Culture guinéenne en deuil : Dorégo Clément, le saxophoniste émérite du Bembeya jazz National s’en est allé (témoignage)

il y a 3 heures 26
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L’orchestre qui a porté haut le drapeau de la Guinée en Afrique et dans le monde est sans conteste le Bembeya Jazz National, et celui qui a apporté une pierre angulaire à l’édifice vient de s’en aller presque dans l’anonymat et l’indifférence populaire peut être par faute d’avoir trop longtemps vécu. En s’en allant, il a ravivé nos années de lycée manqué, par l’agression du 22 novembre, mais aussi et surtout par l’affirmation et la confirmation du Bembeya jazz.

A la faveur de l’indépendance et de l’explosion de la culture en Guinée, nombreux sont des artistes du  continent à venir tenter une carrière en Guinée. Certains ont tiré tant bien que mal leur épingle du jeu ; parmi eux, le Congolais Ange Miguel, le saxophoniste mauritanien, Ledy Youla. Dorégo Clément, le Béninois, a réussi le plus beau coup avec le Bembeya jazz National, l’orchestre le plus prolifique et qui a la plus grande longévité, comme pour narguer ses détracteurs, n’en déplaise à mon grand et illustre ami Ansoumane Bangoura…

A sa nationalisation en 1968, le Bembeya jazz de Beyla a trouvé une hostilité et une adversité bestiale à Conakry. Balla et Kélétigui tenaient le haut du pavé et leurs adeptes et partisans écumaient la capitale pour dénigrer les nouveaux promus. Même la composition du Syli-orchestre à ossature Bembeya, qui a remporté la médaille d’argent au festival panafricain d’Alger, n’a pas eu raison des détracteurs.

A la nationalisation du Horoya Band de Kankan en 1972, on a organisé une compétition entre les quatre orchestres nationaux au Palais du Peuple, sous la présidence du BPN, en vue d’établir les hiérarchies. Inutile de dire que le Bembeya a éclipsé tous ses émules, il doublera le cap en 1973 avec son album « Authenticité73 » et fut élu meilleur orchestre africain par la BBC. Depuis, la renommée internationale ne cesse de transcender les frontières.

En 2013, pour l’an 40 de la disparition de Amilcar Cabral, une équipe de la TV brésilienne NOVA AFRIKA est venue en Guinée. Youssouf Bah, un collaborateur de l’Indépendant et de Chine-Nouvelles, et reporter d’image de Al Jazeera, m’a demandé de l’assister pour faciliter les contacts avec les personnes ressources pour NOVA AFRIKA. Il s’agissait de trouver un journaliste politique qui puisse parler de Cabral et de sa lutte contre les Portugais. Aucun journaliste politique de la Révolution n’était en service. Le seul qui était encore en vie, mais très mal en point était Sékou Mahdi Traoré. Le Djassa d’or de 2011 venait de désigner Moïse Sidibé lauréat de la plume d’or de la presse guinéenne, une grosse arnaque ! Ansoumane Bangoura était désigné pour la remise du prix, mais il n’a pas eu accès à la salle. On lui avait demandé de payer 250 000 fg.

Je demande à Drizo, qui est à deux pas de la RTG-Boulbinet, quel journaliste du temps de Sékou Touré est encore joignable. Drizo désigne sans hésiter Ansoumane Bangoura. J’étais perplexe. Ansoumane est un témoin de l’histoire, mais je peux témoigner sur le témoin de l’histoire : en 1968, Ansoumane Bangoura a été envoyé comme correspondant de l’AGP auprès de l’Agence Tas, à Moscou, puis à Boon, à la Deutsch Welle jusqu’à après l’agression de 1970. Et dans cette affaire, avant l’agression de 1970, personne en Guinée ne connaissait Amilcar Cabral, et Cabral a été tué en Janvier 1973. Ansoumane était-il revenu, ou était-il toujours à l’extérieur ?

Faute de grives on mange des merles ! NOVA AFRIKA avait un objectif culturel. Amilcar Cabral était un féru de Sékou Bembeya et du Bembeya jazz National. Il a dû parler de sa passion dans ses mémoires, puisqu’on devait faire se produire en exclusivité Sékou Bembeya Diabaté « Diamond Fingers ».

A la Paillote, chez lui, j’ai demandé à Sékou Bembeya s’il se souvient du bonnet que Amilcar Cabral avait mis sur sa tête en 1973. Sékou a vociféré d’enthousiasme ; et quand je lui ai demandé : « Où est ce bonnet ? » il s’est écrié de dépit avec la même intensité.

