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Camara Aboubacar, ministre guinéen de l’Énergie et de l’Hydraulique, incarne une philosophie politique rare en Afrique : celle d’un dirigeant qui érige la critique constructive en boussole de gouvernance. « Même Dieu est critiqué. Tout dirigeant qui refuse qu’il soit critiqué de manière constructive doit rendre le tablier. Tant qu’on ne te critique pas, c’est que tu ne fais rien. Quand on commence à te critiquer, c’est là où tu vois où il faut améliorer », a-t-il déclaré, résumant une conviction qui transcende les clivages. Cette posture, loin d’être un simple exercice rhétorique, s’est récemment matérialisée dans la gestion d’une crise énergétique révélatrice des défis et des ambitions de la Guinée.
L’épisode récent impliquant Karpowership (KPS), fournisseur d’électricité via des centrales flottantes, illustre cette dynamique. Contraint par un contrat exigeant la fourniture de 150 MW, KPS a dû faire face à une panne technique sur l’un des groupes électrogènes de son navire KPS 5, entraînant un déficit de 20 MW. Dans un pays où l’accès à l’électricité reste un enjeu crucial, chaque mégawatt compte. Le ministère de l’Énergie, en coordination avec l’Électricité de Guinée (EDG), a réagi avec une fermeté assumée : exiger le respect strict des clauses contractuelles, sous peine de sanctions financières. Résultat ? KPS a dépêché en urgence un second navire, le KPS 24, d’une capacité de 110 MW, entièrement financé par ses soins.
Cette réaction rapide n’est pas anodine. Elle révèle une volonté gouvernementale de rompre avec les pratiques opaques du passé, où les manquements des partenaires privés étaient souvent absorbés par l’État, au détriment des finances publiques. Ici, toutes les charges — affrètement, taxes, réparations — ont été imputées à KPS, conformément au Power Purchase Agreement (PPA). Une rigueur contractuelle qui envoie un message clair : la Guinée n’est plus un terrain où les engagements se dissolvent dans l’impunité.
Au-delà de l’urgence, cette crise a paradoxalement offert une opportunité stratégique. Le KPS 24, initialement déployé pour compenser 20 MW, apporte une réserve de 80 MW supplémentaire, utilisable sans surcoût pour l’État. Cette marge de manœuvre permet d’anticiper les fluctuations de la demande, notamment dans un contexte de croissance économique et démographique. Parallèlement, un audit technique indépendant évaluera la viabilité à long terme du KPS 5, garantissant une gestion transparente de l’incident.
Mais cet épisode ne doit pas occulter l’essentiel : la Guinée construit, pas à pas, une souveraineté énergétique durable. Le ministre Aboubacar le rappelle : la priorité est de réduire la dépendance aux solutions temporaires, comme les centrales flottantes, pour investir dans des infrastructures pérennes. Le barrage hydroélectrique d’Amaria (300 MW), en cours de finalisation, symbolise cette ambition. Complété par les micro-barrages de Keno et Loffa, il renforcera l’électrification rurale, souvent parent pauvre des politiques énergétiques.
À Boké et Kankan, des centrales thermiques de 50 MW et 40 MW respectivement verront le jour, tandis qu’un projet solaire de 300 MW se déploie progressivement. Ces initiatives traduisent une vision équilibrée, combinant l’hydroélectricité, solaire et thermique pour adapter l’offre à la diversité des besoins. Une transition énergétique pragmatique, qui évite l’écueil d’un idéalisme déconnecté des réalités techniques et financières.
Cette stratégie ne se résume pas à une accumulation de mégawatts. Elle s’inscrit dans une philosophie plus large : celle d’un État exigeant envers ses partenaires, mais aussi envers lui-même. En refusant de socialiser les coûts des défaillances privées, le gouvernement évite un piège classique en Afrique : l’endettement public pour pallier les carences d’acteurs peu fiables. Cette discipline budgétaire est cruciale dans un pays où chaque franc doit servir des priorités structurantes — santé, éducation, infrastructures.
Reste que cette fermeté ne signifie pas un refus du dialogue. Le ministre Aboubacar l’a souligné : les pannes techniques sont inévitables, mais leur gestion doit être exemplaire. En exigeant de KPS qu’il assume ses responsabilités sans négocier des atermoiements, la Guinée pose les bases d’un partenariat équilibré, où la confiance se construit sur le respect mutuel des engagements.
Ce cas d’école dépasse le secteur énergétique. Il reflète une maturation politique : celle d’un pays qui, conscient de ses défis, choisit la transparence et la reddition des comptes comme leviers de développement. Les critiques, souvent vives envers les dirigeants africains, doivent ici reconnaître un effort tangible pour aligner les discours et les actes.
La route vers l’autosuffisance énergétique est longue, semée d’aléas techniques et de défis financiers. Mais la Guinée démontre qu’une gouvernance rigoureuse, alliée à une vision claire, peut transformer les crises en tremplins. Le ministre Aboubacar résume cette équation : « Quand on commence à te critiquer, c’est là où tu vois où il faut améliorer ». À travers cette crise énergétique maîtrisée, c’est toute une nation qui semble avoir retenu la leçon : la transparence n’est pas une faiblesse, mais le socle d’une souveraineté véritable.
En définitive, l’histoire énergétique guinéenne est en train de s’écrire à la lumière de deux principes cardinaux : l’exigence envers les partenaires et l’audace dans la planification. Si les centrales flottantes restent une solution d’appoint, elles symbolisent aussi une ère nouvelle où chaque acteur, public ou privé, est tenu de rendre des comptes. Dans ce contexte, les projets structurants — barrage, solaire, thermique — ne sont pas de simples infrastructures. Ils incarnent l’aspiration d’un peuple à maîtriser son destin, watt par watt. Et c’est peut-être là le plus puissant des mégawatts : celui de la volonté politique.
Kaba 1er