Abdoulaye Bah : “Les Guinéens ne vont pas accepter que le pouvoir soit pris en otage”

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Dans cette interview accordée à Guinee360, l’ancien président de la délégation spéciale de Kindia s’est prononcé sur la conduite de la transition guinéenne. Abdoulaye Bah alerte le CNRD sur les conséquences d’un éventuel glissement du chronogramme de la transition. Concernant le remplacement des maires par des délégations spéciales et le redécoupage des communes rurales et urbaines, le conseiller politique de Cellou Dalein Diallo affirme que le régime actuel n’a pas la légitimité de faire ce travail. S’agissant du séjour prolongé du leader de l’UFDG à l’étranger, Abdoulaye Bah précise que Cellou est en dehors du pays parce qu’il ne fait pas confiance en la justice guinéenne. Lisez!

Guinee360.com : nous sommes à 11 mois de la fin de la transition conformément au chronogramme signé entre la Guinée et la CEDEAO. Est-ce que vous croyez au respect de ce chronogramme?

Abdoulaye Bah : tout dépend de la capacité de mobilisation et de la détermination des forces politiques et sociales de la Guinée, à le faire respecter par le CNRD. Tout est question de rapport de force dans le domaine politique. Le chronogramme c’est pour la Guinée ce n’est pas pour un individu, c’est pour que les Guinéens soient appelés à se prononcer sur le choix de leurs gouvernants qui seront issus des urnes. Je pense que ce n’est pas le CNRD qui a le choix du respect du chronogramme, il est obligé de le respecter comme tout autre engagement mérite respect. Et c’est ce qui d’ailleurs induit le concept de responsabilité. Donc, les forces vives guinéennes doivent en être conscientes pour que ce chronogramme soit absolument respecté, pour que nous puissions aller aux élections.

Quel moyen avez vous pour faire respecter le chronogramme ?

Les moyens que nous avons, c’est des moyens légaux. Les acteurs sociopolitiques guinéens, tous les démocrates, tous les Guinéens imbus de respect des lois guinéennes, de la justice, de la liberté de choisir ses gouvernants, doivent se lever à travers la pression médiatique, à travers la pression sociale et si possible des manifestations pacifiques, à travers des pressions internationales au niveau des ambassades ici et au niveau des institutions régionales et internationales pour que le CNRD soit obligé de respecter l’engagement qu’il a signé en toute indépendance au compte de la Guinée avec la CEDEAO. Voilà ce que nous devons faire pour que nous puissions aller aux élections dans les plus brefs délais conformément à ce chronogramme.

Pour vous quelles sont les conséquences d’un glissement de chronogramme en Guinée ?

Les conséquences d’un éventuel glissement qui n’est pas souhaitable, à mon sens, c’est une crise politique grave parce que le pays sera ingouvernable. Les citoyens ne vont pas accepter que le pouvoir soit pris en otage par un groupe d’individus non élus. La démocratie passe par l’élection des gouvernants par des gouvernés. C’est ce qui amène la paix, c’est ce qui amène l’entente, c’est ce qui amène la cohésion et c’est ça la logique de la démocratie. Nous, à l’UFDG, nous espérons que la raison va prévaloir sur les passions pour éviter encore à la Guinée une crise politique grave parce que les forces politiques et sociales ne vont pas accepter que le chronogramme soit violé. Parce qu’il est question d’engagements spéciaux.

Le gouvernement envisage de remplacer les maires par des délégations spéciales. Comment vous comprenez cette démarche?

La question des délégations spéciales est illégale. Le Code des collectivités guinéens est bien précis, les communes ou les mairies en Guinée sont meublées par des conseillers élus, issus d’élections locales. Ce sont les citoyens qui sont appelés à choisir, à travers les urnes, leurs gouvernants locaux. On ne peut pas remplacer des citoyens élus par des gens nommés. Les communes ne sont pas dirigées par des gens nommés. C’est cela la loi guinéenne conformément aux critères d’élections au sein des communes. Ce n’est pas du tout acceptable, il faut plutôt trouver des conditions techniques, financières et humaines pour aller aux élections. Deux ans de transition sont largement suffisants pour pouvoir appeler les citoyens à des élections communales pour un début, puis, aller aux élections législatives et enfin à la présidentielle. Donc, cela n’est pas acceptable, en tout cas au niveau de l’UFDG, il faut appeler les autorités à organiser les élections, le plus rapidement que possible, pour que les citoyens décident qui va être leurs gouvernants dans leurs localités respectives.

Au même moment, le CNT a adopté la loi sur la création de nouvelles communes urbaines et rurales. Est-ce que vous êtes convaincu par les arguments du MATD sur ce redécoupage ?

