Guinée : l’éternel bras de fer entre pêcheurs artisans, semi-industriels et industriels

il y a 1 jour 24
PLACEZ VOS PRODUITS ICI

CONTACTEZ [email protected]

En Guinée, pays d’Afrique de l’Ouest bordé par l’océan Atlantique sur plus de 300 kilomètres, le secteur de la pêche représente un refuge pour de nombreux jeunes confrontés au chômage. Selon la Banque mondiale, environ 8% des Guinéens âgés de 15 à 24 ans sont sans emploi. Ainsi , le secteur de la pêche est un refuge pour beaucoup d’entre eux. Cependant, les opportunités offertes par la pêche artisanale sont de plus en plus compromises par la présence croissante de chalutiers étrangers dans les eaux territoriales guinéennes, facilitée par le Code de pêche maritime adopté en 2015.

En 2023, sur les 98 navires recensés dans la Zone Économique Exclusive (ZEE) de la Guinée, seuls 7 appartiennent au pays, tandis que 58 sont enregistrés sous pavillon chinois. Cette domination étrangère suscite de fortes tensions en mer entre pêcheurs artisanaux et industriels. Elle soulève également des questions pressantes sur la durabilité des ressources halieutiques et la nécessité de réviser un Code de pêche jugé trop permissif.

En mars 2014, l’Union européenne a inscrit la Guinée sur la liste des pays tiers non-coopérants dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée -pêche INN. Pour sortir de cette « liste noire », la Guinée a adopté en 2015, dans ce que certains qualifient de démarche précipitée, un nouveau code de pêche maritime. Cette initiative a porté ses fruits, car dès 2016, le Conseil de l’Union européenne a retiré le pays de sa liste noire.

Près d’une décennie après cette sanction, qui avait privé les pêcheurs artisanaux des appuis des pays membres de l’Union européenne, un arrêté ministériel est venu réorganiser le secteur en décembre 2021. Cet arrêté a subdivisé la pêche en Guinée en deux catégories : la pêche artisanale et la pêche industrielle. Charlotte Daffé, alors ministre de la Pêche, de l’Aquaculture et de l’Économie maritime, n’a pas fourni d’explications détaillées sur les motivations de cette réforme. Cependant, Idrissa Kallo, secrétaire chargé des affaires extérieures de la Fédération nationale des pêcheurs artisans de Guinée, affirme que l’objectif principal était de « recadrer l’activité de la pêche artisanale », souvent accusée par les pêcheurs eux-mêmes de s’apparenter à une pêche industrielle déguisée. Malgré cette initiative, censée protéger les intérêts des pêcheurs artisanaux, la présence de navires étrangers dans les eaux guinéennes reste préoccupante. Une situation d’autant plus critique que, selon Mohamed Lamine Camara, secrétaire général du ministère de la Pêche et de l’Économie maritime, « les poissons les plus recherchés, avec une forte valeur commerciale, se trouvent dans la zone réservée à la pêche exclusivement artisanale. »

Le bulletin statistique des pêches 2023, publié par le Centre National des Sciences Halieutiques de Boussoura (CNSHB), révèle que plus de 8 000 embarcations opèrent actuellement dans la Zone Économique Exclusive (ZEE) de la Guinée.

Au cours de la même année, 98 navires – dont 91 battants pavillons étrangers contre 07 pour la Guinée – ont pêché dans les eaux territoriales guinéennes.

  L’aménagement des débarcadères aux oubliettes 

 

Il est 14 heures et quart. Les embouteillages commencent sur la partie sud de Conakry. Nous avons rendez-vous dans un débarcadère de Dixinn avec Idrissa Kallo, secrétaire chargé des affaires extérieures de la Fédération nationale des pêcheurs artisans de Guinée. Vêtu d’un Lacoste aux manches courtes et un visage visiblement détendu, Kallo entame notre entretien en nous présentant un secteur de la pêche en balbutiement : “Dans les années 1986-1988 jusqu’en 1990, annonce-t-il, la pêche artisanale était considérée comme une activité de subsistance. En 2016, il y a eu un recensement du parc piroguier qui s’est élevé jusqu’à 7000 et quelques embarcations motorisées. Sur 235 débarcadères recensés, il n’y en a que 12 qui sont aménagés”.

