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Tout est parti lors de l’escale du Général de Gaulle à Conakry le 25 août 1958 alors qu’il était en tournée de sensibilisations des populations africaines sur le bien-fondé de son projet de Communauté entre la France et ses colonies, en terme clair un projet ‘’de fédération des pays autonomes’’ régie par une nouvelle Constitution de la Vème République. Il comptait soumettre son projet aux populations par voie référendaire, le 28 septembre 1958. Si partout ailleurs, l’homme du 22 juin 1940 a eu la certitude de récolter le « Oui » à son projet de Communauté, tel n’a pas été le cas en Guinée où Sékou Touré, chef du Gouvernement de Guinée prônait déjà dans certains milieux « l’union libre avec la France ». Dans son discours mémorable, le maître de Conakry dégage la voie vers la liberté et la dignité des peuples africains en proclamant «Nous préférons la liberté dans la pauvreté qu’à la richesse dans l’esclavage ». Une allocution « jugée provocatrices » par les maîtres colons dépassés par la tournure des évènements. Le ton emphatique et martial de Sékou Touré, les applaudissements nourris de la foule dévouée à son leader ont heurté la sensibilité du Général de Gaulle. Le vieux Général prend cette sortie du jeune leader guinéen – il avait 36 ans- comme un affront et une attaque contre son projet et l’œuvre de la France en Afrique. Il laisse entendre que la Guinée pourra prendre son indépendance en votant « Non ! » le 28 septembre et la métropole n’en fera pas obstacle, mais elle en tirera les conséquences. Déjà, en effectuant sa tournée à travers le continent, de Gaulle a fait comprendre que le Non est synonyme de rupture totale avec la France.*
Voici les deux discours prononcés ce jour à Conakry au siège de l’Assemblée territoriale de la Guinée française, devenu aujourd’hui Palais 25 Août abritant les locaux de la Haute Autorité de la Communication (HAC).
1) Discours de Sékou Touré
Monsieur le Président du Gouvernement de la République Française,
Dans la vie des Nations et des Peuples, il y a des instants qui semblent déterminer une part décisive de leur Destin ou qui, en tout cas, s’inscrivent au registre de I’Histoire en lettres capitales autour desquelles les légendes s’édifient, marquant de manière particulière au graphique de la difficile évolution humaine, les points culminants, les sommets qui expriment autant de victoires de l’Homme sur lui-même, autant de conquêtes de la Société sur le milieu naturel qui l’entoure.
Monsieur le Président, vous venez en Afrique précédé du double privilège d’appartenir à une légende glorieuse qui magnifie la Victoire de la Liberté sur l’asservissement et d’être le premier Chef du Gouvernement de la République Française à fouler le sol de Guinée.
Votre présence parmi nous symbolise non seulement la « Résistance » qui a vu le triomphe de la Raison sur la force, la Victoire du Bien sur le mal, mais elle représente aussi, et je puis même dire surtout, un nouveau stade, une autre période décisive, une nouvelle phase d’évolution.
Comment le Peuple africain ne serait-il pas sensible à ces augures, lui qui vit quotidiennement dans l’espoir de voir sa dignité reconnue, et renforce de plus en plus sa volonté d’être égal aux meilleurs ?
La valeur de ce Peuple, Monsieur le Président, vous la connaissez sans doute mieux que nul autre, pour en avoir été juge et témoin aux heures les plus difficiles que la France ait jamais connues.
Cette période exceptionnelle à l’issue de laquelle la Liberté devait resurgir avec un éclat nouveau, une force décuplée, est marquée par l’homme d’Afrique d’une manière toute particulière, puisqu’il a, au cours de la dernière guerre mondiale, rallié, sans justification apparente, la cause de la Liberté des Peuples et de la Dignité Humaine.
A travers les vicissitudes de l’Histoire chaque Peuple s’achemine vers ses propres Lumières, agit selon ses caractéristiques particulières et en fonction de ses principales aspirations sans qu’apparaissent nécessairement les mobiles réels qui le font agir.
Notre esprit, pourtant rompu à la logique implacable des moyens et des fins, ainsi qu’aux dures disciplines des réalités quotidiennes, est constamment attiré par les grandes nécessités de l’Élévation et de l’Émancipation Humaines. L’épanouissement des valeurs de l’Afrique est freiné, moins à cause de ceux qui les ont façonnées, qu’à cause des structures économiques et politiques héritées du régime colonial en déséquilibre avec ses aspirations d’avenir.
