Du quartier à la nation : comment investir dans la jeunesse pour bâtir la Guinée de demain (par Yakouba Konaté)

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La jeunesse guinéenne déborde d’énergie, de créativité et d’ambition. Dans les quartiers de Conakry, comme dans les rues de Kankan, N’Nzérékoré ou Labé, on trouve des jeunes capables de créer des applications, de gérer des ateliers, de lancer des marques de vêtements, de réparer des machines ou d’organiser des mobilisations citoyennes. Pourtant, faute de structure réelle d’accompagnement et d’horizons clairs, ce potentiel reste en grande partie inexploité.

D’après les données de l’Institut National de la Statistique, plus de 70 % de la population guinéenne a moins de 30 ans, et près de 60 % des jeunes actifs sont sans emploi stable ou sous-employés. Chaque année, ce sont plus de 300 000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail, mais moins de 15 % trouvent un emploi formel. Par conséquent, le chômage et le désespoir s’installent. Beaucoup finissent dans l’informel, d’autres dans la migration clandestine, ou sombrent peu à peu dans la résignation.

Pourtant, cette situation n’est pas une fatalité. En effet, dans plusieurs pays d’Afrique, des initiatives innovantes ont montré qu’il est possible de transformer l’énergie des jeunes en un puissant levier de développement.

Par exemple, au Sénégal, le programme PSE Jeunes a permis de financer, entre 2018 et 2023, plus de 15 000 projets entrepreneuriaux portés par des jeunes dans les secteurs de l’agriculture, du numérique ou des services. De même, au Rwanda, les Youth Empowerment Centers offrent à des jeunes non scolarisés ou en situation de chômage la possibilité de se former gratuitement à des métiers techniques en trois à six mois. Cette politique a permis de réduire de 25 % le taux de chômage des 18–25 ans en six ans. Par ailleurs, au Ghana, le PresidentialBusiness Support Program a accompagné, entre 2018 et 2021, plus de 20 000 jeunes entrepreneurs issus majoritairement des zones rurales et périurbaines.

Dès lors, on peut légitimement se demander, pourquoi la Guinée ne suivrait-elle pas cette voie ? Il devient impératif de changer notre manière d’aborder la jeunesse, non plus comme un groupe vulnérable à gérer, mais comme le socle stratégique de la reconstruction nationale. Cela suppose, en amont, un investissement ciblé dans l’identification, la formation et la valorisation des talents, notamment ceux issus des quartiers populaires, des zones rurales et des zones minières.

Dans cette optique, plusieurs mesures concrètes peuvent être envisagées. D’abord, il serait judicieux de créer des Centres territoriaux d’innovation citoyenne dans chaque région, adossés aux conseils régionaux. Ces espaces auraient pour mission de former les jeunes aux compétences utiles comme l’artisanat, l’industrie légère, le numérique, l’agriculture intelligente, la maintenance… tout en les accompagnant dans leurs projets. En complément, ils pourraient servir de lieux de coworking, d’ateliers de prototypage ou encore de studios multimédias. Le coût estimé pour chaque centre se situe entre 1 et 2 milliards GNF, soit environ 20 milliards pour une couverture pilote à l’échelle nationale.

Ensuite, il conviendrait de lancer un Fonds national pour les talents jeunes, cofinancé par l’État, les bailleurs de fonds et les entreprises privées, notamment celles du secteur extractif. Ce fonds viserait à soutenir les projets à fort impact local et financerait également des bourses de mérite communautaire et des prix pour les initiatives citoyennes, agricoles ou technologiques. À titre indicatif, financer 5 000 jeunes par an avec une dotation moyenne de 10 millions GNF nécessiterait un budget annuel d’environ 50 milliards GNF.

En parallèle, il est essentiel de mettre en place une plateforme numérique nationale d’identification des jeunes talents, afin de recenser, suivre et connecter les jeunes porteurs d’initiatives aux opportunités de formation, de financement et de mentorat. Un tel système de traçabilité permettrait non seulement d’éviter les duplications, mais aussi d’améliorer la coordination et l’impact des politiques publiques.

De surcroît, l’État pourrait réserver au moins 20 % des marchés publics communaux et préfectoraux à des jeunes entrepreneurs de moins de 35 ans, regroupés en coopératives ou en TPE locales, notamment dans les secteurs comme les travaux publics légers, l’environnement, la logistique ou le numérique. Cette mesure, testée avec succès au Kenya, a permis de générer une dynamique locale d’emploi durable.

Enfin, il serait pertinent d’instituer dans chaque commune des conseils locaux de la jeunesse, avec une représentation par quartier, pour faire remonter les besoins, participer à la définition des politiques locales, et encourager l’engagement civique des jeunes dans les affaires publiques.

L’enjeu est immense. Redonner espoir à une génération ne relève pas seulement d’un impératif social ou économique, c’est une question de stabilité, de cohésion nationale, et d’avenir collectif. Une jeunesse sans perspectives devient vulnérable à la manipulation politique, à la violence ou à l’exil. À l’inverse, une jeunesse valorisée devient force d’innovation, de paix et de croissance.

Il ne faut donc pas attendre que le changement vienne uniquement des institutions centrales ou des grands projets. Il viendra des jeunes de Lambanyi, de Taouyah, de Kolaboui, de Timbi-Madina, de Lola ou de Mandiana, s’ils sont vus, écoutés, formés et soutenus. Investir dans leurs talents, c’est investir dans la Guinée de demain. Il ne s’agit plus d’un choix stratégique, il s’agit d’un devoir national.

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Yakouba Mariame KONATE

Doctorant en Administration des Affaires

(Partenariats Public-Privé, politique industrielle & Développement minier)

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