Idrissa Kallo, secrétaire chargé des affaires extérieures de la Fédération nationale des pêcheurs artisans de Guinée

 

“La plupart d’entre eux sont à Conakry. Sur les 235 débarcadères reconnus par le ministère de la pêche, 60 à 65% sont vers les îles. Les activités s’y passent dans des conditions très difficiles. Il n’y a pas de centres de motorisation. Quand les moteurs tombent en panne, les pêcheurs sont obligés de les envoyer à Conakry pour les réparer”, ajouta-t-il.

Pour Idrissa Kallo, dans le but de sortir de la liste des pays tiers non-coopérants dans la lutte contre la pêche INN, la Guinée a adopté dans “la précipitation” son code de pêche maritime en 2015.  En dépit de cela, il révèle qu’“avant l’entrée en vigueur de cet arrêté [catégorisant la pêche], (…) les pêcheurs artisans étaient mélangés avec ceux que l’on considère aujourd’hui comme semi-industriels”.  “Il y avait des accrochages avec les pirogues de la pêche artisanale”, explique-t-il.

 

Plus d’Asiatiques que de Guinéens

 

L’inscription de la Guinée sur la liste des pays non-coopérants de l’Union européenne a eu de lourdes conséquences pour les pêcheurs artisanaux, qui ont perdu d’importantes aides. Contrairement à d’autres secteurs, la pêche en Guinée ne reçoit aucune subvention de la part de l’État. Pendant toute la durée des sanctions imposées par l’UE, les produits de la pêche guinéenne étaient interdits d’accès au marché européen, laissant un vide que des acteurs sud-coréens ont rapidement exploité.

 

Le chargé des affaires extérieures des pêcheurs artisans martèle que ‘’c’est pendant cette période que les navires coréens sont venus s’installer dans les débarcadères en demandant des partenariats avec les pêcheurs artisans (…) pour pêcher les besoins des coréens”. (…).  “Ils ne [pêchaient] que les poissons demandés par les Coréens et qui étaient destinés à l’exportation. On faisait donc des activités de pêche, mais pour les asiatiques. Les Chinois aussi sont entrés dans la danse. Il y a plus de sociétés chinoises et coréennes que guinéennes”, se désole-t-il, impuissant, tout en précisant qu’en mer, “pêcher sans licences, sans qu’il n’y ait de statistiques, c’est illicite. On parlera forcément de la surexploitation.”

 

Aujourd’hui, l’un des problèmes non encore mis au-devant de la scène est la multiplication des ports minéraliers en Guinée. Pour Idrissa Kallo “les navires miniers ont envahi les 12 000 miles où se fait la pêche artisanale”. “Il n’y a plus de poissons à pêcher par les artisans”, regrette-t-il, le regard hagard. Il précise que “sur 10 embarcations qui sortent, seules 3 ou 4 peuvent revenir avec des poissons pour leurs dépenses”. Avant d’ajouter que “là où les activités minières se font, c’est là-bas qu’on peut les pêcher. Les pélagiques sont en train d’être pêchés par les pêcheurs industriels et semi-industriels. Les poissons de fond, on n’arrive pas à les pêcher, parce que leur habitat est bouleversé par les miniers”.

 

‘’Pêcher 50 kilos de poissons, c’est déjà beaucoup”

Au débarcadère de Dixinn, Saliou Camara nous ouvre les portes de son bureau situé sur la Corniche Nord de Conakry, la capitale. Assis entre des cartons aux extrémités, en tant que chef de port Dixinn 3, il est très sollicité. Son téléphone n’arrête pas de crépiter. Nous devons donc faire vite. La soixantaine révolue, il dit être aujourd’hui préoccupé par le “manque de matériel de pêche” et “la rareté de poissons.”  Avant, se remémore-t-il, “quand on sortait, on pouvait pêcher une à deux tonnes de poissons”. “Mais de nos jours, cela est pratiquement impossible. Si tu parviens à pêcher 50 kilos de poissons, c’est déjà beaucoup”, ajoute-t-il en imputant cette baisse à la “pléthore de pirogues et surtout de navires de pêche.”

 

A l’en croire, sous l’ère de la première République, “il fallait consommer entre 40 à 50 litres de carburant en mer pour croiser un chalutier. “Aujourd’hui, les bateaux sont sur nos côtes, ce qui entraîne la rareté des poissons”, constate-t-il. Sur l’identité réelle des propriétaires des navires de pêche, nous n’obtiendrons pas de détails avec le chef de port de Dixinn 3 : “On voit des Guinéens à bord de ces bateaux. Il y a parfois des étrangers, mais qui s’associent à des pêcheurs locaux”.

