre parcours de Thierno Ibrahima Baldé, tour à tour, photoreporter au salon du tourisme à Labé, au gouvernorat et à la fédération du même nom, avant d’atterrir au sein du quotidien national Horoya…
Fort de ses expériences, il crée et devient le président fondateur, de l’association des journalistes photoreporters de Guinée (AJPRG).
Un homme, un parcours, une histoire, un métier, découvrez des pans de la vie de ce professionnel, photoreporter à la retraite.
Lisez!
Guineenews : peut-on savoir les ennuis qui s’étaient présentés à vous et comment y aviez-vous fait face?
Thierno Ibrahima Baldé: C’est vrai, que les ennuis étaient venus encore perturber un moment, ma carrière. Mais avant cela, et il est bon et important de le souligner, c’est qu’en 1970, une nouvelle opportunité s’était présentée à moi, et qui a marqué un tournant décisif dans ma carrière. Feu Mamadou Barry, ex-journaliste, directeur de la voix de la Révolution d’alors, était un de mes admirateurs dans ce métier de photographe. Pour cette estime, il m’enverra suivre une formation avec les experts allemands (DDR), dirigés par M. Kurt klunger. J’étais le seul participant, qui ne soit pas venu d’un département, ou d’une direction, pour participer à cette formation.
Guineenews: quelle était la durée de cette formation, et qu’aviez-vous réellement appris de plus, à cette occasion?
Thierno Ibrahima Baldé: La durée de la formation était d’1 mois. C’était une formation professionnelle de pointe, qui m’a permis d’acquérir une large et distincte vision de la photographie. Ce passage aux côtés de ces allemands, a permis, non seulement de renforcer mes compétences techniques, mais aussi ma compréhension du rôle que la photographie peut jouer dans la société, en tant qu’outil de communication, de documentation et d’expression artistique.
Guineenews: Revenons aux ennuis que vous aviez eus à l’époque, et qui vous ont fait quitter le pays ?
Thierno Ibrahima Baldé: Après mon studio photo de Coronthie, je suis revenu par la suite, auprès de mon premier maître Bogard Richard, toujours à Coronthie. Mes ennuis ont réellement commencé, lors de l’organisation d’un séminaire international, initié par l’ambassade de l’Arabie Saoudite, au Palais du Peuple à Conakry. J’ai été recruté, pour prendre des photos lors de ce séminaire. J’en ai aussi profité, pour vendre les photos en devises et gagner plus d’argent. Cela a été découvert par un collègue photographe du bureau de presse de la Présidence, qui, sans tarder, et je ne sais pour quelle raison, a informé le capitaine Diané, qui était le patron du bureau de presse de la Présidence d’alors. La décision fut prise par ce dernier, de me faire disparaître immédiatement. Et c’était le jour de la clôture de ce séminaire, qui devait être présidé, par le Président feu Ahmed Sékou Touré. Heureusement pour moi, ce plan a été élaboré en la présence d’une de mes sûres relations, qui m’alerta par le canal d’un autre policier, qui était du cortège présidentiel.
Guineenews: alerté pour ce qui devrait vous arriver, qu’aviez-vous ensuite fait, pour échapper au plan mis en place ?
Thierno Ibrahima Baldé: aussitôt informé, je me suis arrangé avec les miliciens qui étaient de garde au Palais du Peuple, afin de me trouver un refuge. Ce qui fut fait, moyennant un petit montant en CFA, que je gardais par devers moi, suite à la vente des photos prises au Palais. Je fus caché quelque part, à l’intérieur du Palais du Peuple, pendant 4 jours, sans nourriture ni rien d’autre.
Guineenews : Toute cette histoire s’est passée en quelle année et quelle fut la suite qui en a résulté ?
Thierno Ibrahima Baldé: Cette histoire s’est déroulée en 1970, et plus précisément au mois de juillet, quelques mois avant l’agression du 22 novembre. J’ai été sorti nuitamment de cette cachette, après avoir versé le reste de ma recette de vente des photos du séminaire, à mes bienfaiteurs miliciens. De là, j’ai directement pris la route pour sortir du pays, en direction du Sénégal, via Labé-Koundara. J’ai marché pendant 4 jours en pleine brousse, de Koundara à la frontière, avant d’arriver au Sénégal. J’arrive à Dakar, où j’ai été accueilli par ma tante.
Guineenews : Décidément, cet esprit d’aventurier ne s’éteint pas complètement en vous. Arrivé à Dakar, avez-vous exercé en tant que photographe ?