Le CNT qui a adopté une loi concernant la division des communes de Conakry et périphéries, est illégale. Le CNT n’est pas une assemblée parlementaire élue. C’est des individus provenant des organisations nationales qui ont été nommés par décret, certains même ont été remplacés par d’autres que les autorités ont imposé. Donc ce n’est pas à eux de diviser les communes. Dans les conditions normales, c’est une assemblée élue par le peuple qui est habilité, qui a le pouvoir de faire une répartition pareille parce qu’elle rentre dans le cadre de la loi. Il est question de créer des institutions décentralisées et ça, ce n’est pas des gens nommés qui ont le pouvoir de faire ça. Mais qu’est-ce que vous voulez? C’est la Guinée, ça fonctionne toujours comme ça. Deuxièmement, nous avons déjà un problème de gestion de ce qui existe, à savoir les 342 communes rurales et urbaines, certaines n’ont même pas de mairies, d’autres n’ont même pas de receveur communal, de secrétaire général, de secrétaire administratif, du personnel suffisant comme le cas de Kindia ici. Je connais le problème qui se trouve au niveau des communes rurales de Bangouya, de Mambia, de Friguiagbé, de Madina Woula, de Linsan, de Souguéta, de Kolentin et de Damakania. Ces communes là n’ont pas un personnel politique administratif compétent pour pouvoir gérer la vie politique locale. On va en rajouter d’autres, c’est de créer de nouveaux problèmes, qui vont s’ajouter aux problèmes existants, parce qu’il y a déjà une incapacité des autorités à assister les mairies urbaines et rurales à s’autogérer. Donc, il faut plutôt réfléchir à des solutions réalistes et réalisables, on ne peut pas gérer un Etat avec des pulsions ou des passions.

Des observateurs pensent que le leader de l’UFDG doit rentrer en Guinée pour faire face à la justice. Est-ce que son maintien en exil ne risque pas d’écarter sa candidature à la présidentielle ?

Le président Cellou rentrera en Guinée. Vous savez, c’est du bon sens, lorsque vous avez été injustement privé de votre domicile, alors que la justice a été incapable de trancher, parce qu’elle est téléguidée et elle est sous ordre. Je pense que lorsque cela arrive, le bon sens doit prévaloir sur l’imprudence. Donc le président Cellou est en dehors du pays pour des questions de sécurité. Cela aurait pu être fait par tout autre citoyen. Mais quoiqu’il arrive, il rentrera en Guinée pour mener ses activités politiques. Quant à cette justice, on a vu ce que M. Charles Wright a dit par rapport au fonctionnement de la CRIEF. Quelle justice ! Elle est décrédibilisée aujourd’hui. Le premier magistrat de la justice a fait un verdict très sévère contre l’institution qu’il dirige. C’est le cas de la CRIEF qui n’est pas une institution banale. Ça montre que ce qu’on appelle justice en Guinée n’a que de nom. Donc si le premier responsable de cette justice fait un procès aussi grave sur l’institution qu’il dirige, qui peut porter confiance en cette institution?.

Macky Sall vient de reporter l’élection présidentielle à Dakar. Quelle lecture faites-vous de la situation politique au Sénégal?

Macky Sall va créer une instabilité politique dans son pays. Il risque de briser l’élan démocratique crée par Abdoulaye Wade, son prédécesseur, qui avait tenté aussi mais qui est sorti par la petite porte. Son mandat est fini, il doit partir, mais nous avons l’impression que ce Monsieur là aussi ne veut pas partir. Il faut que la force populaire lui fasse comprendre que le Sénégal n’est pas sa propriété privée, familiale. Mais c’est toujours comme ça, les dirigeants africains, ils ne respectent pas leurs engagements après ils sortent en pleurant. Sinon, nous avons vu un exemple extraordinaire au Libéria, où George Weah a fait un mandat de 5 ans, il a perdu sur le fil du rasoir, mais il a dit que son parti, le CDC a perdu, mais le Libéria a gagné. Voilà un républicain, voilà un démocrate, voilà un responsable, voilà comment on peut créer des conditions de sécurité. Aujourd’hui, son pays est en paix. Malheureusement, Macky Sall risque de payer les frais de la violence légitime du peuple sénégalais qui va exiger de lui de quitter le Palais et ce serait malheureux pour lui. Mais qu’est-ce que vous voulez? Chacun a son destin. Je cautionne la volonté des Sénégalais de se battre pour le respect de la Constitution et la loi électorale, le pays n’appartient pas à un individu. Lorsque votre mandat est fini, vous devez partir ou, à défaut, on vous fait partir.

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