C’est pourquoi nous voulons corriger, non par des réformes timides et partielles, mais fondamentalement, ces structures afin que le mouvement de nos Sociétés suive la ligne ascendante d’une constante évolution, d’un perpétuel perfectionnement.
Le Progrès est en effet une création continue, un développement ininterrompu vers le Mieux, pour le Meilleur. Étape après étape, les Sociétés et les Peuples élargissent et consolident leur droit au bonheur, leurs titres de dignité, et développent leur contribution au Patrimoine économique et culturel du monde entier.
L’Afrique Noire n’est pas différente en cela de toute autre Société ou de tout autre Peuple. Selon nos voies propres, nous entendons nous acheminer vers notre bonheur et cela avec d’autant plus de volonté et de détermination que nous connaissons la longueur du chemin que nous avons à parcourir.
La Guinée n’est pas seulement cette entité géographique que les hasards de l’Histoire ont délimitée suivant les données de sa colonisation par la France, c’est aussi une part vive de l’Afrique, un morceau de ce continent qui palpite, sent, agit et pense à la mesure de son destin singulier. Mais aussi vaste que soit notre ère d’investigation, aussi étendu que soit notre champ d’action, cela est insuffisant en regard de nos propres exigences d’évolution.
Pour y répondre, nous devrons engager non seulement l’ensemble de nos potentialités propres, mais encore tout ce qui constitue les biens et les connaissances universels, lesquels chaque jour se développent et s’accroissent de manière inappréciable.
A travers le désordre moral dû au fait colonial et à travers les contradictions profondes qui divisent le monde, nous devons taire les pensées idéales afin de serrer au plus près les possibilités réelles, les moyens efficaces et immédiatement utilisables ; nous devons nous préoccuper des conditions exactes de nos populations afin de leur apporter les éléments d’une indispensable évolution, sans laquelle le mieux-être qu’elles prétendent légitimement obtenir ne pourrait être créé. Si nous ne nous employions pas à cette tâche, nous n’aurions aucune raison de vouloir remplir les fonctions dont nous avons la charge, aucun droit à la confiance de nos populations. C’est parce que nous nous interdisons de confisquer à notre profit la souveraineté des populations guinéennes, que nous devons vous dire sans détour, Monsieur le Président du Conseil, les exigences de ces populations pour qu’avec elles, soient
recherchées les voies les meilleures de leur Émancipation totale.
Le privilège d’un Peuple pauvre est que le risque que courent ses entreprises est mince, et les dangers qu’il encourt sont moindres. Le pauvre ne peut prétendre qu’à s’enrichir et rien n’est plus naturel que de vouloir effacer toutes les inégalités et toutes les injustices.
Ce besoin d’égalité et de Justice nous le portons d’autant plus profondément en nous, que nous avons été plus durement soumis à l’injustice et à l’inégalité.
L’analyse logique et une connaissance de plus en plus grande de nos valeurs particulières, de nos moyens potentiels, de nos possibilités réelles nous laissent cependant exempts de tout complexe et de toute crainte : nous sommes uniquement préoccupés de notre avenir et soucieux du bonheur de notre Peuple.
Ce bonheur peut revêtir des aspects multiples et des caractéristiques diverses selon la nature de nos aspirations, de nos désirs, selon notre état propre ; il peut être aussi bien une chose unique qu’un faisceau de mille choses, toutes également indispensables à sa réalisation. Nous avons, quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre Dignité. Or, il n’y a pas de Dignité sans Liberté, car tout assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur qui elle pèse, lui retire une part de sa qualité d’Homme et en fait arbitrairement un être inférieur. Nous préférons la Pauvreté dans la Liberté à l’Opulence dans l’esclavage.
Ce qui est vrai pour l’Homme l’est autant pour les Sociétés et les Peuples. C’est ce souci de Dignité, cet impérieux besoin de Liberté qui devait susciter aux heures sombres de la France les actes les plus nobles, les sacrifices les plus grands et les plus beaux traits de courage. La Liberté, c’est le privilège de tout homme, le droit naturel de toute Société ou de tout Peuple, la base sur laquelle les États Africains s’associeront à la République Française et à d’autres États pour le développement de leurs valeurs et de leurs richesses communes.
