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Résumé
La bonne gouvernance financière repose sur la transparence, la discipline budgétaire et l’optimisation des ressources publiques [17][18]. En Guinée, les EPAs – entités autonomes créées pour gérer des missions d’intérêt public ou des segments stratégiques de l’économie – occupent une place centrale dans la mobilisation et l’utilisation des fonds publics. Parmi eux, les cinq plus importants par poids financier représentent à eux seuls plus de 70% des flux extrabudgétaires, avec des recettes annuelles unitaires comprises entre 450 et 2 100 milliards GNF [1][2][3]. Ces entités, actives dans les secteurs de la santé publique, de la protection sociale, de l’hydro énergie, du portuaire, et des opérations logistiques, disposent d’une autonomie de gestion qui leur permet de percevoir et de dépenser directement leurs revenus, souvent en dehors du périmètre budgétaire de l’État [22].
En 2023, le cumul des recettes brutes générées par ces cinq EPAs a dépassé 5 600 milliards GNF, dont près de la moitié – soit 2 835,86 milliards GNF, l’équivalent de 12% des recettes publiques totales – n’a pas été reversée dans le Compte Unique du Trésor (CUT). Cette fragmentation des flux financiers engendre des pertes directes pour l’État, évaluées à 180 milliards GNF en charges d’intérêts liées au recours à des emprunts à court terme pour compenser les tensions de trésorerie. Ces ressources, si elles avaient été intégrées au CUT, auraient permis de financer des investissements structurants tels que 1 200 km de routes bitumées, 300 centres de santé modernes ou 4 000 salles de classe équipées [4][5]. La situation traduit un paradoxe:alors que la Guinée affiche une volonté politique de renforcer la discipline budgétaire [20][24], une part significative des ressources publiques échappe encore à la centralisation et à la traçabilité.
Les institutions financières internationales, notamment le Fonds monétaire international (FMI) [6] et la Banque mondiale [10], insistent sur l’importance de l’unicité de caisse comme pilier de la bonne gouvernance financière. Les expériences réussies d’autres pays africains – qui ont adopté une centralisation stricte des recettes publiques, y compris celles des EPAs, au sein d’un CUT opérationnel – montrent que cette réforme favorise non seulement la transparence et la réduction des risques de corruption [21], mais aussi une meilleure allocation des ressources en fonction des priorités nationales [23]. Dans le contexte guinéen, où la mobilisation des ressources internes reste un défi majeur et où les besoins en infrastructures, santé et éducation demeurent criants, l’intégration effective des flux des EPAs dans le CUT apparaît comme une condition sine qua non pour soutenir un développement économique durable et souverain.
Cadre conceptuel et normatif
L’unicité de caisse repose sur un principe fondamental: toutes les ressources publiques doivent être centralisées dans un Compte Unique du Trésor (CUT) [5]. Ce mécanisme, largement promu par le FMI, vise à optimiser la gestion de la trésorerie publique, à réduire les coûts d’endettement et à accroître la transparence des opérations financières. Dans le modèle du CUT, les fonds des entités publiques sont logés dans un compte principal géré par la Banque centrale, avec des sous-comptes virtuels permettant d’identifier les recettes et dépenses propres à chaque entité [15].
La traçabilité des flux financiers est l’autre pilier de la bonne gouvernance financière. Elle consiste à suivre, de manière continue et documentée, chaque mouvement de fonds, depuis sa collecte jusqu’à son utilisation finale. Des systèmes intégrés comme le SIGFIP, déjà en usage en Guinée, peuvent être renforcés par des modules spécifiques pour les EPAs, assurant ainsi une remontée en temps réel des données financières [16]. L’INTOSAI [16] insiste sur l’importance d’une interopérabilité complète entre les systèmes d’information pour garantir la fiabilité et la transparence des données.
Le cadre légal guinéen établit déjà les bases nécessaires. La Loi organique relative aux lois de finances (LOLF) [6] et le Code de transparence dans la gestion des finances publiques [6] imposent l’unité budgétaire et la présentation exhaustive des recettes et dépenses publiques. Toutefois, dans la pratique, l’autonomie financière accordée aux EPAs est souvent interprétée comme la possibilité de conserver des recettes propres sur des comptes bancaires hors CUT, sans intégration rapide au budget national [7].