L’histoire de ce bonnet avait fait l’objet de spéculations à Conakry en son temps, en 1973. On disait que Cabral avait toute sa protection occulte dans ce bonnet. C’est ce bonnet qu’il a ôté de sa tête pour coiffer Sékou Bembeya. Sékou Touré avait aussi enlevé sa montre pour le même Sékou Bembeya.

 Et pour être complet sur cette histoire inédite, et pour une meilleure compréhension du lecteur, il faut ajouter qu’en 2007-8, Salifou Kaba, le chanteur, était venu me trouver chez Madame-T. Il avait ses cheveux en ‘’afro’’. Il dit qu’il veut entamer une carrière en solo avec des cheveux en rasta (avec dreadlocks). Je lui dis qu’il n’aura aucun succès, surtout pour un ancien du Bembeya. Je lui ai demandé de rester comme Sékou Bembeya, qui refuse de vieillir, et qui ne change pas. Salifou Kaba, me prenant pour une andouille, peut-être, me dit que Sékou ne boit pas, ne croque pas, ne fume pas, même la cigarette simple. Je lui jetai à la figure : Salifou, on a tous dépassé la soixantaine, on n’est plus à l’âge des bonbons. Moi, j’ai vu Sékou Bembeya Fumer la marijuana, derrière les amplis et hauts parleurs, au Palais du Peuple. Il a sursauté. Pour plus de confirmation, je lui dis que Sékou les avait fait danser, ce jour-là, plus longtemps, en rallongeant le solo de Akukuwé, et que lui, Salifou, était allé crier sur Sékou après. C’était le jour où Sékou Bembeya a joué pour la toute première fois son morceau « Petit Sékou » pour Cabral. Salifou était désarmé et coi. Il finit par se déboutonner en racontant les coulisses du Palais, ce jour-là : Sékou Touré était venu dans les coulisses pour demander à son ‘’Ntoma’’ de faire une démonstration pour Amilcar Cabral…

 Sékou legrow a expliqué la tournée internationale du Bembeya à travers des Etats-Unis, il a exhibé un journal du Libéria qui avait titré pour la première fois « Sékou Diabaté Bembeya, Diamond Fingers » (l’homme aux doigts de diamant). Et Cabral est mort le 20 janvier 1973, quatre ans avant le festival de Lagos.

 C’est doncavec drame qu’on entend le même Sékou Legrow confirmer la rumeur qui dit que ce surnom a été donné au festival de Lagos 77 ; et ce qui fait tomber les bras, c’est la confirmation par Sékou Bembeya, lui-même, et par nos « archives culturelles » William Jean-Baptiste (un vieux nom…) et le grand Justin Morel Junior.

Voilà comment les élites sans mémoire d’un peuple lui font perdre ses repères. Ce qui vient d’être relaté ici n’est pas dans l’intention de nuire à leur réputation, mais c’était absolument nécessaire. Toutes les radios et TV privées se relaient la même fausse information pour les générations futures. Il faut rectifier cela.

D’ailleurs, quand Dadis a tapé le béret de Toumba au camp Koundara, en 2009…

Revenons à Dorégo Clément

Depuis son arrivée au sein du Bembeya en !971, impossible de ne pas entendre son saxo ténor ou soprano dans un morceau de l’orchestre. Quand on était encore plus jeunes, on se « quizait » pour savoir celui qui pouvait citer le plus grand nombre de morceaux du Bembeya qui ne commençaient pas par la guitare. Il y a au moins 9 morceaux. Dans le morceau OERS, c’est le soprano de Clément qui commence. Parmi ses interventions avec maestria à retenir sont dans Tentemba, dans Moussogbè, dans Sou et tant d’autres…

En 2018, sur insistance de Max Camara et de Yaya Bangoura, c’est sous une pluie battante qu’on est allé à la Paillote pour une soirée retro avec l’orchestre de Petit Condé, paix à son âme. C’est maître Barry qui nous a réceptionnés à grand bruit et nous a conviés à sa table. Je lui avais demandé si Dorégo Clément est là. Maître Barry dit qu’il est là, mais malade. Je lui dis que maintenant que Kélétigui n’est plus, Clément est malade, c’est lui le roi du Saxophone guinéen…

Sékou Bembeya dit qu’il se comprenait avec Demba comme le riz et la sauce. Comme il se complétait avec Dorégo Clément, surtout dans Sou ?

Moïse Sidibé

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