Monsieur le Président, vous me permettrez de rappeler un passage du discours que j’ai prononcé à l’occasion de la visite récente d’un Représentant du Gouvernement Français, M. Gérard Jacquet, ancien Ministre de la France d’Outre-Mer.
Notre option fondamentale qui, à elle seule, conditionne les différents choix que nous allons effectuer, réside dans la décolonisation intégrale de l’Afrique : ses hommes, son économie, son organisation administrative, et, en vue de bâtir une Communauté Franco-africaine solide et dont la pérennité sera d’autant plus garantie qu’elle n’aura plus dans son sein des phénomènes d’injustice, de discrimination ou toute cause de dépersonnalisation et d’indignité.
En effet, le monde évolue rapidement et les impératifs de la vie moderne posent avec brutalité le problème du choix entre la stagnation et le progrès, entre la division des Peuples et leur union fraternelle, entre l’esclavage et la liberté, enfin entre la guerre et la paix.
Pour l’Afrique Noire d’influence française, ces problèmes doivent être abordés avant tout avec un esprit réaliste, compréhensif. Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir, sans hésitation, l’interdépendance et la liberté dans cette union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France. Et c’est en raison de cette orientation politique que nos exigences doivent être toutes connues pour que leur discussion soit facilitée au maximum.
D’aucuns en parlant des rapports franco-africains situent leur raisonnement dans le domaine économique et social exclusivement, et concluent fatalement, compte tenu du grand retard des pays sous-développés d’Afrique, par l’apologie de l’action coloniale de la France.
Ces hommes oublient qu’au-dessus de l’économique et du social il y a une valeur autrement plus importante, qui oriente et détermine le plus souvent l’action des hommes d’Afrique ; cette valeur supérieure réside essentiellement dans la Conscience qu’apportent les hommes d’Afrique à la lutte politique, tendant à sauvegarder leur Dignité et leur Originalité et libérer totalement leur Personnalité.
Qui ne sait aujourd’hui que les drames douloureux enregistrés dans l’histoire coloniale française en Indochine et en Afrique du Nord sont interprétés aussi différemment selon que l’on donne la suprématie à l’économie, ou que le Droit à l’indépendance, le respect de la Dignité des Peuples sont considérés comme les bases les plus solides de toute association de Peuples différents !
Aujourd’hui, en raison de l’évolution de la situation internationale et surtout du gigantesque progrès du mouvement de décolonisation dans les pays dépendants, nous pouvons affirmer que la Force Militaire dirigée contre la Liberté d’un pays ne peut plus garantir ni le prestige, ni les intérêts d’une Métropole.
Le rayonnement de la France, la garantie et le développement de ses intérêts en Afrique ne sauraient désormais résulter que de l’association libre des pays d’Outre-Mer. L’action économique et culturelle de la France demeure encore indispensable à l’évolution harmonieuse et rapide des Territoires d’Outre-Mer.
C’est en fonction de ces leçons du passé et des impératifs de cette évolution nécessaire, de ce progrès général irréversible déjà accompli, de la ferme Volonté des Peuples d’Outre-Mer à accéder à la totale Dignité Nationale excluant définitivement toutes les séquelles de l’ancien régime colonial, que nous ne cessons, dans le cadre d’une Communauté Franco-africaine égalitaire et juste, de proclamer la reconnaissance mutuelle et l’exercice effectif du Droit à l’indépendance des Peuples d’Outre-Mer.
Certains attributs de Souveraineté qui seront exercés au niveau de cette Communauté devront se résumer en quatre domaines :
• Défense ;
• Relations diplomatiques ;
• Monnaie ;
• Enseignement supérieur.
Un pays qui exclut toute interdépendance dispose de quatre Pouvoirs essentiels :
1. La Défense ;
2. La Monnaie ;
3. Les Relations extérieures et la Diplomatie ;
4. La Justice et la Législation.
Nous acceptons volontairement certains abandons de Souveraineté au profit d’un ensemble plus vaste parce que nous espérons que la confiance placée dans le Peuple Français et notre participation effective au double échelon législatif et exécutif de cet Ensemble sont autant de garantie et de sécurité pour nos intérêts moraux et matériels.
Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l’indépendance car, à l’échelon franco-africain nous entendons exercer souverainement ce droit. Nous ne confondons pas non plus la jouissance de ce droit à l’indépendance avec la sécession d’avec la France, à laquelle nous entendons rester liés et collaborer à l’épanouissement de nos richesses communes.