Les meilleures pratiques internationales montrent que l’unicité de caisse et la traçabilité ne sont pas seulement des outils techniques, mais aussi des instruments de politique publique [17]. Elles contribuent à renforcer la discipline budgétaire, à améliorer la planification financière et à accroître la confiance des investisseurs et des partenaires internationaux [8][10][18].
Diagnostic de la situation en Guinée
En 2023, la Guinée a mobilisé 23 632,14 milliards GNF de recettes totales, y compris les Bons du Trésor assimilables (BAS) [1]. Toutefois, environ 12% de ces recettes, soit 2 835,86 milliards GNF, sont restées hors CUT. Cette situation a été confirmée par des inspections du Ministère du Budget, qui ont identifié plus de 350 comptes bancaires actifs détenus par les EPAs hors CUT [7]. Les évaluations récentes du PEFA [24] et des missions du FMI [20] confirment cette fragmentation persistante du système financier public.
La dispersion des flux financiers a plusieurs effets directs. Premièrement, elle crée un déficit de trésorerie artificiel, obligeant l’État à émettre des emprunts à court terme pour financer des dépenses courantes. En 2023, les charges d’intérêts liées à ces emprunts se sont élevées à environ 180 milliards GNF [3]. Deuxièmement, elle réduit la capacité de l’État à financer ses projets prioritaires, retardant ainsi la réalisation d’infrastructures essentielles dans les secteurs des infrastructures économiques, de la santé, de l’éducation et des transports [4].
Les effets indirects sont tout aussi préoccupants. La fragmentation des caisses affaiblit le contrôle interne et rend plus difficile la détection des irrégularités [21]. Elle nuit également à la crédibilité de la Guinée auprès des PTF, qui conditionnent souvent leur appui budgétaire global à des garanties de discipline financière [19]. En conséquence, la Guinée risque de voir ses financements extérieurs se concentrer sur des projets spécifiques, plutôt que sous forme de soutien budgétaire global.
À long terme, le maintien du statu quo coûtera à la Guinée plus de 15 900 milliards GNF sur cinq ans [8]. Ce montant représente l’équivalent du financement intégral d’un programme national de modernisation des infrastructures routières, sanitaires et éducatives, tel qu’envisagé dans les stratégies de développement continental [23].
Projections d’impact
Les projections financières montrent qu’une réforme visant à intégrer la totalité des flux des EPAs au CUT peux générer des gains substantiels. En se basant sur une croissance annuelle des recettes publiques de 6%, l’intégration progressive (80% la première année, 100% la deuxième) permettra de dégager un capex additionnel cumulé de 4 700 à 5 000 milliards GNF sur cinq ans [13]. À cela s’ajoutent des économies d’intérêts de 400 à 600 milliards GNF [15].
L’impact macroéconomique est aussi considérable. En appliquant un multiplicateur budgétaire de 1,3 [9], les investissements publics additionnels générés par la réforme peuvent accroître le PIB de +1,3 à +1,8 point par an, soit un gain cumulé de 6 000 à 6 500 milliards GNF en deux ans. Ces ressources permettront de financer des projets à fort rendement socio-économique, tels que la construction de routes, d’écoles et de centres de santé, conformément aux objectifs de développement durable [23].
L’analyse coût-bénéfice montre que le retour sur investissement de la réforme sera quasi immédiat. Les coûts de mise en œuvre (infrastructure IT, formation, audits) sont estimés à 3,5-5,0 millions USD, largement compensés par les gains annuels en capex et en intérêts évités [15][16]. De plus, la réforme renforcera la transparence et réduira les opportunités de corruption, répondant ainsi aux préoccupations soulevées par l’Union africaine [21] et les organisations de la société civile [19].
Le principal risque réside dans la résistance au changement de certains EPAs, attachés à leur autonomie de gestion et aux vieilles habitudes qui prônent l’opacité dans la gestion des ressources. Ce risque peut être atténué par des mesures incitatives, telles qu’un accès prioritaire aux décaissements pour les EPAs conformes, et par des sanctions graduées pour les entités récalcitrantes [14], en s’inspirant des réformes de gestion publique déjà mises en place par le gouvernement [22].