 

En off, un responsable de pêche a avoué que des chalutiers pêchent dans les zones côtières sans être inquiétés. Cependant, il a précisé que ‘’ces navires ont des licences. Lorsque vous pêchez dans les eaux guinéennes, il est nécessaire d’avoir une licence guinéenne. Ils peuvent être des navires ukrainiens, japonais, chinois qui sont plus nombreux d’ailleurs, ou coréens. Ils battent pavillon guinéen, mais ce sont des Coréens, des Chinois qui sont à bord de ces navires. Ils sont obligés de travailler avec des Guinéens. C’est une obligation’’.

 

Cohabitation difficile avec les pêcheurs semi-industriels et industriels

C’est sous un soleil de plomb qu’Ousmane nous ouvre ses portes au port de Teminetaye dans la presqu’île de Kaloum. Si les deux responsables précédents usaient de la diplomatie dans leur intervention, ce quarantenaire affirme ne pas être en odeur de sainteté avec ‘’les acteurs de la pêche industrielle. Dans les zones où nous sommes supposés pêcher, ils viennent jusque-là. Nous travaillons jour et nuit en respectant les limites. Eux, ils outrepassent les limites et causent des dégâts’’.

A la question de savoir si les autorités sont informées, il indique que : “L’État est au courant de notre éternel bras de fer avec les pêcheurs industriels. Nous nous plaignons, mais ça reste sans suite.  A cause de l’intrusion des pêcheurs industriels dans la zone des pêcheurs artisans, certains ont préféré quitter la pêche. D’autres ont perdu leurs équipements.”

 

Pour lui, la non-diligence de l’État face à leurs multiples plaintes est due à plusieurs raisons : “les pêcheurs industriels rapportent mieux à l’État que nous. Et deuxièmement, sans brandir de preuves, il déclare que “ceux qui sont censés réglementer la pêche sont de mèche avec les pêcheurs industriels pour envahir nos eaux nuitamment”. Dans leur bras de fer avec les pêcheurs industriels et semi-industriels, les pêcheurs artisans se méfient des Coréens et des Chinois. “Si vous les croisez en mer, prévient Ousmane, ils sont capables de vous éliminer sur leur passage. Pour notre sécurité en mer, nous faisons preuve de prudence pour préserver nos vies face à leurs chalutiers”.

 

A l’État, rappelle-t-il, ils ont “choisi d’être pêcheurs”.Si l’État ne peut pas nous appuyer, soupire-t-il, qu’il nous aide à protéger au moins notre gagne-pain. Que les pêcheurs semi-industriels et industriels quittent notre zone de pêche”. Il demande que “l’État” ne les abandonne pas dans les mains des pêcheurs semi-industriels et industriels.

 

A deux pas de Camara, d’un air anxieux, Houssainatou admet que ‘’pêcher du poisson de nos jours relève de la croix et de la bannière’’. Si elle se montre préoccupée par la rareté des ressources halieutiques, cette vendeuse de poissons parvient à tirer son épingle du jeu. Elle déclare collaborer avec ‘’les Chinois [qui] ont tous les équipements qu’il faut pour la pêche. Nous, confesse-t-elle, ils ne nous fatiguent pas” avant d’ajouter que ‘’ce sont eux qui [les] approvisionnent en poissons’’. Malgré tout, sa crainte pour l’avenir des pêcheurs artisans est palpable. D’où son appel aux autorités. ‘’Que l’État prenne des mesures pour réduire la présence des bateaux [étrangers] sur nos côtes’’, plaide-t-elle.

La réduction des ressources halieutiques le long des côtes guinéennes a un effet majeur sur les communautés locales. Les femmes, qui sont en première ligne pour soutenir leurs familles, subissent directement les conséquences des conflits en mer entre pêcheurs artisanaux et industriels.

Mamadama fume des poissons depuis des années pour subvenir aux besoins de sa famille. Pour s’approvisionner, elle sort à 4 heures du matin. A l’allure où vont les choses, elle dit ne plus savoir à quel saint se vouer. ‘’La rareté des poissons est plus qu’une réalité. Nous souffrons énormément alors que nous sommes les soutiens de nos maris qui sont sans emploi’’.