Le projet de Constitution ne doit pas s’enfermer dans la logique du régime colonial qui a fait juridiquement de nous des citoyens français, et de nos Territoires, une partie intégrante de la République Française Une et Indivisible. Nous sommes Africains et nos Territoires ne sauraient être une partie de la France. Nous serons citoyens de nos États africains, membres de la Communauté Franco-Africaine.
En effet, la République Française, dans l’Association Franco-africaine, sera un élément tout comme les États Africains seront également des éléments constitutifs de cette grande Communauté Multinationale composée d’États Libres et Égaux.
Dans cette Association avec la France, nous viendrons en Peuples libres et fiers de leur Personnalité et de leur Originalité, en Peuples conscients de leur apport au patrimoine commun, enfin en Peuples Souverains participant par conséquent à la discussion et à la détermination de tout ce qui, directement ou indirectement, doit conditionner leur existence.
La qualité ou plutôt la nouvelle nature des rapports entre la France et ses anciennes colonies devra être déterminée sans paternalisme et sans duperie. En disant NON de manière catégorique à tout aménagement du régime colonial et à tout esprit paternaliste, nous entendons ainsi sauver dans le temps et dans l’espace les engagements qui seront conclus par la nouvelle Communauté Franco-Africaine. En dehors de tout sentiment de révolte, nous sommes des participants résolus et conscients à une évolution politique en Afrique Noire, condition essentielle à la reconversion de tout l’acquis colonial vers et pour les populations africaines.
Le nom de notre Association nous importe peu, ce qui importe sera le contenu de notre Association, la somme des possibilités nouvelles d’évolution qu’elle offrira aux Territoires Africains actuellement engagés dans le grand mouvement d’émancipation qui exige la disparition totale du phénomène colonial et l’établissement d’une ère de liberté vraie, d’égalité et de fraternité agissante.
Monsieur le Président, nous savons que vous vous êtes donné pour mission de sauver l’Unité de la Nation Française. Cette noble ambition, l’effort qu’elle suppose seront à la mesure de votre pouvoir si elle comprend et sait respecter également les points de sensibilisation de l’action des Peuples associés à la Nation Française.
En effet, les Territoires actuels d’AOF et d’AEF ne doivent pas être des entités définitives.
L’immense majorité des populations intéressées veut substituer aux actuelles entités AOF-Togo et AEF deux États puissants fraternellement unis à la France.
Des considérations humaines et sociales autant qu’économiques et politiques plaident en faveur de la constitution de ces États qui seront dotés de Parlements et de Gouvernements démocratiques.
Ces grandes perspectives qui vont pouvoir accélérer l’histoire de nos pays, en leur permettant de transcender les particularismes et les égoïsmes ou plutôt leurs contradictions internes, demeurent pour notre génération la voie la plus sûre, la plus directe qui aboutit à la Paix et au Bonheur.
Ces mêmes perspectives, positives pour les Territoires d’Outre-Mer et pour la Grandeur de la France dans le monde, exigeront de nous, Africains, Malgaches et Français, des efforts plus grands, à la fois plus nobles et plus exaltants que ne l’aurait exigé la solution destructive d’une séparation.
Je rappelle souvent que la vie de l’homme va de zéro à cent alors que celle de nos Peuples est éternelle.
Nous sommes quant à nous Africains de Guinée, sûrs que notre courage et notre loyauté, notre communion d’action créatrice de biens, et notre amour de la Justice et du Progrès sauront conduire, à travers le temps, notre future Communauté avec toujours plus de Puissance, et dans la Prospérité et la Liberté. Pour résumer la position guinéenne vis-à-vis du projet de Constitution qui fera l’objet du Référendum du 28 septembre, nous affirmons qu’elle ne sera favorable qu’à condition que la Constitution proclame :
1. Le Droit à l’indépendance et à l’égalité juridique des Peuples associés, droit qui équivaut à la Liberté pour ces Peuples de se doter d’Institutions de leur choix et d’exercer dans l’étendue de leurs États et au niveau de leur ensemble, leur pouvoir d’autodétermination et d’autogestion ;
2. Le Droit de divorce sans lequel le mariage franco-africain pourra être considéré, dans le temps comme une construction arbitraire imposée aux générations montantes ;
3. La Solidarité agissante des Peuples et des États associés afin d’accélérer et d’harmoniser leur évolution.
Dans l’intérêt bien compris des Peuples d’Outre-Mer et de la France, nous osons penser, Monsieur le Président, que votre Gouvernement saura proposer au Référendum un projet de Constitution tenant compte, non pas des conceptions juridiques basées sur un régime impopulaire, mais seulement des exigences exprimées par des Peuples mûrs, tous solidairement et fermement décidés de se construire un Destin de liberté, de Dignité et de Solidarité fraternelle pour la Communauté Multinationale que sera l’Association de nos États, pour l’Unité et l’Émancipation de l’Afrique.
