Kassory et les autres : quand les pleurnicheurs chantent pour les sourds

il y a 7 heures 21
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Ce n’est pas Kassory qui pleurniche, non. Kassory se tait, muré dans un silence épais, un silence de vaincu face à l’écho de sa propre histoire. Ce sont les autres, la cour des miracles, les pleureuses professionnelles, les orphelins du pouvoir déchu, qui agitent leurs mouchoirs blancs dans un théâtre désert, jouant pour un public qui s’est depuis longtemps détourné de la scène.

Écoutons-les gémir, ces griots de la nostalgie dorée. Ils psalmodient la complainte des seigneurs trahis, la mélopée des ventres repus soudain privés de festins. Leur musique sonne faux, leurs larmes sentent le parfum frelaté des privilèges perdus. Ils pleurent non sur l’injustice, mais sur le confort envolé : les villas désertées, les comptes gelés, les passeports confisqués, les nuits de luxe payées à la sueur d’un peuple qu’ils n’ont jamais regardé.

Pendant ce temps, dans l’ombre humide de nos cachots du désespoir, un autre drame s’écrit. Un drame sans micros, sans chroniqueurs, sans poètes. Un jeune homme de vingt ans prend dix ans pour un téléphone volé. Dix années de béton froid et d’oubli. Sa mère pleure seule, dans la nuit des invisibles, sans caméra ni visite de courtoisie. Et personne ne pleurniche pour lui.

Où étaient donc ces orateurs en larmes lorsque la justice frappait sans ménagement dans les quartiers pauvres ? Où étaient leurs voix suaves quand les verdicts tombaient comme des couperets sur les plus faibles ? Pourquoi leurs cris d’indignation ne résonnent-ils que sous les plafonds climatisés et jamais dans les geôles des oubliés ? Leur compassion est à géométrie variable : elle s’éteint à la porte des prisons pauvres.

Kassory, lui, contemple désormais le mur de sa cellule. L’homme qui préférait « l’ordre à la loi » découvre l’ordre sans gloire, celui des verrous et du silence. Celui qui distribuait les ordres comme on jette des pierres goûte à présent l’amertume de l’obéissance. Son mutisme en dit plus long que toutes les larmes intéressées de sa cour. Peut-être sait-il, au fond, que le temps des discours est fini, que l’Histoire, cette juge inflexible, prononce toujours son verdict, même à voix basse.

Et le peuple, lui, se souvient. Il se souvient des promesses mielleuses et des lendemains qui ne chantaient jamais. Il se souvient des routes promises et jamais tracées, des hôpitaux sans médicaments, des écoles sans toit. Il se souvient de cet argent public qui s’évaporait comme poussière dans le vent d’harmattan. Il se souvient de tout, et le souvenir, parfois, est une arme plus tranchante que la colère.

Les pleurnicheurs agitent aujourd’hui le spectre de l’injustice. Mais quelle injustice y a-t-il à demander des comptes ? Quelle trahison à réclamer la vérité ? Notre justice aurait-elle donc deux visages : la foudre pour les petits, la caresse pour les puissants ? Deux vitesses, deux poids, deux mondes. Le TGV pour les riches, la charrette pour les pauvres. Deux justices, un même pays boiteux.

Combien de jeunes ont vu leur vie brisée pour un larcin dérisoire, pendant que les prédateurs des finances publiques négociaient leur confort carcéral à coups d’influences et d’avocats ? Ils volent des milliards et pleurent pour six mois. Les misérables volent un sac et prennent dix ans sans un cri. Où donc est passée leur fameuse solidarité humaine ? Leur fraternité s’arrête aux portes des villas, et leur indignation s’éteint dès qu’elle ne les concerne plus.

Damaro n’a pas été « libéré » : il a purgé, il a répondu, il a affronté. Il s’est tenu debout, face à la justice, sans se draper dans le rôle du martyr. Il a payé son dû au silence, non à la rumeur. Il n’a pas chanté la complainte des innocents, il a simplement supporté le poids du réel.

Les autres, eux, s’agitent, protestent, jouent la vertu offensée. Peut-être parce qu’ils n’ont pas encore trouvé le courage du face-à-face. Peut-être parce que leur fierté les empêche d’écouter ce que dit le temps : que nul n’est au-dessus du jugement. Ou peut-être simplement parce qu’ils croient encore, dans leur superbe intacte, que la justice n’est faite que pour les autres.

La justice, la vraie, n’est pas vengeance. Elle est mémoire, respiration du monde. Elle est cette mer immense qui reprend, après la tempête, ce qui lui revient. Et si les naufragés du pouvoir crient au naufrage, c’est sans doute qu’ils ont oublié qu’on ne commande pas à la marée, ni à la mémoire des peuples. Car tôt ou tard, la mer reprend ses droits, et la nation, son souffle.

Laissons donc les pleurnicheurs à leurs lamentations. Le peuple, lui, regarde devant. Il reconstruit, pierre après pierre, ce que d’autres ont détruit. Il rebâtit sans bruit, colmate les brèches, sèche les larmes invisibles. Car les larmes des puissants ne vaudront jamais les sueurs des humbles.

Kassory se tait. Peut-être parce qu’il n’y a plus rien à dire. Peut-être parce qu’il a enfin compris que le silence est parfois la seule réponse digne face à l’Histoire qui juge sans appel.

Les pleurnicheurs chantent pour les sourds. Le peuple, lui, n’est plus sourd.

Il entend désormais autre chose : le bruit des marteaux qui bâtissent, le souffle des livres qui s’ouvrent, le murmure d’un espoir qui recommence à respirer.

Il écoute la musique neuve de sa liberté. Une liberté qui ne se quémande pas, ne se marchande pas, ne se pleurniche pas. Une liberté qui se forge, jour après jour, dans le refus obstiné de l’impunité et la foi tranquille en la justice égale pour tous.

Qu’ils continuent donc à gémir dans leurs salons. Le peuple, lui, a déjà changé de partition. Sa mélodie est grave, pure, sans fioritures : celle de la dignité retrouvée, du travail, de la patience, du courage. Car enfin, quand donc a-t-on vu un pauvre obtenir un procès sur mesure ou une remise de peine pour convenance personnelle ?

La vérité est là, nue, têtue, indéracinable : un système qui libère les puissants et enferme les misérables est un système qui ment. Et un pays qui pleure ses corrompus mais oublie ses pauvres est un pays qui se trompe de deuil.

Aujourd’hui, le peuple a décidé de ne plus se tromper de deuil. Il enterre l’impunité, il enterre l’arrogance, il enterre ce temps ancien où les larmes des puissants valaient plus que le sang des humbles. Et sur les ruines de ce vieux monde de privilèges, il dresse une espérance neuve : celle d’une justice debout, droite, sans favoritisme ni peur.

Que les pleurnicheurs continuent leur chanson.

Nous, nous construirons, dans le bruit noble des marteaux, dans la lumière des livres, dans la paix du travail juste. Le peuple, enfin, s’est réveillé. Son silence à lui n’est pas celui de la honte : c’est celui du commencement.

Ousmane Boh KABA

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