Expérience Internationales et Perspectives pour la Guinée
L’expérience du Rwanda qui a adopté une approche plus rapide, intégrant toutes ses entités publiques au CUT en seulement deux ans (2017–2018) fait école. Cette réforme a permis un gain de 1,2 % du PIB/an, une réduction de 30% des charges d’intérêts et une amélioration notable du délai moyen de paiement des fournisseurs publics (passé de 60 à 28 jours) [11][14].
Plus proche de la Guinée, le Sénégal est aussi un cas pratique particulièrement instructif. Entre 2015 et 2020, ce pays a intégré progressivement ses agences et établissements publics au CUT, atteignant 100% d’intégration en 2020. Les résultats ont montré un gain budgétaire annuel équivalant à 0,7 % du PIB, une diminution de 25% des intérêts ainsi qu’une réduction de 27% des arriérés intérieurs [10][13].
Le Ghana, confronté à une fragmentation extrême (plus de 10 000 comptes publics), a mené une réforme radicale entre 2016 et 2018, fermant plus de 7 000 comptes bancaires et intégrant 95% des entités publiques au CUT. Les gains ont été de 0,9 % du PIB/an et les charges d’intérêts ont baissé de 20% [12].
Ces exemples montrent que la Guinée a un potentiel de gains d’au moins 1 point de PIB/an en cas d’intégration complète des EPAs au CUT. La clé du succès réside dans un phasage stratégique, un cadre légal strict, une interopérabilité technique et une communication efficace pour obtenir l’adhésion des acteurs [14][15]. Les principes de gouvernance budgétaire de l’OCDE [17] et les standards d’intégrité publique [18] fournissent un cadre méthodologique éprouvé pour conduire cette transformation.
La mise en œuvre effective de l’unicité des caisses et de la traçabilité intégrale des flux financiers des EPAs ne relève pas d’une simple réforme technique: elle constitue un acte fondateur de souveraineté budgétaire et de justice économique. Les analyses chiffrées démontrent que les pertes directes et indirectes liées à la fragmentation des caisses atteignent des niveaux préoccupants, se chiffrant en milliers de milliards de GNF par an, ce qui compromet gravement la capacité de l’État à financer ses priorités stratégiques. À l’inverse, la centralisation stricte de ces ressources au sein du Compte Unique du Trésor (CUT) permettra non seulement d’améliorer significativement la trésorerie publique, mais aussi de réduire le recours à un endettement coûteux, de mieux orienter les dépenses vers les besoins essentiels et de renforcer la transparence vis-à-vis des citoyens comme des partenaires financiers internationaux. Les exemples réussis d’autres États africains confirment que, lorsqu’elle est conduite avec constance et rigueur, cette réforme agit comme un multiplicateur de crédibilité, de stabilité et de performance économique à long terme.
Dans ce contexte, les autorités nationales, qui ont déjà engagé des réformes structurelles en matière de gouvernance financière et de discipline budgétaire, disposent d’une fenêtre d’opportunité pour parachever cette transformation. L’intégration complète des recettes des EPAs dans le CUT ne constitue pas seulement une exigence technique ou un alignement sur les standards internationaux: elle s’inscrit au cœur même des responsabilités régaliennes du dirigeant. Au sens classique du terme, le « prince », en droit administratif, doit garantir l’unité, veiller à l’intégrité des ressources publiques et orienter leur utilisation vers la consolidation du bien commun. Achever cette mission, c’est inscrire durablement la Guinée dans le cercle restreint des nations africaines ayant su transformer leurs ressources internes en leviers de développement soutenable et de souveraineté économique affirmée. C’est aussi envoyer un signal fort, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, que la réforme de l’État ne s’arrête pas aux intentions, mais se matérialise par des résultats concrets, mesurables et irréversibles, au service exclusif de la Nation.
Adama Guilavogui, Ph.D., JD
Références
L’article Bonne gouvernance et traçabilité financière des EPAs en Guinée (Par Adama Guilavogui) est apparu en premier sur Mediaguinee.com.