Les conséquences du bras de fer entre pêcheurs artisans et industriels ne se limitent pas qu’en mer. L’impact se ressent jusqu’aux lieux de négoces où le prix du poisson connaît désormais une hausse. ‘’Aujourd’hui, un carton de poissons se négocie entre 500.000 et 600.000 GNF, contre 200.000 à 350.000 GNF auparavant. Il est difficile d’avoir une marge sur les ventes’’, déplore Mabinty, qui exerce son activité sur la Corniche sud de Coléah, précisant que ‘’les pêcheurs se plaignent de leurs conditions de travail. Les prix sont exorbitants. S’ils ne baissent pas, nous n’allons pas nous en sortir’’.

Dans ce bras de fer, pour l’heure sans issue, Sékhouna, pêcheur artisan, déplore un déséquilibre entre les deux camps. Il note que ‘’les chalutiers, mieux équipés, sont capables de passer des semaines en mer. Ils ont plus de moyens que nous. Les pêcheurs artisans que nous sommes, quand nous sortons le matin, nous revenons au cours de la même journée’’. Il dénonce des plaintes restées sans suite, et affirme qu’ils se sentent délaissés par les autorités. ‘’Le ministère de la pêche doit aider notre secteur’’, lance-t-il comme cri de cœur, tout en leur reprochant de privilégier les intérêts des grandes sociétés de pêches, détenues souvent, selon lui, par des ‘’Chinois, Coréens, Japonais’’.

Incursion des navires industriels dans la zone réservée à la pêche artisanale

Mohamed Lamine Camara, Secrétaire général du ministère de la Pêche, de l’Aquaculture et de l’Économie maritime

La pêche demeure un secteur crucial pour l’économie nationale et la sécurité alimentaire. Au ministère de la Pêche, de l’Aquaculture et de l’Économie maritime, Mohamed Lamine Camara, secrétaire général du département, ne le nie pas. Il confirme l’arrêté signé par la ministre d’alors Charlotte Daffé établissant une classification officielle de la pêche. ‘’La pêche artisanale et la pêche industrielle sont deux types différents de pêches’’, a-t-il tenu à clarifier dès l’entame de nos échanges.

Ces deux types de pêche se différencient non seulement par leurs techniques et outils, mais aussi par leurs zones d’exploitation et leurs impacts socio-économiques. ‘’La première différence entre les deux, ce sont les outils utilisés. Les navires qui utilisent les moteurs hors-bords, les voiliers, les pagaies pratiquent la pêche artisanale. Ceux avec beaucoup plus de puissance, plus volumineux, qu’on qualifie de bateaux de pêche, font la pêche industrielle. Au-delà de la technique, il y a la zone de pêche. En Guinée, la ligne de base, c’est là où a commencé la mer jusqu’à 12 miles, environ 20 km. Cette zone est réservée exclusivement à la pêche artisanale. Au-delà, nous avons une zone dédiée à la pêche semi-industrielle et une autre à la pêche industrielle’’, renseigne-t-il.

Malgré cette catégorisation, le département est conscient des tensions survenant dans l’exploitation des ressources halieutiques. Les raisons de ces conflits ? Le secrétaire général croit savoir la genèse. ‘’Les poissons les plus recherchés, qui ont des valeurs commerciales assez élevées, se retrouvent dans la zone de pêche exclusivement artisanale. Ce qui peut entraîner des conflits avec des incursions de certains navires de la pêche industrielle dans la zone réservée à la pêche artisanale à la recherche de ces espèces de haute valeur commerciale’’, avance-t-il. Et d’ajouter : ‘’Quand il y a des cas d’incursions des navires de la pêche industrielle dans cette zone, il peut s’ensuivre que les filets de pêche artisanale qui y sont, soient détruits, ou qu’il y ait des collisions, des chocs entre les gros navires et les petites pirogues’’.

Accusé de privilégier les industriels au détriment des pêcheurs artisans, le ministère de la Pêche dit fournir des efforts pour éviter des tensions en mer. ‘’Le ministère de la pêche prend des dispositions pour ne pas que ce genre de choses arrivent’’, se défend M. Camara, sans donner plus de détails. Au fil du temps, les conflits demeurent et continuent d’être une source de frustrations pour de nombreux pêcheurs artisans.

