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La question de la langue en Guinée, essentielle pour l’identité nationale et la gestion de la diversité culturelle, est aujourd’hui d’une actualité brûlante. Bien que le français reste la langue officielle, facilitant la communication interethnique, les langues nationales se révèlent de plus en plus comme des symboles de dignité et de préservation culturelle. L’initiative proposée par Alioune Bah, directeur du Master Philosophie à l’Université de Sonfonia, qui vise à ériger le Sosso (ou Sosokhoui) au statut de langue officielle, pourrait être examinée par le Conseil National de la Transition (CNT). Contrairement à ce que laisserait supposer un renvoi à des études préalables et des analyses prolongées, il est décisif d’agir maintenant pour inscrire cette proposition dans la constitution en cours de rédaction. Le moment est opportun et l’initiative ne doit pas être différée à un avenir incertain.
La diversité linguistique en Guinée est indéniable, avec des langues comme le Sosso, le Malinké, le Poular et le Guerzé… qui coexistent dans le quotidien des Guinéens. Le français, héritage de la colonisation, reste la langue de l’administration, de l’éducation et du commerce. Pourtant, ce monopole marginalise souvent les langues locales, réduites à un usage familial. En ce sens, Alioune Bah défend que le Sosso, selon les études, est la langue la plus plébiscitée par la population guinéenne et mérite d’être officialisée aux côtés du français.
Il est important de rappeler l’expérience de la première République, où huit langues nationales avaient été érigées en langues officielles. Bien que cette initiative ait été audacieuse dans l’intention de valoriser la diversité linguistique, elle s’est révélée irréaliste en raison de la taille du pays et des défis qu’elle posait à la préservation de l’unité nationale. L’officialisation simultanée de plusieurs langues a montré ses limites, soulignant la nécessité de trouver un équilibre entre la promotion des langues nationales et la préservation de la cohésion nationale.
L’adoption du Sosso comme langue officielle contribuerait à réhabiliter les langues nationales dans la vie publique en leur conférant un rôle central. Cela renforcerait également la dignité culturelle des populations qui l’utilisent et créerait un lien plus fort entre l’État et ses citoyens. En inscrivant cette langue dans les institutions, la communication entre l’administration et la population serait facilitée, notamment pour ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment le français.
Un autre aspect clé à souligner est le rôle prépondérant du Sosso dans la capitale Conakry. Aujourd’hui, le Sosso est la principale langue parlée à Conakry, en faisant un outil unificateur dans la plus grande ville du pays. À ce titre, le Sosso joue pour la Guinée un rôle comparable à celui du Wolof au Sénégal, où cette langue est devenue une véritable langue de convergence, parlée par la majorité de la population. Le Wolof, bien qu’issu d’une ethnie spécifique, s’est imposé comme une langue nationale renforçant l’unité du pays tout en respectant sa diversité culturelle.
L’officialisation du Sosso a aussi des implications politiques. Pour le CNT, qui rédige actuellement la nouvelle constitution, ce serait une belle opportunité unique d’inclure cette proposition afin de renforcer l’unité nationale à travers la diversité culturelle. Cela enverrait un message fort sur l’importance des langues nationales dans la construction de l’État guinéen. La décision d’ériger le Sosso en langue officielle devrait être inclusive afin d’éviter que cette initiative ne soit perçue comme une imposition d’une langue régionale.
L’adoption du Sosso ne se limiterait pas à un changement symbolique. Elle nécessiterait des investissements dans la formation des enseignants, la production de manuels, et la normalisation de la langue dans ses usages officiels.
Sur le plan économique, intégrer le Sosso et d’autres langues nationales dans les services publics pourrait améliorer leur efficacité. De nombreux Guinéens rencontrent des difficultés dans l’accès aux services publics en raison de la barrière linguistique liée à une maîtrise insuffisante du français. L’usage du Sosso, une langue vernaculaire plus proche de la population, pourrait ainsi renforcer l’interaction entre l’État et les citoyens, tout en améliorant la prestation des services publics.
Cependant, la mise en œuvre de cette réforme exige une réelle volonté politique et des ressources financières considérables. L’État guinéen, avec l’appui de partenaires internationaux, devra investir dans la formation des enseignants, l’élaboration de manuels et la création de médias en langues nationales pour garantir le succès de cette transition.
En conclusion, l’expérience positive du Sénégal, qui a fait du Wolof une langue centrale sans compromettre la diversité culturelle du pays, montre que l’officialisation d’une langue nationale peut renforcer l’identité et l’unité. L’officialisation du Sosso, soutenue par des actions concrètes, est un projet visionnaire qui redéfinirait la politique linguistique en Guinée. Cette initiative ne doit pas rester à l’état d’une idée lointaine, mais être portée par le CNT avec fermeté et rapidité. Il est essentiel que cette réforme ne soit pas renvoyée aux calendes grecques, mais inscrite dès maintenant dans le processus de refondation constitutionnelle pour transformer positivement l’avenir linguistique et culturel de la Guinée.
Aboubacar Makissa CAMARA