Ça recommence ! (Par Tibou Kamara)

il y a 7 heures 18
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La citoyenneté est-elle en danger à cause de la montée vertigineuse du repli régional ? Le communautarisme rampant se fraye-t-il un chemin dans la République, à tel point que l’espoir du commun vouloir vivre ensemble serait menacé, voire perdu ?

Il ne viendra à l’esprit de nommer personne tant qu’on n’a pas été cité par quelqu’un et qu’on est tenu par la réserve qu’imposent la pudeur et la bienséance. Cependant, il est important de rappeler que beaucoup de ceux qu’on voit et entend aujourd’hui encore étaient dans l’antichambre du pouvoir déchu, ont bénéficié de décrets et de largesses du professeur Alpha Condé, président renversé, et furent aussi dans une plus grande proximité avec ce dernier que parfois ses plus proches collaborateurs.

Le temps viendra de nommer ces éternels intrigants de la République, visiteurs obscurs du soir, courtisans de tous les chefs d’État qui se sont succédé à la tête du pays, rats des palais, souris de tous les pouvoirs. Ce sont eux les ennemis invisibles des dirigeants et du pays, et non les commis toujours appelés à servir et depuis des lustres dévoués à la cause de leur nation. La race des prédateurs est une mauvaise herbe qui repousse sans cesse et résiste à toutes les tempêtes.

La politique, telle qu’elle a été apprise, comprise et pratiquée depuis toujours, aux larges des rivières du sud, serait-elle faite pour permettre aux élites de monter sur un piédestal, de se goinfrer, d’assurer leur survie ? Ou devrait-elle servir à s’occuper des affaires de la cité avec efficacité et loyauté envers le peuple ?

Un homme politique a forcément son agenda, des calculs à lui, et a besoin de séduire les électeurs en faisant feu de tout bois. C’est pourquoi il envisage toutes sortes d’alliances et fait campagne pour obtenir les suffrages des citoyens afin d’accéder au pouvoir. La phase de conquête du pouvoir, très perméable et ouverte à toutes les compromissions, ne devrait pas être confondue avec le moment où l’on arrive aux affaires. L’exercice du pouvoir se fait au bénéfice de tous, sans l’idée d’exclure et marginaliser les adversaires et opposants. C’est l’heure de vérité, car c’est l’instant de la vertu et des compromis gagnants.

Or, on a l’impression fâcheuse dans nos pays que tout le temps, c’est la course folle et permanente pour conquérir ou conserver le pouvoir dans un mélange des genres extraordinaire et un esprit de transgression dangereux. Des individus lugubres qui devraient se contenter de leurs choix propres estiment, bonnement, avoir le droit naturel et incontestable de parler au nom et pour le compte de leurs communautés. Tous ces prestidigitateurs qui reviennent au devant de la scène et font les yeux doux aux nouvelles autorités prétendent encore pouvoir diriger les consciences, orienter le vote de chacun. Ainsi, chacun se donne la mission d’aller et de mobiliser chez lui comme si l’élection n’était pas nationale et se déroulait dans chaque région, en particulier, ou qu’il faudrait cantonner tous dans leurs régions respectives. On n’est plus dans une compétition électorale nationale mais se retrouve engoncé dans des luttes d’hégémonie ethnique. Une partition communautaire du pays, une régionalisation du militantisme, du séparatisme politique, de l’irrédentisme électoral qui constituent des menaces plus réelles sur le pacte social et républicain, sur l’unité nationale que tout ce que l’on pourrait reprocher de mal aux politiques dans leurs discours et méthodes.

LA CITOYENNETÉ Â L’ÉPREUVE DU REPLI COMMUNAUTAIRE

On se rassemble encore par région pour défendre des causes douteuses ou se constitue en syndicats ou encore en confréries, groupes de pressions communautaires pour rafler des places, forcer la main au chef de l’État afin d’obtenir de lui sa part du gâteau. C’est désormais le sens ainsi que la finalité que l’on voudrait donner à l’idéologie politique, à l’engagement militant. Chaque voix devrait avoir un prix, chaque région aspire à une récompense pour ses suffrages. Ni la loi ne permet cela, encore moins le brassage entre toutes les composantes de la nation.

Où est passé le projet national ? Que fait-on de l’ordre républicain ? C’est en sapant la cohésion sociale en morcelant le pays en entités régionales bien distinctes, à des fins de propagande politique ou pour les besoins de mobilisation électorale, qu’on sera une nation, une et indivisible ?

Ce n’est plus l’unité dans la diversité qui est prônée, mais la nécessité pour chacun de voir midi devant sa porte, de faire chemin et équipe avec des gens de sa sorte. Alors que les populations sont bien intégrées malgré les disparités politiques et le cliché électoral d’un vote sectaire dans le pays, qu’elles se confondent les unes aux autres, des « cadres » carriéristes et opportunistes veulent imposer encore que la région définisse chacun, que la communauté soit la référence pour tous. Ils ne se souviennent des leurs ou n’ont recours au terroir que lorsqu’ils courent derrière une nomination ou veulent renaître de leurs cendres après la disgrâce. Le reste du temps, ils ne pensent qu’à eux, à leur bien-être et à leur condition individuelle. Ils considèrent les populations comme leur bétail électoral, l’attrape-nigaud du chef en place.
Il n’y a que les slogans qui ont évolué et changé un tant soit peu. Les acteurs restent les mêmes, le prince du moment demeure la cible.

ÉTERNELS INTRIGANTS, ENNEMIS INDÉCROTTABLES DE LA RÉPUBLIQUE

Quoi qu’il en soit, il reste clair et évident qu’aucune région du pays ne peut élire un Président de la République sans disposer d’une majorité suffisante pour ce faire, comme aucune communauté ne peut gouverner seule sans l’appui des autres, car la Guinée est l’affaire de tous et concerne chacun.

Alors, il est mal venu de se livrer à un clientélisme politique abject et de verser dans le marchandage à caractère tribal et régionaliste. Si tel devait être le cas, ceux qui ont toujours eu la part belle se sentiront lésés, ceux auxquels il a toujours été réservé la portion congrue se verront écrasés par les autres, les majorités franches vont dominer pour longtemps les minorités voisines. C’est la République qui garantit l’égalité des chances et la nation qui fait de la place à tous.

Au demeurant, chacun est libre de prêcher pour sa chapelle et d’appeler à voter massivement pour le candidat de sa préférence. Cependant, nul n’a reçu mandat de représenter les autres ou de se substituer à eux. Ce n’est pas la ploutocratie ou l’époque révolue des votes censitaires. Jamais un ressortissant d’une région, aussi influent qu’il soit, n’a réussi à rallier toute sa communauté à un camp, à un homme, et n’a pu damer le pion aux partis qui, chez lui, ont habituellement les faveurs des électeurs. Les illusions nourries, chaque fois, ont été suivies de la désillusion provoquée par des défaites cinglantes.

Quand se résoudra-t-on à ne pas répéter les erreurs du passé, à comprendre que dans notre société la politique est souvent considérée comme un jeu de dupes où les individus se trompent mutuellement, trichent et abusent de l’autre à qui mieux mieux, dans un climat de conflit et de collusion d’intérêts, d’émulation malsaine ?

Tibou Kamara

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