VIVE LA GUINEE !
VIVE LA FRANCE !
2) Discours de Charles de Gaulle, Président du Conseil de la République française
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Je veux d’abord, d’un mot, dire à quel point j’ai été touché, car il faut que je le dise en public, des sentiments dont la population de Conakry m’a offert tout à l’heure le magnifique témoignage. Je dois dire que, dans l’expression de ces sentiments, j’apercevais, je distinguais beaucoup d’attachement à la France et aucun reproche à son égard. Il n’y a pas de raison, en effet – et je ne serais pas là si je n’en étais pas convaincu – il n’y a pas de raison, en effet, pour que la France rougisse, en rien, de l’œuvre qu’elle a accomplie ici avec les Africains.
Nous voyons là chaque pas, quand nous prenons pied sur cette terre de Guinée, quelles sont les réalisations que l’œuvre commune a déjà accomplies, et quand nous entendons les Présidents de l’Assemblée et du Conseil de Gouvernement de la Guinée, nous croyons bien apercevoir aussi ce que la culture, l’influence, les doctrines, la passion française ont pu faire pour contribuer à révéler la qualité d’hommes qui en avaient naturellement. Ceci dit, j’ai écouté bien entendu avec la plus grande attention les paroles qui ont été prononcées ici et qui me paraissent demander que le Général de Gaulle, le Chef de la France, fasse ici, dise ici ce qu’il faut, pour bien préciser les choses qui doivent être précisées.
Nous croyons, je crois depuis des années et je l’ai prouvé quand il fallait, que les Peuples africains étaient appelés à leur libre détermination ; je crois aujourd’hui que ce n’était qu’une étape, qu’ils continueront leur évolution et ce n’est pas moi, ce n’est pas la France qui le contestera jamais. Je crois aussi que nous sommes sur une terre et dans un monde où les réalisations sont nécessaires si l’on veut que les plus humbles sentiments aient un avenir quelconque. Nous sommes sur une terre et dans un monde où les réalités dominent comme elles l’ont toujours fait. Il n’y a pas de politique qui ne prenne pour base à la fois les sentiments et les réalités. La France le sait : l’Afrique est nouvelle. Eh
bien ! la France aussi, la France est toujours nouvelle ; elle vient de le prouver hier et moi je suis là pour le dire.
La question entre nous, Africains et Métropolitains, elle est uniquement de savoir si nous voulons, les uns et les autres, pratiquer ensemble pour une durée que je ne détermine pas une Communauté qui permettra de développer ce qui doit l’être au point de vue économique, social, moral, culturel et, s’il le fallait, de défendre nos libertés communes contre ceux qui voudraient les attaquer.
Cette Communauté, la France la propose ; personne n’est tenu d’y adhérer. On a parlé d’indépendance, je dis ici plus haut encore qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre, elle peut la prendre le 28 septembre en disant « NON » à la proposition qui lui est faite et dans ce cas je garantis que la Métropole n’y fera pas obstacle. Elle en tirera, bien sûr, des conséquences, mais d’obstacles elle n’en fera pas et votre Territoire pourra comme il le voudra et dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra.
Si la Guinée répond « OUI » c’est que, librement, d’elle-même, spontanément, elle accepte la Communauté qui lui est proposée et si la France, de son côté, dit « OUI », car il faut aussi qu’elle le dise, alors, les Territoires d’Afrique et la Métropole pourront faire ensemble cette œuvre nouvelle qui sera faite par l’effort des uns et des autres pour le profit des hommes qui les habitent.
A cette œuvre-là, la France ne se refusera pas, j’en suis sûr d’avance, à la condition, bien entendu, qu’elle trouve ailleurs cette sympathie, cet appel qui sont nécessaires à un Peuple quand il a à fournir des efforts, je dirai même des sacrifices, en particulier quand ce Peuple est la France, c’est-à-dire un pays qui répond volontiers à l’amitié et aux sentiments et qui répond, dans un sens opposé, à la malveillance qui pourrait lui être opposée.