De l’avis du secrétaire général du ministère de la pêche, l’autre source de conflits entre les deux camps est d’ordre social. Il fait savoir que les pêcheurs artisans et ceux industriels ne partageant pas les mêmes espaces portuaires. L’absence d’interaction est de nature, selon lui, à exacerber les tensions : ‘’Les pêcheurs artisans sont dans les ports et débarcadères. Les grands pêcheurs industriels sont au port autonome de Conakry. Ce qui fait qu’il n’y a pas d’interactions entre eux sur le plan social. Donc, ils ne se connaissent pas socialement, cela peut créer des tensions quand il y a la moindre confrontation en mer’’.

Accusé de contribuer à une surexploitation des ressources halieutiques, le ministère assure qu’il œuvre pour une gestion durable des ressources marines. À cet effet, il précise qu’un Plan d’Aménagement et de Gestion des Pêcheries (PAGP) est élaboré en début d’année afin de définir les quotas de navires autorisés à exercer leur activité.

Par exemple, pour l’année 2024, le plan que nous avons consulté prévoit 82 navires industriels sur les eaux territoriales guinéennes. “Ce chiffre ne peut pas être dépassé’’, soutient mordicus Mohamed Lamine Camara précisant que parallèlement, le Centre national des sciences halieutiques de Boussoura (CNSHB), établissement public à caractère scientifique et administratif placé sous la tutelle du ministère chargé des Pêches, veille sur la collecte des données et la quantité de poissons débarquée dans les différents ports.

‘’En fin d’année, a posteriori, on fait un bulletin statistique sur le bilan de la quantité de poissons pêchée durant l’année écoulée. Donc, nous avons un PAGP et le 31 décembre, on publie les statistiques dans un bulletin’’, ajoute-t-il, en soutenant que, contrairement à ce qui se dit, les autorités font de la reddition de comptes une priorité. A travers le Centre national de surveillance des pêches (CNSP), rassure-t-il, les mécanismes de contrôle empêchent toute exploitation illégale des ressources maritimes. Et comment ? ‘’Tout navire qui bénéficie d’une licence de pêche doit avoir une balise qui permet de le localiser par satellite. Au-delà du contrôle par satellite, le CNSP embarque un observateur qui note tous les mouvements du navire, tout ce qui est activité de pêche. A la descente, il fait un rapport. Selon la procédure administrative, cela est conforme au droit international. Si des cas de fraudes sont signalés, qu’on nous remonte les informations. Nous ne pouvons pas nous baser sur des rumeurs ou déclarations sans preuves pour accuser tel ou tel’’, mentionne-t-il en réponse aux plaintes de pêcheurs artisans.

En ce qui concerne la pêche artisanale, les pêcheurs sont soumis à l’obligation de disposer d’un permis de pêche. Quelques rares en sont exemptés par la législation en vigueur. “Nous avons plus de 8000 pirogues actives en Guinée dont certaines n’utilisent pas de moteurs. Elles n’ont pas besoin de permis de pêche, car nous considérons qu’elles sont utilisées pour la consommation des ménages. Les pirogues motorisées sont autour de 5000. Chacune de ces pirogues à l’obligation de prendre chaque année un permis de pêche. La Direction nationale de la pêche maritime, à travers nos services déconcentrés, met à la disposition de tous les ports des permis de pêche que les pêcheurs sont obligés de prendre’’.

Pour la pêche industrielle, en début d’année, une note circulaire définissant les conditions d’obtention de la licence de pêche est publiée. ‘’Ceux qui sont intéressés, peuvent ainsi savoir quelles sont les conditions à remplir, les services à rencontrer pour obtenir une licence. Tout est transparent. Quand un armateur formule une demande, nous mettons la note circulaire à sa disposition’’.

Un secteur dominé par des étrangers, contrairement aux prescriptions de la loi

A cette date, d’après le Secrétaire général du ministère, aucune société de pêche ne dispose d’un Conseil d’administration. Or, l’article 13 du Code de la pêche maritime stipule que “sont considérés comme navires de pêches guinéens, les navires qui sont propriétés de l’État guinéen ou qui appartiennent pour au moins 51 % de leur valeur à des ressortissants Guinéens ou des sociétés ayant cumulativement : au moins 51% du capital social appartenant à des ressortissants guinéens ou à l’État guinéen; leur siège social en Guinée ; un conseil d’administration ou de surveillance dont le président et la majorité des membres sont guinéens; un président-directeur général ou gérant de nationalité guinéenne’’.

