Projet de nouvelle Constitution : À côté du français, nos langues nationales sublimées [Par Sayon Mara]

il y a 6 heures 40
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Silence ! L’histoire s’écrit.

Le jeudi 26 juin 2025, le projet de nouvelle Constitution a été officiellement remis au Président de la République lors d’une cérémonie solennelle au Palais Mohamed V, dans une salle archi-comble comme un œuf, sous les yeux des diplomates, membres du Gouvernement, chefs religieux et autres personnalités. Les Conseillers nationaux, artisans de ce travail de longue haleine, étaient massivement présents à ce rendez-vous historique.

Dans une ambiance à la hauteur de l’évènement, la remise de ce projet de nouvelle Constitution au Chef de l’État marque ainsi un tournant décisif, un moment clé qui oriente l’histoire du pays vers le retour à l’ordre constitutionnel.

Outre l’institution de la candidature indépendante à toutes les élections, qu’elles soient nationales ou locales, la consécration d’un parlement bicéphale ou bicaméral, l’inscription de la couverture sanitaire comme un droit fondamental, la reconnaissance du droit de pétition aux citoyens pour demander aux autorités publiques de prendre en compte une question ou de modifier une situation, ce projet de nouvelle Constitution reconnait un statut officiel aux langues nationales qui, jusque-là, étaient au statut de simples langues locales. Cette dernière innovation, c’est-à-dire l’attribution d’un statut officiel à nos langues, figure parmi les propositions fortes formulées par les populations lors de la campagne de vulgarisation de l’avant-projet de nouvelle Constitution, au mois de novembre 2024. De par cet acte, le CNT vient donc rompre avec une longue tradition héritée du colonialisme qui rabaissa nos langues au stade de langues vernaculaires.

Permettez que je reprenne ces interrogations d’un intellectuel émérite : « Comment s’étonner du retard en éducation, recherche et développement quand l’écolier africain apprend le b-a-ba du français à l’âge où l’écolier français apprend déjà les mathématiques ? Comment négocier des contrats justes et équitables quand on maitrise mal la langue de l’interlocuteur et quand le rapport à cette langue est celui d’un assujettissement ? Comment être maitre de son destin si l’outil qui permet de s’exprimer est celui de l’autre et que cet autre dicte tout (de la norme linguistique jusqu’aux prix d’achat et de vente des biens de consommation) ? Comment valoriser sa culture quand dédaigne sa propre langue ? »

L’institutionnalisation de nos langues comme langues officielles constitue une étape concluante et historique dans l’affirmation de notre identité culturelle. Si ce projet bénéficie, en l’état, de l’approbation du peuple, un pas de géant serait franchi dans le cadre de la promotion et de la protection de nos langues, par ricochet leur reconnaissance et leur utilisation dans les sphères de l’État. Ainsi, le Français cohabitera avec celles qui, avant le mercredi 9 avril 2025, jour de l’adoption du projet de nouvelle Constitution par le CNT, étaient de simples langues orales et vernaculaires.

En attendant les avis des populations auxquelles revient le dernier mot, le CNT peut se targuer d’avoir posé un acte qui restera gravé, en lettres d’or, dans les annales de l’histoire de notre patrimoine commun. De par cet acte mémorable du CNT, la Guinée part d’un très bon pied vers la fin de la politique linguistique du tout en français héritée de la colonisation et renforcée par le néocolonialisme, donc vers la décolonisation linguistique.

En guise d’information, le système monitoring mis en place par le CNT lors des missions de recueils d’avis et de vulgarisation de l’avant-projet de nouvelle constitution pour leur permettre de connaitre les tendances sur chaque question, a permis aux Conseillers nationaux d’asseoir leur conviction quant au choix à faire concernant les langues nationales. Lors de ces missions, l’écrasante majorité des populations consultées était favorable à l’officialisation des langues nationales dans les secteurs de la vie publique.

Si ce projet est approuvé par le vaillant peuple de Guinée, les langues nationales pourraient dorénavant être parlées au Parlement et même être utilisées, à la longue, dans les milieux officiels de l’État. Les citoyens, pour des services publics, pourraient s’adresser, sans complexe aucun, aux administrateurs dans leurs langues maternelles et obtenir satisfaction. Ne serait-ce que de par ce seul acte, le CNT s’inscrit, de la plus belle des manières, dans l’histoire de la Guinée.

Considérées comme étant le premier élément de la tradition, l’élément le plus important dans l’identité des groupes ethniques ou sociaux, et propres aux peuples ou pays, nos langues sont, en d’autres termes, la réverbération de notre Civilisation.

Tout peuple qui ne maitrise pas sa langue nationale ne pourrait conserver l’intégrité de son histoire.  Apprendre et faire tout dans les langues coloniales ou étrangères, est l’un des véritables handicaps au développement du continent. Au lieu de la traduction, on en fait des transpositions des langues qu’on ne maitrise pas à la source de part et d’autre. C’est l’origine même des confusions, des déformations des noms et symboles traditionnels en Afrique conduisant à la disparition littéraire de certains lieux historiques. Alors qu’ils existent physiquement.

À juste dire, la valorisation et l’enseignement des langues nationales sont un passage obligé pour toute nation aspirant éduquer son peuple et promouvoir le développement. En effet, l’intégration des langues nationales dans le système éducatif qui disposent aujourd’hui, pour la plupart, des systèmes de transcription (N’ko, Adlam, Koré-sèbèli), pourrait jouer un rôle primordial en ce qui concerne le perfectionnement du secteur de l’éducation. Elles constituent un véritable atout pour rendre la formation plus efficace et plus accessible aux apprenants. Des études ont toujours prouvé que l’homme apprend vite et mieux dans sa langue maternelle que dans une langue étrangère. Mieux, pour couper complètement le cordon ombilical avec l’occident et faire de notre indépendance une réalité, l’introduction et la valorisation des langues nationales dans le système éducatif est plus qu’une nécessité. C’est un impératif, car en plus de faciliter la compréhension et la transmission des savoirs, cela pourrait largement contribuer à l’expansion de nos langues, par ricochet nos cultures, en dehors de leurs foyers originels.

Connaitre toutes les langues du monde et ne pas connaitre sa propre langue maternelle, c’est de l’asservissement, c’est le rejet d’une partie de soi. Cette décision du Conseil national de la transition vient couronner les attentes de nombre de guinéens. Désormais, les langues nationales participeront au développement réel de la Guinée.

Au demeurant, le combat mené par les pères fondateurs pour la promotion et la valorisation des langues nationales vient de connaitre une avancée, une évolution significative avec cette consécration de statut officiel. Ils sont certainement satisfaits d’apprendre, dans leur tombe, que les langues nationales trônent désormais à la même enseigne que le français en Guinée.

Finit la politique linguistique du tout en français héritée de la colonisation et renforcée par le néocolonialisme. Au-delà d’un acte législatif majeur, c’est la réhabilitation ou au mieux l’affirmation de notre identité culturelle.

Fier d’être guinéen !

                                                                                                    Sayon MARA, Juriste

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