Cette France-là, j’en suis sûr, participera à la Communauté avec les moyens qu’elle a et malgré les charges qu’elle porte, et ces charges sont lourdes, tout le monde le sait. Elles sont lourdes dans la Métropole même à cause des grandes destructions qu’en deux guerres mondiales elle a subies pour le salut de la liberté et du monde et en particulier pour le salut de la liberté des Africains ; et puis, elle a des charges en Europe, car l’Europe elle veut la faire, elle veut la faire dans l’intérêt de ceux qui y vivent et aussi, je crois, dans l’intérêt du continent sur lequel je me trouve aujourd’hui.
La France a des charges au point de vue mondial, elle en a en Afrique du Nord. Il lui faut mettre en valeur un territoire difficile, malheureux, qui doit être établi dans l’égalité des droits et dans la prospérité, lui aussi, à son tour ; elle doit mettre en valeur, pour le bien commun, les richesses que contient le Sahara.
Toutes ces charges sont considérables, et néanmoins je crois que, de son côté, la Métropole dira « OUI » à la Communauté Franco-africaine aux conditions que j’ai indiquées tout à l’heure. Si nous le faisons ensemble, les Africains et les Métropolitains, ce sera un acte de foi dans une destinée commune et humaine et ce sera aussi, je le crois bien, la manière, la seule manière d’établir une collaboration pratique pour le bien des hommes dont nous avons la responsabilité. Je crois que la Guinée dira « OUI » à la France et, alors, je crois que la route nous sera ouverte, où nous pourrons marcher en commun. La route ne sera pas facile ; il y aura beaucoup d’obstacles sur le chemin des hommes d’aujourd’hui et les paroles n’y changent rien. Ces obstacles, il faut les franchir, il faut franchir
l’obstacle de la misère. Vous avez parlé de l’obstacle de l’indignité, oui, il est franchi déjà en grande partie, il faut finir de le franchir : dignité à tous les points de vue, notamment au point de vue interne, national. Il y a d’autres obstacles encore qui tiennent à notre propre nature humaine, à nos passions, à nos préjugés, à nos exagérations. Ces obstacles-là, je crois que nous saurons les surmonter.
C’est dans cet esprit-là que je suis venu vous parler à cette Assemblée et je l’ai fait en confiance, je l’ai fait en confiance parce qu’en définitive, je crois à l’avenir que des ensembles d’hommes libres se forment, qui soient capables de tirer du sol et de la nature humaine ce qu’il faut pour que des hommes soient meilleurs et plus heureux. Et puis je crois qu’il faut le faire pour donner l’exemple au monde, car si nous venions à nous disperser, tout ce qu’il y a dans le monde d’impérialisme marcherait sur nous.
Bien sûr, il aurait des idéologues comme paravent, comme étendard pour le précéder, ce ne serait pas la première fois dans l’histoire du monde que les intérêts ethniques et nationaux marcheraient derrière des pancartes. Il faut donc que nous nous tenions ensemble pour cela aussi, c’est notre
devoir humain
J’ai dit. Vous réfléchirez.
J’emporte de ma visite à Conakry l’impression d’un sentiment populaire qui est tout entier tourné du côté que je souhaite. Je forme le vœu que les élites de ce pays prennent la direction que j’indique et dont je crois qu’elle répond à l’intention profonde de nos masses et, ceci dit, je m’interromps en attendant peut-être, si le fait se produit jamais, l’occasion suprême de venir vous voir, dans quelques mois, quand les choses seront établies et que nous manifesterons ensemble publiquement l’établissement, la fondation de notre communauté. Et si je ne devais pas vous revoir, sachez que le souvenir que je garde de mon séjour dans cette grande, belle, noble ville, laborieuse, ville d’avenir, ce souvenir je ne le perdrai pas.
VIVE LA GUINEE !
VIVE LA REPUBLIQUE !
VIVE LA FRANCE
Proposé par Oumar Kateb Yacine
Président du think tank Institut Afrique Émergente
Mail: [email protected]
*La partie introductive est un extrait de notre article Françafrique: Comment la France a radicalisé Sékou Touré (Par Oumar Kateb Yacine)
L’article 25 août 1958, le jour où le président Sékou Touré défia le général de Gaulle ! est apparu en premier sur Mediaguinee.com.