En 2023, le recensement général du parc piroguier, réalisé tous les 5 ans, a révélé que le secteur de la pêche a créé 90 000 emplois directs, dont 77 % des travailleurs sont des étrangers. ‘’Les Guinéens sont sous-représentés’’, admet M. Camara, la gorge nouée, ajoutant que pour y remédier, ‘’le ministère essaye d’inciter les jeunes à s’orienter vers le secteur de la pêche, car le revenu d’un pêcheur est supérieur à celui d’un fonctionnaire. Le secteur peut absorber beaucoup de chômeurs, puisqu’il est promoteur et contribue à l’équilibre de la balance commerciale de notre pays’’.

La plupart des sociétés de pêche appartiennent-elles à des étrangers ? Pas tout à fait, à l’en croire. ‘’Il y a des sociétés qui sont de droit guinéen, mais dont l’équipage est constitué majoritairement d’étrangers. Les sociétés sont détenues par des Guinéens en partenariat avec des étrangers’’, avance le secrétaire général du ministère de la pêche, de l’aquaculture et de l’économie maritime. Quid de la présence de pêcheurs chinois, japonais, sud-coréens, ukrainiens, accusés de se servir de guinéens comme écrans pour piller les ressources ? ‘’Pour nous, le plus important, c’est le contenu local. Est-ce qu’il y a des Guinéens qui occupent des postes, qui ont beaucoup de privilèges dans ces sociétés ? Malheureusement, il y a beaucoup de postes au sein desquels nous sommes sous-représentés. Ce sont des étrangers qui les occupent’’, assure-t-il.

Ce haut fonctionnaire préfère toutefois rester évasif quand on l’interroge sur l’identité des navires disposant de licences. ‘’Dans notre Plan d’aménagement et de gestion des pêcheries, nous avons un quota de 82 navires que nous pouvons aligner. Nous n’avons pu aligner que 54. Donc, il y a encore de la place au niveau de la pêche industrielle pour l’exploitation de nos ressources’’, se contente-t-il d’annoncer.

Relancé sur l’identité des compagnies de pêches détenant des licences, notre interlocuteur affirme que ‘’la licence est trimestrielle. Un navire peut prendre deux à trois licences dans l’année. Il prend une au premier trimestre, une au deuxième, après la période repos biologique, il prend une dernière pour le quatrième trimestre’’. Quels sont ces navires ? ‘’Les informations sur les licences sont publiques. Si je me permets de citer une par rapport à une autre, je fais du favoritisme. Les informations sont accessibles au public. Elles sont détenues par des sociétés guinéennes, étrangères et mixtes. La priorité, c’est de remplir les conditions nécessaires pour l’obtention d’une licence’’, coupe-t-il court. Il n’en dira pas plus.

Tafsir Diallo, conseiller juridique du ministère de la pêche et de l’économie maritime.

Venant à la rescousse du secrétaire général, Tafsir Diallo, le conseiller juridique du ministère de la pêche, déclare que ‘’les navires semi-industriels qui doivent être contrôlés essentiellement par des guinéens. Il est inadmissible qu’un navire de pêche semi-industrielle soit détenu par un étranger. La législation guinéenne ne le permet pas’’.

Il affirme que les navires de pêche industrielle ont la liberté de choisir de battre pavillon guinéen ou étranger. En ce qui concerne les navires motorisés de la pêche artisanale, ils sont principalement détenus par des Guinéens ou des ressortissants de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), notamment des Sénégalais, des Sierra-léonais, des Ghanéens, entre autres.

‘’Pour la pêche semi-industrielle, la législation dit qu’il faut être Guinéen’’, souligne M. Diallo. Dans la pratique, il reconnaît que certains guinéens se font passer pour propriétaires de navires appartenant à des étrangers, faute de moyens de contrôle. ‘’Tant qu’on n’a pas des moyens de contrôle, on ne peut dire que ça ne leur appartient pas’’, dit-il pour dédouaner son département, pointé du doigt par les pêcheurs artisans.