Thierno Ibrahima Baldé: Je suis arrivé à Dakar le 7 juillet 1970. J’ai effectivement exercé mon métier à Dakar. Mais avant, j’ai commencé à travailler comme vendeur de légumes au marché de Tilleul. Pendant 4 mois, je passais la nuit dans le marché de Tilleul. J’avoue, que cette occupation de vendeur m’a permis néanmoins, de tisser des liens avec la communauté locale et d’apprendre le wolof, qui est la langue principale au Sénégal. A travers mes relations, j’ai obtenu très rapidement un emploi de laborantin dans un studio de photographie, appelé « Galerie d’arts », dirigé par M. Tiff et qui est situé à la rue Bayo, angle Ponty. Je reproduisais les photos de 16 photographes qui travaillent avec ce studio. C’est à ce moment que mes amis m’ont aidé à trouver un appareil photo. Et j’ai commencé alors à travailler comme photographe ambulant. Je partais d’une maison à une autre. C’est pourquoi, je vous dirais sincèrement, que je connais parfaitement bien Dakar.
Guineenews: combien de temps aviez-vous passé à Dakar ?
Thierno Ibrahima Baldé: Je suis resté à Dakar, entre 1970 et 1981. Bien entendu qu’en 1974, l’envie de découvrir l’Europe m’avait tenté.
Guineenews : Racontez-nous cette étape qui vous a donné l’envie d’aller en Europe ?
Thierno Ibrahima Baldé: Effectivement en 1974, après plusieurs années passées à Dakar, j’ai décidé de tenter l’aventure en Europe. J’ai donc quitté le Sénégal pour la Mauritanie, où j’espérais trouver un passage vers l’Europe. De Dakar pour la Mauritanie, je suis venu d’abord à Nouakchott, et à partir de Zouaret, j’ai escaladé le train minéralier pour y rester, pendant 2 jours, jusqu’à Nouadhibou, sans ressources ni papiers. J’étais forcé finalement, de retourner par le même train, jusqu’à Zouaret, une cité minière, située en plein désert. À Zouaret, j’ai travaillé comme blanchisseur pour survivre et en même temps, économiser de l’argent pour pouvoir retourner à Dakar, mon point de départ.
Guineenews : Le rêve européen brisé, Dakar vous rouvre encore ses portes. Alors que va devenir l’aventurier Thierno Ibrahima Baldé ?
Thierno Ibrahima Baldé: Grâce à l’aide des amis rencontrés en cours de route, je parviens à retourner à Dakar. Je suis accueilli par ma famille. Mes amis m’offrent du matériel photographique, qui va me permettre de reprendre mon métier avec plus de passion. Plus tard, grâce à ma sœur Hadja Salima Baldé, dont le mari était le consul à l’ambassade de Guinée au Sénégal, j’ai obtenu le poste de photographe officiel à l’ambassade. Ce qui a consolidé mon statut professionnel, et m’a encore permis de tisser des liens avec des personnes influentes, tout en continuant à approfondir et à développer mon art. J’ai travaillé pendant 10 ans au Sénégal, où j’ai fait preuve de capacité et d’engagement dans mon métier.
Guineenews : Après avoir passé 10 ans à l’étranger, vous décidez finalement de retourner en Guinée. Un autre itinéraire s’en est suivi. Qu’aviez-vous entrepris à votre retour au bercail ?
Thierno Ibrahima Baldé: Je suis revenu en Guinée, avec le ferme engagement de contribuer au développement de la photographie dans mon pays. Quelque temps après mon arrivée, j’ai été appelé par le journaliste Thierno Madyou Bah, pour aller à Labé. J’ai été recruté comme photoreporter au salon du tourisme. Labé fut alors, une autre nouvelle phase de ma carrière. J’ai ouvert un nouveau grand studio, sur la route de la permanence, où j’ai introduit la photographie couleur, qui était une innovation majeure à l’époque. En 1982, je suis devenu photoreporter officiel du gouvernorat de la région et de la fédération. Ce titre m’a permis d’accéder à des événements prestigieux et de côtoyer les plus hautes sphères du pouvoir.
Après Labé, je suis encore revenu à Conakry et c’est en ce moment que feu Mounir Camara, qui a été ancien gouverneur de la région de Labé, m’a fait venir comme photoreporter, au sein de l’organe Horoya, qu’il dirigeait dorénavant.
Guineenews : aviez-vous exercé en tant que fonctionnaire de l’Etat ? Combien de temps aviez-vous passé à Horoya et racontez-nous, votre passage au sein de cette structure ?