A ce juriste, nous avons demandé si l’arrêté de la ministre Charlotte Daffé livre-t-il les eaux guinéennes aux plus offrants ? ‘’Ça dépend’’, nuance le conseiller juridique. De quoi ? ‘’Il y a des zones de pêches attribuées à chaque catégorie ainsi que des redevances à payer. La pêche artisanale est favorisée et privilégiée, parce qu’elle paye peu de redevances. On considère que cette catégorie de pêche concerne une frange importante de la population et débarque toutes ses captures en Guinée. Cela favorise la création d’emplois, l’approvisionnement de la population en produits halieutiques, maintenir la population du littoral pour exercer des activités. Dire que c’est une façon de livrer le secteur aux plus offrants, c’est une vue de l’esprit’’, analyse Tafsir Diallo.

En ce qui concerne la pêche industrielle, il confirme que ‘’la grande partie de notre flotte bat pavillon étranger. A un moment donné, l’État guinéen accompagnait des acteurs pour leur permettre d’acheter des navires. Tous ces navires ont été revendus, parce que les gens n’ont presque pas pu les conserver. L’article 56 du Code de la pêche, c’est la reprise de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui pose un certain nombre de principes. Cette convention dit que chaque pays détermine un volume admissible de captures exploité par les nationaux. Le reliquat est attribué aux étrangers’’.

Il va plus loin en admettant qu’en ‘’en dehors de quelques sociétés guinéennes, toute notre flotte de pêche industrielle appartient à des étrangers. Ce sont des flottes venues d’autres continents’’. Selon ses dires, le ministère de la pêche est ‘’obligé d’attribuer ce reliquat. Ce sont des stocks partagés, si vous ne les utilisez pas, d’autres pays les utiliseront. Les poissons n’ont pas de frontières. Ils ont une durée de vie relativement courte. S’ils ne sont pas pêchés pendant une certaine période, ils vont mourir’’.

Sur l’article 58 du Code guinéen de la pêche qui prévoit qu’une autorisation peut être délivrée à un navire étranger sous réserve de volume de captures, M. Diallo estime que cela ne favorise nullement les chalutiers étrangers. Pour étayer ses propos, il assure que ‘’les débarquements de la pêche artisanale sont proches de 255 000 tonnes de poissons. Ceux de la pêche industrielle atteignent rarement 100 000 tonnes. Les pêcheurs artisans ont raison en partie, parce que quand ils vont en mer, ils voudraient être seuls. Mais ils pêchent souvent en deçà de 20 000 marins, alors qu’il y a des navires de pêche qui vont au-delà de 60 000 marins. Il serait très risqué pour les pêcheurs artisans de s’aventurer dans ces zones de pêche’’.

Le manque d’infrastructures adéquates reste un obstacle majeur pour le développement de la pêche artisanale. Parmi les 224 ports de pêche répertoriés sur toute l’étendue du territoire national par le ministère, seuls 13 sont aménagés. Outre les pêcheurs industriels, les artisans croisent le fer avec les navires des sociétés minières. La multiplication de ports minéraliers inquiète les pêcheurs artisans qui voient leurs activités menacées de disparition.

‘’L’économie de la Guinée ne repose pas uniquement sur la pêche’’, analyse Mohamed Lamine Camara, secrétaire général du ministère de la pêche, de l’aquaculture et de la pêche maritime. ‘’Les mines constituent un pilier important de notre économie. Puisque nous ne faisons pas la transformation sur place, nos ressources minières sont exportées via les ports’’, ajoute-t-il pour justifier la présence de ports minéraliers dans les zones réservées aux pêcheurs artisans.

A la place des confrontations, le ministère de la Pêche, de l’Aquaculture et de l’Économie maritime insiste sur l’importance du dialogue comme principal levier pour résoudre les tensions entre les acteurs miniers et les pêcheurs artisans. Cette démarche vise à trouver un équilibre entre les intérêts économiques, sociaux et environnementaux, tout en préservant les ressources marines essentielles pour les communautés locales. Malgré ces déclarations, les tensions demeurent sur les eaux territoriales guinéennes, où un bras de fer continue d’opposer les pêcheurs artisans, semi-industriels et industriels, exacerbant les préoccupations sur la gestion durable des zones de pêche.

Enquête réalisée par Sally Bilaly Sow et Mamadou Ciré Baldé avec le soutien de l’Initiative mondiale contre la criminalité transnationale organisée (GI-TOC)

 

L’article Guinée : l’éternel bras de fer entre pêcheurs artisans, semi-industriels et industriels est apparu en premier sur Mediaguinee.com.

Lire l'article en entier