Thierno Ibrahima Baldé: je n’ai jamais été fonctionnaire de l’état. J’ai néanmoins servi pendant 3 ans, au sein du journal Horoya. Ce n’était pas du tout beau et aisé de travailler à l’époque à Horoya. Les moyens faisaient défaut, le journal ne paraissait pas régulièrement. Imaginez, pour nos reportages, on se partageait entre 4 photographes, une seule bobine de pellicule pour les photos. Les conditions de travail étaient nettement dérisoires.
Guineenews : Malgré toutes ces conditions dénoncées, vous êtes quand même resté pendant 3 ans. Qu’est ce qui a réellement motivé votre départ de ce quotidien national ?
Thierno Ibrahima Baldé : Évidemment, c’est à ma troisième année de service que j’ai démissionné. La cause principale fut l’abandon de la famille d’un de nos collègues photoreporter, du nom de Moussa Camara (paix à son âme), qui a été écrasé par un char blindé, lors d’une manifestation à la place des martyrs. La hiérarchie a été incapable de ramener la famille du défunt dans sa région natale. En plus de nos conditions de travail, ce cas m’a particulièrement touché, et je me suis dit alors » quand la case de ton voisin brûle, … ». Allez comprendre le reste.
Guineenews : Il est indéniable que vous tendez aujourd’hui vers la fin de votre carrière, avec une riche expérience et des compétences acquises au fil des années. Qu’est-ce que ce métier vous a-t-il apporté d’autres, durant tout ce parcours ?
Thierno Ibrahima Baldé: vous parlez de richesses, d’expériences et de compétences, c’est sûr que ce sont des acquis, indiscutables, que nous possédons aujourd’hui. Il faut y rajouter, les rapports humains que ce métier de photographe m’a procurés, et qui sont indispensables dans la vie de l’être humain. A vrai dire, de l’argent, je n’en ai pas eu, du matériel non plus. Je suis encore piéton, mais Dieu merci, j’ai au moins un abri, où se trouve ma famille. Vous savez, il y a des métiers, que l’on pratique, sans que ça soit, à cause de l’argent. Avez-vous vu quelque part dans ce monde, un photographe riche? C’est rare ou même inexistant.
Guineenews: Qu’est-ce que vous comptez laisser pour la postérité ?
Thierno Ibrahima Baldé: Pour le moment, c’est certainement un livre, que je suis en train d’écrire sur mon parcours, avec la collaboration de la maison Harmattan Guinée. Cette maison est bien engagée sur cette voie, pour me célébrer, comme vous le faites maintenant pour moi, à travers cette interview.
Guineenews: Quelles sont actuellement, vos sources de revenus ?
Thierno Ibrahima Baldé: Je n’ai pratiquement aucune source de revenu, à part les rapports humains.
Guineenews: N’êtes-vous pas affilié au BGDA, où à d’autres structures qui pourraient vous procurer des revenus?
Thierno Ibrahima Balde : Je ne suis pour le moment pas affilié à une structure donnée, puisque qu’aucune de mes œuvres n’a encore été déclarée. Pour bientôt, avec Harmattan Guinée, avec la sortie de mon livre, je serai en mesure d’avoir des retombées. Mais le plus important pour moi, c’est d’immortaliser mon passage, mon parcours sur terre. Nous sommes en train de nous organiser au sein de notre association pour créer un site Web, afin de vulgariser nos différentes et gigantesques œuvres, qui dorment dans les tiroirs.
Guineenews: Président fondateur de l’association des journalistes photoreporters de Guinée, parlez-nous de la création de cette association et de ses objectifs ?
Thierno Ibrahima Balde: forts de toutes nos expériences, et avec le soutien de plusieurs de mes collègues photoreporters, nous avions créé en 2009, cette association dénommée l’AJPRG (Association des journalistes photoreporters de Guinée). Elle a été agréée par le Ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation. C’est une association qui fédère plusieurs photographes guinéens, en vue de défendre leurs intérêts et de promouvoir la photographie, comme un art à part entière. L’association est reconnue par la Haute autorité de la communication (HAC), et nous sommes membres du conseil d’administration (CA) de la maison de la presse. Ma participation aux nombreux événements internationaux dans la sous-région, au Mali, en Gambie, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, a permis de développer ce réseau et de s’inspirer des pratiques et des structures mises en place dans ces pays. Au fait, notre objectif est clair: défendre les droits des photographes, offrir des formations continues pour améliorer leurs compétences et sensibiliser le public sur l’importance de photographie dans la société.
Guineenews: Merci M Baldé, de nous avoir accordé de votre temps
Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guineenews.